Les Filaments : « Alors qu’on n’a rien décidé à l’avance, on va pouvoir se comprendre » (1ère partie)
La première édition du festival Impro Prague a réuni plusieurs compagnies européennes d’improvisation au théâtre Švandovo Divadlo du 31 octobre au 2 novembre derniers. Aux côtés d’ensembles tchèques, trois compagnies étrangères sont montées sur scène : le « Theater im Banhof » de Graz en Autriche, la « Quicksilver productions » de Belgique et « Les Filaments » de Paris. Et c’est précisément cette troupe de cinq improvisateurs que Radio Prague a rencontrée après « Les mystères du grenier », son spectacle improvisé en anglais qui a fait rire la salle entière. Les Filaments, ce sont Nabla, Garo, Muriel, Jean-Michel et Marie. Ensemble, ils nous racontent avec humour les péripéties de la passion qui les a réunis : l’improvisation. Nous vous proposons la première partie de l'entretien.
Garo : « La communauté de l’improvisation à Paris fait qu’on se rencontre. On était chacun dans des spectacles, et on s’est croisé comme cela, en allant voir les spectacles les uns des autres. Et finalement, on s’est bien aimé. Je crois qu’on peut le dire ? »
Tous : « Oui, on peut le dire. » (rires)
Jean-Michel : « Jusqu’à maintenant… » (rires)
Garo : « Oui, jusqu’à maintenant, ça se passe bien. Et sans pour autant lâcher et arrêter les autres spectacles, on a eu envie de faire quelque chose ensemble. L’idée est venue comme lorsque l’on allume une ampoule : ça éclaire tout de suite. L’image de l’ampoule qui s’éclaire quand on a une idée, on s’est dit : ‘tiens, pourquoi pas Les Filaments ?’. »
Comment être-vous arrivés à l’improvisation ?
Tous : « Du coup, on a tous une histoire différente. »Nabla : « Cela fait une dizaine d’années que je fais de l’impro, et alors justement, il y a dix ans à peu près, j’ai assisté à un spectacle d’improvisation complètement par hasard, en suivant quelqu’un qui y allait et qui, lui, avait déjà fait de l’impro. A la fin, il est parti parler à ces supers héros qui avaient un spectacle en disant ‘j’aimerais bien m’entrainer avec vous et Nabla aussi’, alors que franchement je ne voulais pas. Mais j’y suis allé quand même et ce n’était pas facile, vraiment pas facile. La première séance, c’était horrible, donc j’avais prévu d’arrêter. Sauf que la deuxième séance, il n’y en avait pas. C’était un spectacle, et comme ils leur manquaient un joueur, ils ont demandé à mon pote, qui a dit ‘Ah non, moi je ne peux pas, mais Nabla, il veut bien’. (Rires). Donc, je suis monté sur scène au bout de deux semaines d’impro. Ça s’est plutôt très mal passé. Sauf la dernière scène, où je m’étais tellement énervé contre moi-même d’être nul, que j’ai donné plein d’énergie dans la dernière scène, qui a bien marché. Et comme j’ai eu des applaudissements, même trois, ça m’a donné un virus, que je n’ai jamais pu lâcher. J’ai toujours recherché d’autres applaudissements. J’ai mis du temps à comprendre pourquoi on en avait, mais maintenant que j’ai compris, c’est génial. Le virus est pris maintenant. Je suis rempli d’impro, partout. Je ne peux plus m’arrêter, j’ai commencé vraiment par hasard. »
Quand on parle d’improvisation, tout le monde s’imagine que tout est improvisé, n’y a-t-il pas quand même une méthode derrière ?
Nabla : « Il y a un milliard de méthodes…»
Muriel : « En fait, moi j’aime bien comparer à la musique. Dans la musique, il faut apprendre les notes, le solfège, mais ensuite, on peut improviser de la musique. Il faut juste connaitre les codes, le langage, que l’on utilise. En improvisation, c’est pareil, il y a des notes, on apprend la rythmique, on apprend le solfège de l’impro, et ensuite on a une page vierge et on improvise la musique ensemble. Donc, c’est un peu comme l’improvisation musicale, sauf que c’est avec les mots et le corps. »Garo : « Finalement, c’est une discipline artistique aussi. Donc, comme dans toute discipline, il faut faire ses gammes tous les jours. Ce ne sont pas des répétitions, ce sont des entrainements du coup, puisqu’il n’y a rien à répéter. A part tous ces codes, comme disait Muriel, qui font qu’à plusieurs, alors qu’on n’a rien décidé à l’avance, on va pouvoir se comprendre, accepter ce que disent les uns les autres, et surtout utiliser ce que disent les uns les autres pour créer quelque chose, un pas de plus, une nouvelle brique, dans cette histoire. Quand on a posé notre brique, l’autre en face va pouvoir se dire : « Génial, merci pour cette brique, je vais pouvoir poser la mienne maintenant dessus ». Et on avance comme cela, petit à petit, les histoires se construisent. Et, oui, c’est du travail. »
Alors justement, comment vous préparez-vous avant les représentations ?
Muriel : « On se connecte. »
Marie : « Il faut être ensemble, s’écouter. »
Nabla : « On se regarde. »
Muriel : « On se met en énergie. C’est un peu comme un sport aussi. On ne dit pas des répétitions, on dit des entrainements. Donc, avant un spectacle, on s’échauffe comme un gymnaste s’échauffe avant d’aller faire son exercice. »Garo : « On va s’échauffer physiquement, on va échauffer notre voix. »
Marie : « Se mettre en écoute les uns avec les autres. »
Jean-Michel : « On déconnecte notre cerveau, on échauffe notre cerveau, pour qu’il soit ouvert et que l’on sorte de cette fermeture que l’on a dans la journée, où on vit notre vie, et on est connecté à tout ce qui se passe. Et quand on va arriver sur scène, comme tout peut arriver, alors on doit être libre de tout, on doit se purger de toutes les choses négatives que l’on peut avoir en tête pour prendre tout ce qui va nous arriver de manière positive, et pour pouvoir jouer avec. »
Vous entendez-vous toujours bien ? Comment cela se passe-t-il ?
Muriel : « Alors, l’improvisation, c’est comme le Scrabble… (Rires) Je n’ai pas la suite. (Rires) »
Garo : « Quelqu’un rebondit sur cette brique ? C’est une grosse brique ! » (Rires)
Nabla : « On est des être humains. On partage une passion, donc il y a au moins cela qui fait que même si, parfois, on n’est pas forcément d’accord avec tout ce qui se passe, on travaille quand même ensemble. Et on le fait avec plaisir. On est quand même contents de se revoir et contents de retravailler ensemble. »
Marie : « On a très envie de rejouer ensemble, avec joie! » (Rires) Garo : « Jusqu’à aujourd’hui, en tout cas.» (Rires)
Nabla : « Par contre, c’est vrai qu’on n’est pas forcément des amis. On n’est pas obligé d’être des amis pour faire de l’improvisation. L’important, comme disait Muriel, c’est qu’on ait le même langage, qu’on ait envie de travailler avec l’autre, même juste pendant une heure et demie peut être. Mais quand on travaille, on travaille ensemble. Après, le reste de la vie… On a de la chance, on s’aime bien. On pourrait se détester et quand même travailler ensemble et faire des bons spectacles. »Muriel : « On en connait d’ailleurs qui se détestent et qui font de bons spectacles. »
Question travail, l’improvisation est-elle un travail à temps plein ?
Garo : « Ca dépend pour qui. »
Jean Michel : « Il y en a qui ont un job que l’on qualifie de normal … »
Muriel : « Il y en a qui ont un vrai job.. » (Rires)
Garo : « Il y en a qui ont un vrai job.. » (Rires)
Jean Michel : « Ou que l’on qualifie de standard, on va dire. Et donc ils font ca plus par plaisir, même si ca prend énormément de temps. Il y en a qui font cela de manière très professionnelle et à temps plein. »
Nabla : « Cela prend beaucoup de temps dans leur vie. » (Rires)
Marie : « Concrètement, Garo et Nabla sont professionnels, et Muriel, Jean-Mi et moi, non. »
Garo : « Professionnels dans le sens où notre revenu vient de l’activité de l’improvisation, ce qui ne veut pas dire uniquement de la scène. Ce qui veut dire dispenser des ateliers pour des élèves qui veulent apprendre l’improvisation, comme pour des ateliers que l’on peut donner dans des entreprises, le team building de base ou des choses un petit peu plus ciblées pour des commerciaux, par exemple. »
Nabla : « De la négociation, du management, n’importe quelle situation ou deux personnes doivent se parler ensemble. L’improvisation a des choses à apprendre, à enseigner. Des choses à apprendre… (Rires). Au moins des choses à enseigner (Rires). »Pour les personnes qui nous écoutent et pour lesquelles ce serait quelque chose d’abstrait, pouvez-vous décrire ce qui se passe sur scène quand les lumières s’éteignent ?
Nabla : « Le spectacle s’appelle ‘Les mystères du grenier’, ici ça s’appelait ‘The mysteries of the attic’, puisqu’on sait le faire en anglais aussi. (Rires). On sait traduire un titre en anglais. (Rires). Globalement, ce sont cinq amis qui vont en vacances, dans une maison qu’ils ont louée, et dans le grenier, ils trouvent une malle. Et à l’intérieur de la malle se trouvent des objets. Ces objets, en vrai, sont amenés par le public. Pas ici, car nous avions du mal à organiser. Donc, ce sont les organisateurs qui ont ramené des objets, même si on ne les avait pas vus. Quand le public amène des objets, on ne les voit pas non plus. Et pendant le spectacle, on ouvre cette malle, on prend un objet, que l’on ne connaissait pas avant, on raconte à quoi cela nous fait penser en une phrase et la lumière s’éteint. Et quand la lumière se rallume, une scène d’improvisation commence, inspirée par la suggestion de l’objet. Donc, c’est une suite de scènes courtes, plus ou moins courtes. Cela va de quinze secondes à douze ou quinze minutes, où on commence vierges, avec juste la suggestion qui flotte quelque part, et nous, notre boulot, c’est de créer la situation, nos relations, les aventures qui peuvent se produire, jusqu’à ce que l’on arrive à une fin valable… »
Garo : « Digne de ce nom. »
Nabla : « Digne d’une bonne fin et là, on fait un noir, pour revenir au grenier, pour choisir un autre objet, et on en fait une autre. Donc, ce qui se passe, c’est une connexion entre nous énorme pendant les scènes, parce que nous n’avons pas le choix, mais une connexion aussi avec le public, parce que l’on utilise les objets donnés par le public. »