Jan Hus récupéré
Théologien, prédicateur réformateur de l’Eglise catholique, Jan Hus est l’un des grands précurseurs de la Réforme protestante. Scandalisé par la dérive des indulgences, octroyées contre espèces sonnantes et trébuchantes, Jan Hus est excommunié en 1411 et meurt sur le bûcher quatre plus tard, le 6 juillet. Une date qui correspond désormais à un jour férié dans le calendrier tchèque. Jan Hus est une figure majeure, voire quasi-mythologique de l’histoire tchèque, dont l’héritage est depuis deux siècles l’objet d’une réappropriation par différents mouvements, théologiques mais également politiques. C’est ce legs disputé qui est l’objet de cette rubrique historique.
« C’est la raison pour laquelle Tomáš Garrigue Masaryk s’intéresse au hussisme et l’évoque en des termes colorés dans sa profession de foi politique « La Résurrection d’un Etat ». Il y écrit qu’il avait fallu pour les Tchèques se présenter au moment de la chute de l’Empire austro-hongrois et de la naissance du nouvel Etat indépendant. Et le hussisme constitue cette carte de visite, car le hussisme avait réellement un sens dans le contexte international. »
Au début du XVe siècle, le soutien du souverain Venceslas 1er à la section tchèque de l’Université Charles, face notamment aux sections de langue allemande, puis après la mort de Jan Hus, la guerre civile, les guerres hussites de 1419 à 1431, entre les partisans du prédicateur et les représentants du Saint-Empire romain germanique, illustrent l’antagonisme tchéco-allemand que peut revêtir la symbolique hussite. Dans le contexte d’un royaume de Bohême soumis à l’Autriche, la renaissance nationale tchèque au XIXe siècle va ressusciter cette dimension du hussisme, ainsi que le précise l’historien Petr Čornej :« Les mouvements nationalistes de la fin des années 1860, des mouvements puissants, constituent la base de cette tradition hussite qui a survécu jusqu’à aujourd’hui sous des formes modifiées à travers les idéologies socialiste et communiste. Le mouvement hussite y est perçu comme antiaristocratique, anticatholique, national, démocratique et antiallemand. »
« Il n’est pas un hasard que le premier communisme moderne fut tchèque. Nos Taborites sont les premiers représentants du nouveau communisme moderne, le socialisme est proprement tchèque. Nous avions avec les mouvements taborites les premiers socialistes et les premiers communistes. » Ces mots ne sont pas ceux d’un bolchevique forcené mais ont été prononcés par Tomáš Garrigue Masaryk, le premier président tchécoslovaque, qui voit surtout dans le hussisme les prémices de la démocratie. Et les Taborites, dont le nom est tiré de la ville de Tábor, en Bohême du Sud, est une communauté religieuse qui est née au XVe siècle dans le sillage des réformes de Jan Hus. Parmi eux se développe un courant égalitariste qui prône un strict partage des biens matériels.
Aussi, il n’est pas étonnant que les communistes, d’abord méfiants à l’égard de cette figure spirituelle, en ont finalement fait un précurseur du socialisme. Le réalisateur Otakar Vávra, l’un des pères de la Nouvelle Vague cinématographique tchèque, signe ainsi en 1954 ce qu’il faut bien appeler un biopic, un film qui dresse surtout le portrait d’un Jan Hus imbu d’égalité. Mais chacun pioche à son envie dans les symboles de cette période et Jan Žižka, le chef guerrier des Hussites, face aux troupes de l’Empereur Sigismond 1er, devient quant à lui l’un des premiers représentants du fascisme dans la bouche de certains penseurs des années 1930. Ce n’est jamais aussi simple comme le souligne Petr Čornej :
« L’historien communiste Zdeněk Nejedlý écrivait ainsi en 1946 la chose suivante : « Le communisme de Jan Žižka nous est sans aucun doute plus proche que le fascisme de l’Empereur Sigismond Ier ». C’est précisément l’inverse de ce que disait la politicienne nationaliste et féministe Božena Viková-Kunětická, pour qui le nom de Jan Žižka fait référence au fascisme. En fait, cela dépend du contexte. En l’occurrence, il s’agit pour Zdeněk Nejedlý d’une campagne électorale du parti communiste. »Chercheur à l’Institut d’histoire de l’Académie des Sciences de République tchèque, Jaroslav Šebek considère que cette question de l’appropriation de certains personnages historiques n’est pas le seul fait des Tchèques :
« Ce problème n’est pas seulement celui du hussisme ou de l’interprétation de Jan Hus, mais a trait à toute nos figures spirituelles ou à nos traditions nationales. En effet, les partis politiques, de différents courants, projettent dans ces traditions ce qu’ils veulent y voir et pas forcément ce qu’elles étaient en réalité. C’est un problème que rencontrent de nombreux Etats européens. Il suffit de considérer la tradition fameuse de Jeanne d’Arc puisque, dans la France moderne, cette sainte est par exemple récupérée par la droite nationaliste. »
Et même Benito Mussolino, l’instigateur du fascisme en Italie, et décoré en 1926 de l’ordre du Lion blanc, la plus haute distinction de l’Etat tchécoslovaque, a par exemple écrit une recherche intitulée « Jan Hus, l’homme de la vérité ».En République tchèque, aujourd’hui encore, Jan Hus est parfois cité par les politiques, plus pour servir leur propos que pour rendre hommage à l’action réel de ce réformateur de l’Eglise. Il reste en tout cas bien vivant dans la culture tchèque, en témoigne cette chanson du groupe Monkey Business, « We feel better than Jan Hus ».