Le vol d’objets religieux - un calvaire pour les églises tchèques
Dans un pays souvent présenté comme l´un des plus athées au monde, la République tchèque, les vols dans les églises et autres édifices religieux sont fréquents. Depuis la chute du Mur, des milliers d'objets de valeur inestimable ont été dérobés et revendus dans les pays voisins. Le musée de la police de Prague propose, jusqu'à la fin du mois d'août, une exposition de quelques-unes des rares statues sacrées qui ont pu être récupérées.
Des dizaines de milliers de statues, livres et autres objets de valeur ont été dérobés depuis la chute du Mur et l’ouverture des frontières, qui a permis aux voleurs d’aller facilement vendre leur butin à l’Ouest.
Vratislav Gregr est lieutenant dans le département de la police nationale tchèque spécialisé dans les enquêtes sur ces vols d’objets de culte:
« Dans les années 90, nous avons atteint des extrêmes, et en cinq ans les vols se sont multipliés par 100, soit sur commande soit de simples cambriolages et même du trafic organisé de patrimoine culturel exporté illégalement, surtout vers l’Ouest, notamment vers Allemagne et l’Autriche, mais aussi la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne. »
Et selon Vratislav Gregr, la coopération internationale entre les services de police est compliquée, même entre Etats membres de l’Union européenne :« La coopération se passe mieux avec la police allemande parce que l’approche et le cadre juridique sont assez similaires. Mais nous avons du mal à travailler avec les Autrichiens parce qu’ils privilégient la propriété même si l’origine de l’objet peut être prouvée. La bonne foi de l’acheteur est toujours supposée et le Code civil autrichien lui permet de se défendre légalement. »
La République tchèque est aujourd’hui vraisemblablement le pays le plus athée d’Europe, voire du monde, et cela a rendu encore plus facile le pillage d’un patrimoine religieux paradoxalement riche.
La protection des lieux de culte n’était pas une priorité pendant la période de transition et le trafic a permis à certains brigands sans foi ni loi de gagner rapidement des devises en approvisionnant des antiquaires peu scrupuleux. Plutôt sans loi que sans foi d’ailleurs, car on apprend en marge de la nouvelle exposition que des livres du XVIIe siècle ont été dérobés dans un monastère pragois par un séminariste polonais…Objets volés et difficiles à récupérer : Milan Říha en sait quelque chose. Il est le maire d’une petite commune, où trois statues d’ange ont été volées dans l’église en 1991, année où le nombre de vols a atteint des records. En trouvant des témoins, il a permis à la police d’ouvrir une enquête, ce qui n’a pas empêché cependant que les anges soient retrouvés des années plus tard, à Vienne, dans une salle de ventes aux enchères:
« J’ai d’abord appris que les anges avaient été retrouvés en Allemagne, où les malfaiteurs avaient été arrêtés. La police tchèque a ouvert une enquête, mais ils avaient des avocats assez malins qui ont fait témoigner le curé du village, un homme très âgé à l’époque, qui n’a pu confirmer avec certitude qu’il s’agissait bien des anges de notre église. Du coup, les avocats ont emporté le morceau et l’enquête a été abandonnée… »La valeur totale des objets dérobés est inestimable, ou en tout cas difficile à estimer, plusieurs dizaines de millions d’euros sûrement, peut-être même plusieurs centaines de millions, et des trafiquants bien organisés qui savent comment échapper aux poursuites. Le lieutenant Vratislav Gregr évite pour cela de parler de toutes les enquêtes qui sont encore en cours :
« Prouver l’origine des objets est très difficile, d’autant qu’ils sont souvent légèrement modifiés de manière à être revendus sans problèmes. Je vous donne un exemple : une statue de saint Jean Népomucène tenant une croix dans la main – les recéleurs coupent la main et remplacent la croix par un autre objet, ce qui rend l’identification très, très compliquée. Si les experts ne parviennent pas à déterminer l’origine avec certitude devant le juge, alors, pour nous, c’est perdu… » Au début de son sermon, le prêtre de l’église Sainte-Marie-Saint-Charles se félicite tout de même du travail de la police tchèque et de cette nouvelle exposition qui, selon lui, permet le retour provisoire d’objets de culte dans l’ancien monastère, devenu un lieu profane et propriété du ministère de l’Intérieur. Mais c’était une autre époque, sous le régime communiste…