Au théâtre Dlouhá, une adaptation du roman psychologique de Jarmila Glazarová
« La Fosse aux loups », telle pourait être la traduction française du roman psychologique « Vlčí jáma » de Jarmila Glazarová, un roman qui n’a été traduit dans aucune langue étrangère et qui a servi d’inspiration pour une adaptation dramatique au théâtre de la rue Dlouhá à Prague. « La Fosse aux loups » fait référence à l’ambiance suffocante qui règne dans une famille morave dans les années 1930 et qui se cristallise avec l’arrivée d’une jeune orpheline Jana, jouée par Veronika Lazorčáková. Elle était au micro de Radio Prague le lendemain de la deuxième représentation de la pièce.
« J’étais au lycée franco-tchèque à Olomouc, et c’est là que j’ai commencé à jouer du théâtre. Après le lycée, je suis allée à Brno, à la JAMU (Faculté de théâtre de Brno, ndlr) où je suis restée quatre ans. Puis, j’ai été à Ostrava pendant trois ans et j’y ai joué dans huit ou dix spectacles. Maintenant, je suis ici à Prague. »
C’est pour la première fois aussi qu’elle travaille avec le réalisateur Martin Františák qui est actuellement directeur du Théâtre national à Brno, mais qu’elle connaît depuis son engagement au théâtre Petr Bezruč à Ostrava, ce même théâtre où elle a joué pendant trois ans.
La pièce « Vlčí jáma » s’inspire du roman psychologique de Jarmila Glazarová écrit en 1938, et qui faisait partie des lectures obligatoires sous le régime communiste. Le roman a également fait l’objet d’un film, tourné en 1957 par Jiří Weiss. Le réalisateur Martin Františák a déjà dirigé une autre pièce du même auteur, « Advent » (L’Avent), au théâtre de Bohême de Sud. Son adaptation de « Vlčí jáma » confirme le fait qu’il souhaite que l’œuvre de Jarmila Glazarová, qui était cadre du parti communiste de l’après-guerre, ne tombe pas dans l’oubli.Étudiante au lycée à Olomouc au début des années 2000, Veronika Lazorčáková a découvert le roman à cette époque-là :
« Le livre, je le connais de l’école, j’ai même vu le film. Je n’ai pas lu le roman quand j’étais au lycée. Je l’ai lu après, quand j’avais 19 ou 20 ans. Maintenant, je l’ai relu et je sens la différence. Il y a beaucoup de thèmes que je ne voyais pas auparavant. C’est peut-être parce que je suis devenue plus sensible à certaines choses. »
L’actrice explique également d’où est venue l’idée de découvrir ce roman après l’école et quelles étaient ses impressions après l’avoir relu récemment :
« Au lycée, le roman faisait partie des lectures obligatoires, il fallait donc au moins savoir de quoi il parle. La différence quand je l’ai relu, a d’abord résidé dans une démarche volontaire. Les sensations que j’avais étaient plus profondes. J’ai l’impression d’avoir mieux compris les relations entre les personnages du fait aussi d’avoir moi-même plus d’expériences, c’est pour cela que la relecture était plus touchante. »Pour une adaptation, la question du rapport à l’œuvre originale se pose toujours. Veronika Lazorčáková nous livre sa perception des choses :
« Je pense que l’interprétation qu’a fait du livre Martin Františák est plus fidèle. Il est sensible à la poétique et au langage que l’auteur utilise. Il a fait des atmosphères et des images qui représentent la langue du roman. Sa dramatisation travaille plus avec le livre que le film. »
La pièce se situe dans une petite ville morave dans les années 1930. Elle permet de découvrir la vie d’une famille plutôt aisée dominée par Klára, la matrone du ménage, mariée pour la troisième fois avec un jeune vétérinaire, lequel est effacé devant l’autorité de sa femme mais qui nourrit une ambition de poursuivre sa carrière dans une grande ville. Possessive et dominante, Klára est aussi excentrique et manipulatrice, que sa passion est grande, notamment à l’égard de son jeune mari. Elle a des comportements tyranniques vis-à-vis des serviteurs qui ne cachent pas leur haine. Dans ce milieu s’introduit la jeune orpheline Jana. Tout au long du spectacle, elle parle peu, elle communique ses sentiments plus par son regard. Discrète la plupart du temps, elle sacrifie sa vie pour la garde de la vieille tante.
« Jana est quelqu’un de très seul. Elle n’a pas de famille, il n’y a personne autour d’elle. Elle cherche une proximité, peut-être aussi l’amour pour se sentir en sécurité. Dans le roman, comme dans le spectacle, je pense qu’elle est plutôt observatrice et c’est à travers elle que l’on peut observer les autres caractères, les bonnes, la tante, son mari Robert ainsi que le docteur. Pour moi, c’est surtout quelqu’un qui est très différent par rapport au milieu dans lequel elle se trouve. »Aucun personnage de la pièce n’invite le spectateur à s’y identifier, Jana met en valeur les faiblesses et les failles de chacun, des failles qui complètent la cruauté de la tante Klára.
Le metteur en scène Martin Františák a construit le spectacle autour de fortes images métaphoriques. Veronika Lazorčáková révèle quel est le moment qui lui paraît le plus puissant :
« Il y en a beaucoup, mais c’est peut-être le début, quand Jana arrive dans la maison et il y a une scène avec des oranges, il s’agit de la métaphore que vous êtes là et que vous donnez tout. La question est ʻest-ce que vous allez tout donnerʼ. »
Dans cette première scène de la pièce, Jana entre dans le salon de sa nouvelle famille et rencontre la tante, l’actrice Helena Čermáková, et son mari, Jan Vondráček. Ils ont tous une orange dans la main qu’ils s’offrent mutuellement. Il s’agit de savoir s’il faut tout donner ou au contraire pas du tout. Une image de nouveau très forte répond à la question quand Jana reprend son fruit à la fin du spectacle.La scène, conçue par Marek Cpin, est, elle, très colorée, car divisée en trois parties avec des couleurs synchronisées entre les décors et les vêtements. Par exemple, les jupes des domestiques ont la même couleur que les murs de la cuisine, l’espace dans lequel elles sont confinées la plupart du temps. En rapport à cela Veronika Lazorčáková note :
« La scène véhicule des images qui ont un effet inconscient sur les spectateurs, les images dans le spectacle travaillent aussi l’inconscient. »
Pourtant, dans cette mise en scène très colorée, avec du papier peint en fleurs massives, Veronika Lazorčáková dit ne pas se sentir déprimée. Au contraire, cela lui permet de se mettre dans l’ambiance, certainement tout comme une baignoire, un des objets marquants de la scène, dans laquelle la majorité des personnages passent au moins une fois tout au long du spectacle, que ce soit avec un seul pied ou en y plongeant en entier. Au lendemain de la deuxième représentation du spectacle, nous voulions savoir, si l’eau n’était pas froide :« Hier, l’eau était un peu froide, mais normalement, ils la font très chaude quand le spectacle commence et elle se refroidit peu à peu. Celava peut-être dépendre du temps qu’il fera. »
Ayant eu sa première le 9 septembre, le spectacle « Vlčí jáma » est le fruit des répétitions que Veronika Lazorčáková qualifie d’exigeantes :
« Elles étaient plutôt intenses et dures parce qu’elles étaient divisées en raison des vacances théâtrales de l’été. Quand on s’est retrouvé après les vacances, on avait deux semaines pour tout finir. La première était en septembre et on a répété tous les jours, même le weekend. En plus, le directeur avait des idées pendant les vacances des choses qu’il voulait faire différemment, là ça a été très dur pour moi. »
Le personnage de Jana s’efface à tel point que cela amplifie le despotisme de la tante Klára. Néanmoins, cette mise à l’écart de la jeune orpheline contribue également à occulter sa relation amoureuse avec le mari, dont l’acteur n’apparaît pas suffisamment jeune pour marquer la différence d’âge par rapport à son épouse.La pièce réussi tout de même à transmettre l’atmosphère déprimante d’un milieu fermé qui déforme les caractères des gens et même si on comprend peu la psychologie ou les motivations des personnages, l’ensemble reste très expressif. L’effet est encore intensifié par le décor qui rappelle l’usage des couleurs de François Ozon dans son film Huit femmes.