Hlasohled : retourner aux sources spirituelles du chant
Remédier au manque d’activité autour de la voix en Tchéquie. Tel est l’objectif de l’association Hlasohled (« regard sur la voix »), qui, depuis près de 10 ans, fait découvrir aux Pragois les différentes facettes de cet instrument de musique partagé entre tous. L’association organise notamment une conférence annuelle, qui, cette année, s’est tenue le weekend du 8 et 9 novembre et portait sur la fonction spirituelle du chant avec un thème pour le moins mystique autour de la « communication de l’homme avec ce qui le dépasse ». Parmi les experts ayant participé à cette rencontre, le philosophe français et chanteur à la voix grave et envoûtante, Iégor Reznikoff a répondu aux questions de Radio Prague.
« A l’époque, cela fait presque 10 ans, je me suis rendu compte qu’il n’y avait presque pas d’ateliers sur le chant en République Tchèque, il y avait beaucoup d’ateliers sur la danse, les beaux-arts, mais il n’y avait pas de stage de chant intéressant. Il y avait vraiment un vide, incompréhensible ! Peu à peu je me suis rendu compte que donner des stages était quelque chose qui me donnait beaucoup de satisfaction. J’ai commencé à en faire, mais j’avais l’impression que c’était également important d’échanger avec d’autres professionnels. De ce besoin-là est né Hlasohled, association que j’ai créée pour pouvoir inviter des gens du monde entier, qui sont à la fois de bon musiciens, et en même temps des pédagogues. »
L’association réalise des ateliers et des séminaires et tient annuellement une conférence. Celle de l’année 2014 a eu lieu le deuxième weekend de novembre et avait la particularité de traiter d’un sujet peu commun, celui de « la voix comme moyen de communication de l’homme avec ce qui le dépasse ». La voix était alors étudiée dans sa fonction spirituelle comme moyen de communication avec le divin. Ridina Ahmedova explique l’objectif que l’association cherche à atteindre par cet évènement :« Parce que les stages sont très pratiques, j’ai pensé qu’il serait intéressant de les contrebalancer avec un évènement théorique. Chaque année, quand on choisit un sujet principal, j’essaie d’inviter des professionnels de domaines différents. Je pense que c’est quelque chose d’assez spécifique, parce que les sujets en eux-mêmes le sont, mais aussi parce qu’au même endroit se retrouvent différentes personnes de différentes professions, qui peuvent donner une image pluridimensionnelle d’un sujet. »
Les conférenciers provenaient effectivement d’horizons professionnels divers, certains musiciens, d’autres thérapeutes, certains chercheurs en philosophie et en musicologie. Parmi eux, Iégor Reznikoff, professeur émérite de philosophie à l’université de Paris Ouest, reconnu pour son travail sur le chant chrétien antique, a donné une conférence sur « la communication avec l’Invisible du paléolithique au chant chrétien antique ». De sa voix grave et profonde, Iégor Reznikoff a réussi à suspendre la salle à ses paroles, et à résumer de manière parfaitement claire et pédagogique des connaissances qui sont le fruit de toute une vie de recherche et de passion de la musique. Mais le personnage n’est pas seulement un professeur en philosophie et en musicologie, Iégor Reznikoff est également un chanteur de renommée mondiale, qui, fort d’une formation classique au piano, s’est dirigé vers la musique ancienne et sacrée, contribuant au renouveau du genre.Le chant chrétien antique, qualifié souvent à tort de « grégorien », correspond au chant des Gaules romaines. Il est noté en neumes, une forme d’écriture musicale ancienne qui révèle la complexité naturelle de la gamme. Ce chant pénètre les niveaux profonds de conscience, permettant alors de rentrer en prière. L’étude du chant chrétien antique a amené Iégor Reznikoff à travailler sur le son des églises romanes, construites de façon à ce que la résonnance soit optimale. C’est ce travail sur le son qui a conduit le chercheur en musicologie à s’intéresser aux fresques paléolithiques.
« Le rapport avec les grottes préhistoriques, c’est justement la résonnance. Dans une grotte, on peut avoir des parties qui ne sonnent pas du tout et des parties qui sonnent (il teste la résonnance de la pièce en chantant). On peut entendre quatre échos ici ! On est dans une salle de l’Institut de musique de Prague. On se rend compte que plus les grottes sonnent, plus il y a d’images… »
De cette observation, Iégor Reznikoff conclut que des rituels spirituels se déroulaient à ces endroits, au moyen du chant. Ce lien entre chant et communication avec le divin, constamment mis en évidence dans le travail du musicologue, s’est peu à peu perdu dans les productions artistiques. Iégor Reznikoff explique cette nuance entre l’art sacré et l’art pour l’art :
« Il y a une confusion qui est très souvent faite entre l’art religieux et l’art sacré. Prenez le tableau de Raphaël, la Vierge à l'Enfant. On se dit « oh c’est merveilleux, ces lignes, ces couleurs… ». Mais vous n’êtes pas du tout dans l’intériorité. Vous êtes en train d’admirer l’art de la peinture. Alors que l’art sacré au sens fort, c’est un art fonctionnel, c’est pour vous aider à rentrer dans des niveaux plus profonds de conscience, aider à la prière et l’intériorité. D’une certaine façon, l’icône, vous pouvez la regarder les yeux fermés. Alors que regarder Raphaël ou Léonardo Da Vinci les yeux fermés, ce serait dommage ! »Le philosophe observe une décadence de la tradition orale, liée aux évolutions de la société :
« Dans cette décadence, dans cette perte de la dimension contemplative, et du sacré au sens fort, l’Occident est en avance. Un grand changement de nos sociétés, désormais industrielles, et bourgeoises, au sens propre du mot, c’est-à-dire urbaines, a détruit la campagne, les traditions orales et cette profondeur contemplative, et ce, même dans les monastères. Et cette évolution se retrouve partout. Comme si le serpent changeait de peau, mais sans que nous sachions ce qu’il deviendra… »
Le chant reste désormais limité à sa dimension purement esthétique, perdant alors sa fonction spirituelle et sociale. Ridina Ahmedova rejoint le philosophe français sur ce point et considère que les Européens ont tendance à complexer sur leur voix :« La voix est quelque chose de presque tabou. On a tous peur de chanter, parce qu’on entend tous ces enregistrements à la radio qui sont nickels, fait en studio… Et par rapport à cela notre voix nous parait imparfaite, mais c’est juste une illusion. Et j’ai l’impression que maintenant beaucoup de gens ont besoin de chanter et de recommencer à utiliser leur voix de manière naturelle. »
Ridina Ahmedová observe cependant, avec optimisme, que les gens viennent de plus en plus nombreux aux évènements organisés par l’association Hlasohled. Elle note également une certaine renaissance de la culture du chant en République Tchèque.
« J’observe une certaine renaissance, avec des gens de la génération autour de 40 ans qui essaient de renouveler les fêtes populaires au cours de l’année. Dans les villages, ils organisent des évènements qui permettent aux gens de se rencontrer, et de chanter aussi, entre autres. Je pense que la tradition est très abimée par le communisme et aussi justement par cette invasion des enregistrements parfaits, mais qu’il y a une renaissance. Je pense que cela se passe de la même manière dans toute l’Europe occidentale. »Pour participer aux ateliers et stages de l’association autour de la voix et du chant, rendez-vous sur le site : www.hlasohled.cz