« Correspondage » : où quand une jeune Française correspondait avec Jiří Kolář
« Correspondage », tel est le nom d’une exposition inédite qui s’est tenue à Prague au début de l’année 2013. Elle présentait un ensemble original de collages, froissages, rollages, prolages... du poète et artiste Jiří Kolář (1914-2002), qu'il a réalisés en France dans le cadre d'échanges épistolaires avec une jeune Française, Béatrice Bizot. Dans cette exposition ont ainsi été mis en parallèles les œuvres de Jiří Kolář et les courriers de Béatrice Bizot. Cette histoire incroyable, c’est Béatrice Bizot elle-même qui l’a racontée au micro de Radio Prague.
Vous vous êtes écrit tous les jours ?
« Au départ, il n’était pas prévu que Jiří Kolář m’écrive. J’ai commencé à lui écrire, puis j’ai reçu de sa part des collages, tous les jours. Et puis, c’était une période d’examens assez forte. Je lui faisais part de cela aussi. Il a dû s’inquiéter, craindre que cela me prenne trop de temps, donc il a envoyé un petit mot laconique pour dire qu’il valait mieux qu’on arrête là. Je me suis un petit peu vexée. J’ai passé mes examens, et au bout de trois semaines, je me suis que j’allais lui renvoyer un petit mot. Cela me tentait de continuer. Le lendemain, j’ai reçu un paquet avec trente collages datés des jours où on ne s’était pas écrit. »
C’est incroyable. Et cela fait combien de lettres et de collages en tout ?« A la fin, ça fait presque 400 lettres et autour de 370 collages. Après cet épisode, j’ai reçu un ‘contrat’ de sa part, daté, qui a duré exactement un an. »
C’était quelqu’un de très systématique ?
« Ce n’était pas un contrat si formel que cela. Mais j’ai dit d’accord. Et au bout d’un an, je me suis dit que c’était bien comme cela. Quand je vois l’exposition aujourd’hui, je me dis que c’est fou ce que ça a donné. »
Même tant d’années, avec le recul, cela vous fait une autre impression de voir ces collages exposés plutôt que dans un carton à la maison…
« J’ai l’impression que, sans m’en rendre compte, j’ai des salles de musée dans un carton. Ils ont été déployés de la façon dont les curateurs l’ont fait, comme un chemin de fer le long du mur, chronologiquement, en vis-à-vis avec mes lettres. Rien de tout cela à l’origine n’avait été fait pour être publié ou vu. C’est donc très frais, ce n’est pas édité. Je demande donc beaucoup d’indulgence sur les lettres. C’est comme si on racontait l’histoire de deux personnes qui ont pensé l’un à l’autre tous les jours pendant un an. »
Vous n’êtes finalement pas devenue journaliste, mais sculpteur. Est-ce que c’est cette correspondance qui vous a fait dévier de votre objectif d’origine ?« En fait, j’ai commencé à faire de la sculpture, parallèlement à mes études de journaliste que j’ai quand même mené à bout. Je suis devenue sculpteur en effet, mais les mots ont beaucoup d’importance pour moi. A partir des mots, j’ai viré vers les objets, les objets remplacent les mots, contenant des significations, un symbolisme et qui assemblés créent pour moi plus que les mots. En même temps, je pense que je suis comme un sculpteur littéraire. Il y a comme des histoires dans mes sculptures, des significations occultes que l’on pourrait dire avec des mots. »
Sentez-vous que Jiří Kolář, son art, son inspiration, vous portent ?« Ce qui est amusant, c’est que pendant toutes ces années, ces 25 ans, j’y ai évidemment pensé, j’ai eu cette histoire en moi, mais malgré tout ma vie a été bien remplie. J’ai vécu dans beaucoup de pays, rencontré de nombreux artistes, fait de nombreuses expositions. Là, au moment où on a pensé à raconter cette histoire, je me suis replongée dans mes lettres, que j’ai reçues en photocopie vingt ans plus tard, et dans les collages. Avec le recul, je me rends compte qu’il y a beaucoup de choses qui m’ont influencée et que cela été quelque chose de très important pour moi. Mais sur le moment on n’y pense pas, on suit sa route, on est chargé de bagages que l’on rouvre de temps en temps. Et là, ça m’a envahie… »
C’est un peu la boîte de Pandore…
« Oui… Et c’est incroyable la manière dont cela a été mis en scène dans l’exposition. On peut se laisser aller, fureter, voir certaines analogies entre certains collages et certaines lettres. En dehors de l’intérêt des œuvres de Jiří Kolář, il y a un côté ludique, comme un livre d’histoires qu’on ouvre, avec un peu ce côté voyeur de rentrer au cœur d’une relation. »Qui était Jiří Kolář, quelle était sa personnalité telle que vous l’avez perçue à travers cette correspondance ?
« C’était une personnalité pleine d’humour, de poésie, de culture, de connexion entre des situations, des objets, des œuvres d’art. Quand je revois ses collages, je me dis que c’est aussi un cours d’histoire de l’art. En dehors de tout ce qui transparaît de ses œuvres, je dirais que pendant toute cette année-là, même s’il habitait Paris et moi aussi, on s’est très peu vus. J’étais un peu pudique. Comme je lui racontais ma vie, je n’étais pas forcément à l’aise de le rencontrer un mois plus tard… »La lettre permet une forme de distance…
« Voilà. Mais sinon c’était un grand artiste. J’ai eu la chance d’avoir reçu son enseignement, son humour. Aujourd’hui, je peux retourner vers ces collages et m’en nourrir. »Comment est née l’idée de cette exposition, de mettre ces lettres et ces collage face à face ?
« Il y a une amitié entre ma famille et ici, Olga Pujmanová, la présidente de l’association des amis de la Galerie nationale. Elle aussi vient à Etretat. C’est lors de ces semaines de vacances qu’on a parlé, qu’elle m’a sortie de mon trou et m’a aidée à relire ces lettres. Je n’étais pas forcément prête à les relire et les montrer. Grâce à elle, je me les suis réappropriées. Un article a été publié il y a un an dans le bulletin de la Galerie nationale de Prague où je racontais mes souvenirs et où Olga replace tout cela dans son contexte. C’est cet article qui a donné envie d’en voir plus. »
Rediffusion du 22/12/2012