Les Monologues du vagin, dix ans de dialogue avec le public tchèque

'Les Monologues du vagin', photo: Intimní divadlo Bláhové Dáši

Eve Ensler a écrit Les Monologues du vagin en 1996. Son livre a été traduit en 48 langues, y compris en tchèque, et la pièce a été jouée dans plus de 140 pays du monde. Et rares sont effectivement celles ou ceux n’ayant jamais entendu parler des Monologues du vagin en République tchèque. Depuis dix ans, l’équipe de l’actrice Dáša Bláhová joue la pièce à guichet fermé.

Photo: Edice V-DAY
Eve Ensler, dramaturge américaine, a recueilli les témoignages de femmes sur leur vie intime, des témoignages ayant tous trait au vagin. A partir de ce matériel, elle a publié un livre en 1996 et elle-même animé les premiers spectacles qui se sont déroulés au rez-de-chaussée d’un café new-yorkais. La même année, elle a reçu le Prix Obie, récompense décernée par l'hebdomadaire The Village Voice aux professionnels du théâtre de la ville de New York.

L’impulsion pour créer une version tchèque de cette pièce est venue de Dagmar Bláhová, actrice tchéco-australienne. Elle puise souvent ses sources d’inspiration dans le théâtre anglophone et a même traduit Les Monologues du vagin en tchèque. Dans la mise en scène d’Irena Žantovská, un trio d’actrices s'attaque à une vingtaine de monologues pour exposer expériences et perceptions autour du vagin. Dáša Bláhová remarque que la pièce est originale par au moins deux aspects :

« D’un côté, c’est un type de théâtre différent, il s’agit d'un théâtre documentaire. Par ailleurs, le sujet est particulier. Il se base sur des interviews d’Eve Ensler avec 200 femmes qui lui ont confié leurs histoires intimes au sens large. Le nom « Monologues du vagin » est la condition imposée par Eve Ensler. Certains théâtres voulaient éviter que le nom de la pièce contienne le mot vagin et voulaient l’appeler Les Monologues de la femme, mais c’est un droit d’auteur qu’il faut respecter et il faut accepter une provocation dans le bon sens du terme. Si on veut, on peut le qualifier de provocation, si on veut même, on peut l’appeler provocation féministe. »

'Les Monologues du vagin',  photo: Intimní divadlo Bláhové Dáši
Dans la version tchèque de ce spectacle, Dáša Bláhová est accompagnée sur scène par Michaela Seidlerová et Anna Polívková, cette dernière alternant avec Jitka Asterová. Aux Etats-Unis, plus de 140 actrices se sont relayées dans les rôles de cette pièce, parmi elles, Whoopy Goldberg, Winona Rider, Cate Blanchett, Goldie Hawn ou Jane Fonda. En mars 2012, Les Monologues du vagin ont même été joués par des membres du Parlement européen à Bruxelles. Qu’est-ce qui attire le public dans cette pièce ? Dáša Bláhová note au passage :

« Les gens qui n’ont pas vu le spectacle pensent parfois que c’est vulgaire, mais quand ils viennent, ils découvrent que ce n’est pas du tout le cas. Et je pense que dix ans de succès avec des salles à guichet fermé parlent d'eux-mêmes. »

Effectivement, le nom du spectacle éveille une certaine curiosité et joue probablement un rôle dans la popularité du show. En même temps, en République tchèque, l’équipe d'actrices ne fait quasiment pas de publicité et le public s’élargit pourtant sans cesse :

« Tout a commencé par des groupes des femmes très jeunes qui venaient au spectacle. Plus tard, elles ont amené leur mère, leurs amies filles et leurs amis garçons ; je dirais que notre public a vieilli en quelque sorte. Sans que l’on fasse de publicité, l’information sur le spectacle a profité du bouche à l’oreille et je touche du bois pour que ce sujet continue à intéresser les gens. »

'Les Monologues du vagin',  photo: Intimní divadlo Bláhové Dáši
Les Monologues du vagin touchent à des sujets très divers. Si certains sketchs parlent de l'orgasme, de la masturbation, de la découverte de soi et de son corps, d'autres ne font pas l'impasse sur des expériences traumatisantes, comme le viol ou les mutilations génitales. Eve Ensler a affirmé que, à l'origine célébration du vagin, la pièce a évolué vers la lutte contre la violence faite aux femmes. Ainsi, elle a également été à l’origine du V-day mouvement, un mouvement contre la violence faite aux femmes. Dáša Bláhová explique la façon dont elle et ses collègues font passer ces messages sérieux dans une pièce qui est conçue comme comique, du moins dans sa version tchèque :

« Chacune d'entre nous joue plusieurs personnages sans que leur âge ait par exemple un rapport avec le nôtre. Le spectacle suit une logique spécifique, c’est la dynamique entre l’humour et les sujets sérieux. J’ai vu les spectacles à Paris, à Londres et en Australie et je trouve que la capacité d’alterner les deux et d’en faire un bon dosage est un atout de la version tchèque de ce spectacle. Quand un homme rigole, il est plus réceptif à ce genre de messages aussi sérieux. Après un moment de rire, on est consterné et cela permet de nous rendre compte de la façon dont la vie est enrichie par l’interaction entre la femme et l'homme. »

'Les Monologues du vagin',  photo: Intimní divadlo Bláhové Dáši
La pièce a sans doute la vertu de briser des tabous. Elle refuse une forme de dissimulation linguistique et parle ouvertement de la sexualité féminine. Dans un des monologues, les spectatrices peuvent également réfléchir au vêtement que pourrait porter leur vagin (si celui-ci devait être habillé) – un béret ? un jean ? un manteau en cuir ou bien un collant en soie ? Si le vagin était capable de parler que dirait-il ? « Ralentis ! » « encore ! », « oui, non, pas par-là », « où est Brian ? ».

Des questions que la majorité du public ne s'est sans doute jamais posé. Un des monologues s’étend également sur le clitoris, cet organe féminin du plaisir sexuel dont la première description anatomique exacte date de… 1998, soit deux ans après la première parution du spectacle. Le public éclate de rire quand on rappelle que la seule fonction du clitoris est la jouissance. « Imaginez-vous combien on en entendrait parler si cet organe appartenait aux hommes ? » demande Gloria Steinem, féministe américaine à la renommée internationale, qui a signé la préface des Monologues du vagin.

Le sujet a un intérêt universel, même si une majorité de spectateurs sont des femmes. L’équipe tchèque joue également pour des lycéens, dont l’âge être supérieur à 17 ans. Dáša Bláhová ajoute :

'Les Monologues du vagin',  photo: Intimní divadlo Bláhové Dáši
« Ils sont un excellent public. Je me rappelle, une fois, ils nous ont écrit des lettres après le spectacle. Un garçon a même écrit, quelque chose qu’on ne recherchait certainement pas, qu’il avait honte d’être un homme. »

Donner honte aux hommes de leur masculinité, cela n’est certainement pas un but recherché. Néanmoins, les critiques adressées à la pièce remarquent très souvent que Les Monologues du vagin concentrent trop d’attention sur l'animosité entre femmes et hommes à propos de sujets de sexualité et omettent la dimension harmonieuse de leurs rapports. Une autre critique pointe du doigt une réduction de l’essence de la femme à son vagin. Peut-être en réponse à cette remarque, Eve Ensler a écrit une édition spéciale des Monologues qui racontaient les expériences de personnes transgenres. Et elle ne s’arrêtait pas au vagin. Elle a également créé en 2004 la pièce « The Good Body » (Le Bon corps) qui questionne la recherche imposée aux femmes de la beauté et de la perfection, la pression de l'apparence qui pèse sur elles. Cette pièce est mise en scène également en République tchèque. Dáša Bláhová :

'The Good Body',  photo: Intimní divadlo Bláhové Dáši
« Dans notre spectacle sur le corps nous utilisons même plusieurs outils gymnastiques pour mettre en valeur le corps féminin. C’est à nouveau des récits de femmes qui expliquent les raisons pour lesquelles les femmes changent certaines parties de leur corps. Le nom original de cette pièce est « The Good Body ». »

Le contenu des Monologues du vagin évolue. L’auteur choisit parfois d'ajouter un monologue qui lui paraît pertinent. Ensler en ajoute notamment un en 2003, avec l'écriture de « Sous la burqa », sur une femme afghane pendant la domination des Talibans, un monologue qui ne fait pas partie de l’édition tchèque du spectacle. Les parties des Monologues qui sont consacrées aux femmes du tiers monde sont également soumises à critiques dénonçant un regard colonialiste et occidental.

'Les Monologues du vagin',  photo: Intimní divadlo Bláhové Dáši
Néanmoins, dans la pièce, la prise de conscience des femmes de leur sexualité est posée comme une des conditions de la responsabilisation et du renforcement des femmes. Au vue de l’intérêt que continue à susciter cette pièce, et malgré les imperfections qui peuvent lui être reprochées, les Monologues du vagin sont devenus un phénomène. L'œuvre pose des questions toujours pertinentes pour un nombre croissant de femmes et d'hommes. Les dernières mots sont à Dáša Bláhová, l’actrice et traductrice tchèque de la pièce. Elle résume ce qui l’intéresse dans cette démarche à la lumière de sa trentaine d’années d'expérience artistique :

« Je jouais au théâtre de l’Est parisien à Gambetta avec Bolek Polívka, c’était une saison en 1979… et cela fait déjà beaucoup de temps depuis. Donc je ne parle plus français, mais je voulais surtout dire que cela fait longtemps que je fais du théâtre, et ce qui me plaît dans cela c’est que le spectacle que je joue doit non seulement être drôle, mais avoir quelque chose de plus. »