« Inventura demokracie » : activisme étudiant contre apathie de la société ?

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« Inventura demokracie » (« L’Inventaire de la démocratie » en français) est une association étudiante qui mobilise ses sympathisants autour des sujets politiques et qui a pour vocation de contribuer à la transmission de l’héritage démocratique de la Révolution de velours. Depuis sa création en 2008, ses activités se sont diversifiées et ses membres abordent régulièrement les sujets d’actualité. Si on a parfois un peu de mal à distinguer ce groupe étudiant des autres, c’est peut être parce que « Inventura demokracie » semble être un exemple représentatif de l’activisme étudiant et démocratique en République tchèque.

Selon le fondateur d’ « Inventura demokracie », Jiří Boudal, l’idée de l’inventaire a été choisie parce qu’elle porte une image très claire sans avoir de connotation négative. Chaque magasin doit parfois fermer pour faire son inventaire et vérifier que tout est bien en ordre. De la même manière, une démocratie devrait avoir cette capacité à réfléchir sur ce qui ne va pas, le détecter et corriger.

Radio Prague a participé à un des derniers événements organisés par « Inventura demokracie » : une manifestation à Prague au cours de laquelle nous avons fait la connaissance de Kristýna Opletalová, membre active de l’association.

Le 6 août dernier, Kristýna Opletalová a pris la parole pour expliquer aux quelques 300 participants, essentiellement des jeunes, que l’objectif de son association est d’améliorer la culture de la pratique politique et de rejeter les décisions du chef de l’Etat suite à la démission du gouvernement de Petr Nečas :

Kristýna Opletalová,  photo: Site officiel de l' initiative Inventura demokracie
« Nous avons décidé d’organiser cette manifestation parce que nous sommes contre la nomination du gouvernement de Jiří Rusnok et parce que nous sommes en désaccord avec les opinions du président Miloš Zeman. »

La mémoire politique étant parfois courte et l’agenda politique chargé, les décisions prises par Miloš Zeman cet été sont déjà presque toutes tombées dans l’oubli. Pour autant, « Inventura demokracie » faisait partie de ceux qui entendaient réagir tout de suite à la crise politique et s’exprimer surtout contre la gestion du pays par un gouvernement illégitime à leurs yeux :

« Le gouvernement de Jiří Rusnok n’a pas obtenu la confiance de la Chambre des députés et nous avons donc un gouvernement sans mandat. »

Outre les sujets d’actualité, l’initiative « Inventura demokracie » se concentre également plus particulièrement sur quatre priorités : la mise en place d’une régulation législative du lobbying, la régulation de la procédure de nomination des membres des conseils de l’audiovisuel, l’interdiction de l’ajout de compléments à des textes de lois traitant d’une tout autre thématique (une pratique fréquente pour des sujets controversés) et la limitation de l’immunité parlementaire. Ce dernier sujet a mieux fait connaître l’association au plus grand public en raison de sa campagne : « Je ne ferai pas l’amour tant que les hommes politiques n’auront pas limité leur immunité ». La campagne, qui a duré à peu près un mois, a reçu le soutien de nombreuses personnalités. Finalement, les législateurs n’ont pas limité leur immunité parlementaire et se sont contentés de se mettre fin à la protection à vie dont ils bénéficiaient et la réduire à l’exercice de leur mandat.

Mais revenons vers Kristýna Opletalová, qui présente plus en détails « Inventura demokracie » et son engagement :

Photo: Facebook de l' initiative Inventura demokracie
« Je suis membre d’Inventura demokracie depuis 2011, mais l’association a été fondée trois ans plus tôt. Les étudiants qui l’ont fondée ont défini quatre problèmes de la démocratie tchèque qu’ils voulaient changer. En parallèle, il y a eu le vingtaine anniversaire de la Révolution de velours, et grâce à cette impulsion, ses membres ont commencé à se réunir régulièrement, à rencontrer des hommes politiques, etc. »

Kristýna Opletalová dévoile aussi le derrière de la scène d’« Inventura demokracie » :

« Maintenant, nous sommes une association officielle, cela veut dire que nous avons un statut de personne juridique. Mais dans le passé, c’était seulement un groupe informel d’étudiants et d’amis qui se retrouvaient dans les cafés pour discuter. »

Et quand une actualité politique est à l’ordre du jour, les réunions deviennent plus fréquentes. Il s’agit alors de rédiger des communiqués de presse, d’animer des réseaux sociaux ou de dessiner des caricatures…Tout cela bien entendu sous forme de bénévolat. L’association reste petite et donc opérationnelle. Kristýna Opletalová :

Photo: Facebook de l' initiative Inventura demokracie
« Il y a à peu près dix ou quinze personnes à Inventura demokracie, cela veut dire que ces dix-là constituent le cœur de l’association. Quand on se retrouve dans un café, il y a entre cinq et dix personnes. Tout le monde ou presque a une fonction dans cette association. »

Les manifestations, comme celle à Klárov dans le centre de Prague, sont peut-être les plus visibles, mais l’activité des étudiants est continuelle et consiste beaucoup plus dans des réunions plus confidentielles avec des hommes politiques. Kristýna Opletalová nous en dit plus :

« D’une part, nous faisons des interviews avec des hommes politiques. Concrètement, on organise un rendez-vous à la Chambre des députés, on vient avec la caméra, on pose des questions et on enregistre les réponses de la personne, dont le résumé est ensuite mis en ligne. D’autre part, on organise des discussions publiques. Par exemple, à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution de velours, on a invité quelques personnalités, quelqu’un du groupe étudiant de 1989, des experts et des hommes politiques. Nous faisons aussi du lobbying avec la plateforme Rekonstrukce státu (« La Reconstruction de l’Etat »). Cela revient parfois à se mettre devant la Chambre des députés, à parler avec les hommes politiques en leur donnant nos dépliants et en essayant de les convaincre des vertus d’un projet. »

Certains peuvent être sceptiques sur le contenu des propos des hommes politiques face à des étudiants équipés d’une caméra, mais Kristýna Opletalová nuance :

Photo: Facebook de l' initiative Inventura demokracie
« Il y a bien sûr des hommes politiques qui ne veulent pas qu’on utilise la caméra et on doit le respecter. Mais la plupart d’entre eux sont habitués aux médias et aux journalistes, et cela ne leur pose aucun problème. Cela dépend vraiment des cas. Après, il y a des députés qui parlent très vaguement, mais il y en a aussi qui sont très ouverts, qui répondent à toutes nos questions et nous donnent des documents et du matériel. »

Le travail de l’association n’est pas toujours simple. Il est aussi l’objet de rejets et de réactions négatives. Certains hommes politiques ont explicitement refusé ne serait-ce que de regarder le « bulletin de notes » préparé par l’équipe d’« Inventura », document basé sur les résultats de leur parti dans les quatre domaines de priorité. Avant la manifestation en août, le site Facebook de l’association a été bloqué. Kristýna Opletalová remarque que c’était la première fois :

Photo: Facebook de l' initiative Inventura demokracie
« On ne sait pas pourquoi notre site a été bloqué, mais ce n’est pas une situation normale. Cela est arrivé un ou deux jours avant la manifestation, nous avons aussi reçu des emails dans lesquels les gens écrivaient qu’ils nous détestaient et que notre initiative était stupide. »

Malgré les difficultés occasionnelles, l’association entre dans sa sixième année d’existence, une étape souvent délicate pour un groupe étudiant. Les fondateurs d’« Inventura demokracie » ont néanmoins réussi à assurer un renouvellement de génération. La nouvelle équipe reste fidèle aux objectifs originels, mais développe aussi ses propres initiatives. A la recherche permanente de nouveaux membres, Kristýna Opletalová conclut que l’adhésion à « Inventura demokracie » est ouverte à tous les jeunes que l’état de la démocratie tchèque ne laisse pas indifférents.