Michel Perottino : « ANO a profité de l’ambiance anti-partis, mais beaucoup de questions restent ouvertes »
Pour analyser et commenter les résultats de ces élections législatives, Michel Perottino, politologue et professeur à la Faculté des sciences sociales de l’Université Charles à Prague.
« Effectivement, c’est d’abord une surprise, parce que je pense que l’on s’attendait à revoir le nombre renouvelé de cinq à six partis à la Chambre basse du Parlement. Sept partis, cela complique assez le jeu post-électoral pour former le nouveau gouvernement. On verra donc bien à quelle sauce nous allons être mangés. »
-Le parti social-démocrate était le grand favori de ces élections. Il les a effectivement remportées, mais avec moins de 21% des suffrages, très loin des 30% espérés par son leader Bohuslav Sobotka. Cette victoire ne ressemble-t-elle pas plutôt à une défaite ?
« On est dans un système proportionnel, donc, effectivement, c’est le premier parti en termes de suffrages. Il reste à savoir et à voir dans quelle mesure le parti va pouvoir utiliser son résultat pour former un gouvernement. On a déjà vu en 2010 qu’arriver en tête ne suffisait pas. »-Malgré tout, un peu moins de 21%, cela reste très loin des 30% espérés par la direction du parti. Comment expliquer ce résultat ? Les sondages laissaient à penser que le score se situerait aux alentours des 25 - 26%, or ce n’est pas le cas…
« Les sondages montraient plutôt un parti en légère augmentation au niveau de son résultat électoral, c’est plutôt un tassement qui s’est produit. D’une manière générale, je dirais qu’il y a une atmosphère assez anti-partis dans le milieu notamment médiatique, qui fait qu’une partie des voix, qui auraient pu se porter sur la social-démocratie, se sont reportées notamment vers ANO 2011, qui est un parti hétéroclite, tant au niveau de sa composition, qu’au niveau de son électorat. »-Avant d’évoquer ce nouveau parti ANO, qui signifie en français « Action des citoyens mécontents », restons un peu à gauche de cet échiquier politique tchèque : un peu moins de 21% pour la social-démocratie, 15% pour les communistes. La social-démocratie n’est-elle pas aussi un peu isolée à gauche ? C’est finalement le seul parti avec les communistes. Alors une collaboration avec ces derniers pour un gouvernement minoritaire était envisagée avant les élections, mais dans la situation actuelle, ces chiffres sont insuffisants…
« C’est effectivement insuffisant pour faire un gouvernement. La question subsidiaire est de savoir si la social-démocratie aurait formé un gouvernement avec les communistes si elle avait fait un meilleur résultat. La situation à gauche reste relativement stable dans la mesure où on a toujours ces deux partis présents. Jusqu’à présent, lorsque la social-démocratie a formé un gouvernement, ce qu’elle a déjà fait, elle avait plutôt cherché ses partenaires au centre ou au centre-droit. »-Que dire du score des communistes ?
« Il faut aller au-delà du pourcentage. Quand on regarde le nombre de voix obtenues par les communistes, on constate une augmentation légère du nombre d’électeurs, qui ont porté leur voix sur parti qui reste à la fois un parti protestataire et un parti identitaire. »
-Aujourd’hui, qui sont ses électeurs ?« C’est relativement difficile à évaluer sans données sociologiques ou sans statistiques. Mais manifestement, c’est plutôt un électorat relativement âgé, ou plus âgé que la moyenne, et économiquement relativement faible. »
-Compte tenu des résultats, quel pourrait être le rôle des communistes dans les négociations qui vont suivre pour la formation du gouvernement ? Le parti communiste est quand même la troisième force, mais cette fois, à la différence des élections précédentes, l’écart avec les deux partis qui le précédent est plus réduit.
« L’écart est certes réduit, mais d’un autre côté, je crois que la plupart ou même tous les partis présents ont manifesté leur volonté de ne pas participer à un gouvernement qui serait soutenu, ou composé a fortiori, par les communistes. »
-Lors des élections législatives de 2010, le parti social-démocrate était déjà arrivé en tête, mais avait ensuite été dans l’incapacité de former une coalition gouvernementale. Cette situation peut-elle se reproduire ?« C’est tout à fait envisageable. La situation est tellement difficile à analyser aujourd’hui sans avoir de données plus précises, notamment sur les positions des deux nouveaux partis. Prévoir aujourd’hui ou essayer d’envisager ce qui va se produire est assez difficile. »
La grande nouveauté de ces élections est l’apparition du parti Action des citoyens mécontents (ANO 2011). Celui-ci récolte près de 19% des suffrages. Un score relativement élevé quelque peu surprenant, même si un score à deux chiffres était annoncé. Notre collaborateur est présent au quartier général de ce parti. Quelle est l’ambiance sur place ?
AR : « Plutôt une bonne ambiance comme vous pouvez l’imaginer. On se congratule et on se tape sur l’épaule. La formation ANO d’Andrej Babiš sera la deuxième force politique du pays à la prochaine Chambre des députés. Tout le monde se félicite, mais tout le monde refuse de spéculer sur les prochaines négociations. C’est un vrai succès pour ce milliardaire né en Slovaquie. Il faut rappeler qu’il est soupçonné d’avoir collaboré avec la police secrète communiste (la StB). Il avait donc des handicaps difficiles et Andrej Babiš, surnommé Babisconi par ses critiques pour ses quelques points communs avec le Cavaliere italien, a réussi un drôle de coup politique. »
-Michel Perottino, que peut-on ajouter sur ce parti ANO ?« On a beaucoup focalisé, à la fin de la campagne électorale en particulier, sur les rapports qu’avaient entretenus Andrej Babis avec la police secrète tchécoslovaque. A mon avis, c’est un problème un peu secondaire à côté d’autres problématiques. Sur le plan politologique, on a une théorie assez classique aujourd’hui qui s’appelle « business firm party », qui part notamment de l’expérience italienne avec les partis de Berlusconi. Le problème majeur ici est lié au fait qu’il y a un entrepreneur qui investit dans un parti politique. Et, a priori, un entrepreneur qui investit veut avoir des retours sur ses investissements. A ce niveau, toute une série de questions restent donc en suspens et vont devoir être résolues dans un futur assez proche. Cela rappelle aussi par certains aspects les dernières élections avec le parti Affaires publiques (Věci veřejné) qui avait un profil assez similaire. »
-Andrej Babiš est parvenu à rassembler autour de lui diverses personnalités qui disposent tout de même d’un certain crédit moral auprès des Tchèques. ANO, ce n’est donc pas seulement Andrej Babiš. Celui-ci a visiblement su bien s’entourer…« Absolument, il faut toujours distinguer entre cet entrepreneur qui investit et des gens qui peuvent être tout à fait bien-pensants et corrects. On verra encore une fois ce qui va se produire dans les mois à venir. L’autre problème qui se pose est de savoir dans quelle mesure un parti aussi hétéroclite, composé d’autant de personnalités avec leur caractère, leurs points forts, leurs points faibles, va être en mesure de pouvoir agir notamment au niveau parlementaire. Sera-t-il suffisamment discipliné pour être un parti sur lequel on peut s’appuyer ? Ce sont des questions qui restent ouvertes aujourd’hui. »
-ANO a fait de la lutte contre la corruption sa priorité, mais au-delà de cela, comment présenter son programme et où placer cette formation sur l’échiquier politique tchèque ?« C’est une grande question dont on n’a pas encore la réponse. Sur un plan très général, c’est une formation hétéroclite et un peu « catch all », c’est-à-dire qui essaye d’englober beaucoup plus qu’un seul courant ou un seul programme idéologique. Je crois que l’avantage de Babiš pour ces élections est non seulement d’avoir pu mettre beaucoup d’argent sur la table, directement ou par des soutiens financiers, mais aussi d’avoir pu bénéficier de la situation gouvernementale de Petr Nečas en particulier et puis de la crise que traverse notamment l’ODS aujourd’hui. »
-Comment expliquer qu’un un parti qui a été créé il y a seulement deux ans de cela, dont on ne sait pas grand-chose et dont le leader est un personnage controversé parvienne à recueillir 20% des suffrages ?« La question de ce point de vue-là est de voir dans quelle mesure le programme joue un rôle qui influence l’électorat. C’est un parti qui s’est positionné assez clairement sur certaines questions et s’est trouvée en position favorable par rapport à d’autres partis déjà existants, en particulier TOP 09 et l’ODS. Il a donc bénéficié de la crise que traversent ces partis. D’une manière générale, ANO a également profité de l’ambiance anti-partis. La question par exemple de la lutte contre la corruption est un cheval de bataille que l’on retrouve depuis déjà quelques années. C’était celui des Affaires publiques, c’est devenu celui de Lidem, de ce point de vue-là, on est donc dans la continuité. »
-Malgré tout, qu’est-ce qui différencie les Affaires publiques, nouveau parti qui avait accédé à les chambres des députés en 2010, et ANO ?« La structure d’ANO est sans doute plus claire, de par notamment la domination financière d’Andrej Babiš. Il joue un rôle beaucoup plus important que celui qu’avaient pu jouer les leaders des Affaires publiques. C’est un parti qui est un peu plus lisible, dans le sens où l’on sait qui dirige le parti et quels sont ses objectifs. »
-Les deux anciens partis conservateurs de l’ancienne coalition gouvernementale, TOP 09 et l’ODS, réalisent de mauvais résultats, voire même un très mauvais pour l’ODS. S’agit-il pour eux d’un vote sanction ?
« Très certainement, et principalement contre l’ODS qui a fait les frais de la crise qu’il vient de traverser. Mais c’est une crise beaucoup plus longue qui diminue ce parti depuis plusieurs années. »-Un mot aussi sur le retour des chrétiens-démocrates au Parlement…
« Sur le plan politologique, c’est un parti qui fait plaisir. C’est un parti qui existe vraiment sur le terrain avec des militants qui travaillent au quotidien. Même s’il était resté au Sénat, sa disparition temporaire de la Chambre basse était assez atypique. C’est-à-dire que tous les partis qui jusqu’à présent ont disparu de la scène parlementaire n’ont jamais réussi à y revenir.