La Grande Boucle s’apprécie aussi au cinéma
La seizième édition du Festival du film français en République tchèque s’est achevée sur un record d’affluence avec plus de 20 660 spectateurs venus apprécier la crème de la cinématographie française contemporaine. Des spectateurs ont plébiscité un film qui parle justement de records puisque le prix du public a été attribué au long-métrage La Grande Boucle, l’histoire d’un homme passionné par le Tour de France, qui va se lancer dans l’aventure de cette compétition mondialement populaire pour regagner le cœur de sa femme. Laurent Tuel, le réalisateur de ce film était présent dans la capitale tchèque. Au micro de Radio Prague, il a d’abord évoqué la naissance de ce projet vélophile.
C’est vrai que je suis en plus très attaché au Tour de France, non pas pour l’aspect compétition, mais pour le côté rassemblement, pour cette tradition française. Cela a beau être ennuyeux, on regarde l’événement à la télé, cela dure des heures, il y a quelque chose de très plaisant à ce que cela existe. On peut haïr le Tour de France mais s’il disparaissait, le mois de juillet ne serait pas le même. Il y a cette logorrhée qui s’étale, avec les commentateurs…
C’est d’ailleurs l’un des aspects du film. Le personnage principal est joué par Clovis Cornillac. Sa femme, jouée par Elodie Bouchez, en a tellement marre de ce truc qu’elle met son mari face à un ultimatum. Finalement, elle le quitte. Le film raconte cette histoire d’amour. Le Tour de France n’est qu’un prétexte. »
Pourquoi le choix de Clovis Cornillac pour le rôle principal, sachant c’est un rôle assez physique...
« C’est un rôle physique, c’est vrai, mais ce n’est pas cela qui m’a déterminé. C’est plutôt que j’ai dit à Clovis qu’il serait mon Jean Gabin. Il me fait penser à Jean Gabin car il a quelque chose d’accessible, de populaire, et c’est un excellent acteur qui peut donner aux gens le sentiment d’être proche d’eux. Nous ne sommes pas avec une star qui va mettre une distance. Et comme il s’agit d’une histoire de gens ordinaires, je pense que Clovis dispose de cette qualité, de pouvoir se fondre dans l’histoire, avec un aspect réflexif. »Comment Clovis Cornillac s’est investi dans le rôle de ce personnage, qui se lance sur les traces du Tour de France ? Il s’est beaucoup entraîné ?
« Il s’est beaucoup entraîné. Clovis ne joue pas un champion cycliste, il n’en a pas du tout la morphologie. Il joue monsieur Tout-le-monde qui décide de faire quelque chose d’un petit peu exceptionnel. Beaucoup de gens peuvent le faire même s’il faut un petit peu d’entraînement, bien sûr. Mais ce n’est pas un champion de course, il n’est pas censé faire cela. Néanmoins, pour les besoins du film, comme on fait plusieurs prises, il faut être toute la journée sur le vélo et, cela, il l’a bien anticipé. C’est un grand professionnel dans son métier, il a compris que ce ne serait pas facile. Il a fait six mois d’entraînement, 3000 kilomètres, des cols, le tout sérieusement. Ainsi, au moment du tournage, quand je lui disais « Clovis, on remonte la montagne », il me répondait « Ok ». Il ne répondait pas : « Pas de problème ! », mais « Ok », il était capable de le faire. »
Ce film évoque justement l’articulation entre le sport professionnel et le sport amateur…« Quand on fait un film sur le Tour de France, on ne peut pas ne pas être un peu critique avec le « sport business », et avec les problèmes de dopage, de prise de drogues, le besoin qu’ont les gens de voir presque des gladiateurs se faire du mal et aller à la mort parce qu’ils prennent des substances et qu’on a besoin de records. Le film écorne un peu cela et montre que des gens peuvent faire aussi des choses exceptionnelles sans avoir recours à des produits dopants, et qu’on n’a pas besoin du culte de la performance absolue ou de créer des records inhumains avec tous les dangers que cela représente. Le film évoque cela sous des aspects de comédie. »
En République tchèque, il y a eu des exploits sportifs liés au Tour de France. En 2005, le Tchèque Josef Zimovčák a fait le Tour de France en grand bi. Et durant l’été 2013, six Tchèques ont décidé d’accomplir le centième Tour de France en trottinette. Que vous inspirent ces performances sportives ? Vous les connaissiez ?
« Oui, je connais ces choses-là ! Je trouve cela très sympa. D’autant plus que, très souvent, les personnes qui font cela associent leur performance à une cause. On l’a vu pour les orphelins d’Afrique ou pour récolter des fonds en faveur des sans-abris.
Lors de cette édition 2013, j’ai donné le départ lors de la première étape à Porto-Vecchio à des jeunes, des filles et des garçons, qui faisaient aussi le Tour de France un jour avant les pros. Ils sont arrivés sur les Champs-Élysées à leur rythme et ils faisaient cela sous les couleurs d’une association de lutte contre le cancer. Grâce à cela, ils ont récolté des fonds et cela met un peu le focus. »
Pour cette édition 2013, dans le même esprit, le contre-la-montre qui partait du Mont-Saint-Michel a été donné par le coureur cycliste tchèque unijambiste Jiří Ježek…« Le sport doit servir à cela. C’est un moyen de communication, pour rassembler les gens. La performance est bien sûr intéressante mais le Tour de France offre une vitrine pour plein de choses. L’intérêt de cette compétition, ce n’est pas seulement de voir les coureurs arriver les premiers. Beaucoup de gens passent leurs journées devant la télévision car on voyage. Cela est très bien fait par France 2 avec un spécialiste qui nous raconte l’histoire de France à travers le Tour, à travers ces pérégrinations dans le pays. On raconte l’histoire, la géographie, il y a plein d’anecdotes, d’invités… »
Quels ont été les lieux de tournage ? Comment avez-vous suivi le Tour de France ?
« Quand on a le scénario, on se demande en effet comment on va faire. Le Tour de France est organisé par une société privée et il faut avoir son accord. Et c’est assez compliqué parce que c’est une grosse machine le Tour de France. C’est 4000 journalistes qui sont accrédités et qui changent chaque jour d’hôtel. Il faut réserver les places deux à trois ans à l’avance. Il a fallu nous adapter car une équipe de cinéma, c’est aussi assez important. Ensuite, nous avons dû faire des choix, nous ne pouvions pas non plus tourner partout.
La difficulté avec l’organisateur ASO (Amaury Sport Organisation), c’était de trouver le moyen d’avoir la véracité du Tour. Il était très important de recréer cette ambiance et notamment avec la scène finale qui se passe sur les Champs-Élysées, il fallait faire « quelque chose qui en jette », qui soit fort, qui donne de l’émotion. Mettre des amateurs à l’intérieur de cette course était compliqué donc nous avons eu la possibilité d’avoir deux heures de tournage juste avant l’arrivée des coureurs professionnels. Les gens étaient très surpris par le peloton de 150 coureurs que nous avions recréé. « Qu’est-ce qu’ils font là !? Ils sont en avance !? » Les gens ne comprenaient pas. C’était très marrant de raconter notre histoire avec ce faux peloton. »
Les spectateurs encourageaient ces faux coureurs ?« Tout à fait ! Après, nous sommes passés avec un microphone pour leur dire qu’il s’agissait d’un tournage et de faire comme si c’était le vrai Tour de France. Les gens ont joué le jeu. C’était un peu une fête. »
Vous n’écartez pas non plus les sujets qui peuvent ternir ce sport, tels que la publicité à outrance ou encore le dopage…
« Même s’il y a un aspect conte de fée, on ne peut pas faire l’impasse là-dessus. Mon projet n’était pas de faire un film pamphlétaire mais un film où, en tant que père, j’ai envie d’y aller avec mon fils et puis d’emmener mon grand-père et que chacun trouve du plaisir. Le film a plusieurs échelles comme cela pour pouvoir être apprécié sans que personne ne s’ennuie. C’est de plus en plus rare selon moi les films qui rassemblent les familles. Mon projet était de réussir un film familial.
A l’intérieur de cela, on ne peut pas faire l’impasse sur les problèmes et on peut les traiter sous l’angle de la comédie. Ce n’était pas un film pamphlétaire mais on devait parler du dopage, du sport business qui devient complètement délirant, envahissant. On peut s’en moquer avec humour. »
Est-ce que Nelson Monfort est un acteur facile à diriger ?
« C’est un acteur en tout cas sympathique à avoir sur un plateau car il est vraiment lunaire, fantasque, comme cela… C’est un acteur car il aime vraiment cela. Il se prenait au jeu donc c’était sympa et facile. »
Il y a avait d’autres acteurs qui ne sont pas dans leur premier emploi… « Cela a été plus difficile avec Bernard Hinault et Laurent Jalabert, qui eux sont moins habitués à jouer la comédie que Nelson Monfort qui est quand même un commentateur télé habitué à jouer la comédie. »
Ils ont pourtant moins de lignes de dialogue…
« Ils ont moins de lignes de dialogue mais cela a pourtant été plus dur ! »
Pour terminer, il me semble que vous êtes déjà venu tourner en République tchèque ?
« J’ai tourné il y a une dizaine d’années un vidéoclip pour une chanteuse française. J’avais choisi de venir à Prague car il y a une atmosphère que j’aime beaucoup. En fait, j’ai commencé à aimer le cinéma en quelque sorte par Franz Kafka, par ses nouvelles. J’aime beaucoup le surréalisme et l’humour noir et Kafka est plein de cela. Notamment dans Le procès d’Orson Welles, un film que j’aime beaucoup, il y a une nouvelle de Kafka qui est faite au crayon, au fusain. J’ai toujours cela en tête, j’avais envie de retrouver cette ambiance en revenant à Prague. »