Robert Sedláček : « L’histoire n’est pas quelque chose de donné »
Ce nouveau chapitre de l’histoire ne va pas se contenter d’explorer une période unique, mais bien plusieurs évènements. Vendredi dernier a débuté le festival « L’école du film d’été » - « Letní filmová škola » dans la ville d’Uherské Hradiště au sud-est de la Moravie. Le festival, qui n’a pas d’aspect compétitif, en est déjà à sa 39e édition, ce qui en fait l’un des plus anciens du pays. C’est là-bas qu’a été diffusée la première de trois films historiques, issus d’un cycle de neuf parties au total destinées à la télévision : « Le Siècle tchèque ».
« Tous les thèmes et sujets sont intéressants par le fait qu’ils provoquent plusieurs questions : est-ce que cela pouvait se faire d’une autre manière ? Et qui sommes-nous en fin de compte ? Ces sujets suscitent également des questions relatives à la définition de la lâcheté, du réalisme et de l’héroïsme. Et c’est ce qui est intéressant. L’histoire devrait servir à cela : se centrer sur un sujet pour qu’il vous enrichisse intellectuellement. Trembler de colère ou d’exaltation, je n’y arrive pas tellement, surtout avec l’histoire. Je prends l’histoire pour du matériel de réflexion et si je réussis à le terminer comme je l’avais prévu, alors grâce à cela je permets au spectateur cette réflexion. Taper des poings sur la table et dire « quelle bande de chieurs ou de héros on est ! », ce débat, je le laisse aux discussions de comptoir. »
Le tournage de la suite du cycle, et plus précisément, des évènements de l’année 1968, ayant attrait au Printemps de Prague, ne débutera que dans trois semaines. Toutefois, Robert Sedláček nous dévoile la difficulté de la réalisation d’un projet historique aussi considérable à l’aune des nombreuses informations qui nous sont inconnues :« Il y a une magie particulière et c’est le fait que la plupart des choses se passent à huis clos, nous ne savons pas exactement ce qui a été dit. Mais, il existe pleins de mémoires et de notes. Et ce qui est intéressant pour les historiens et les auteurs, c’est que même les personnes qui ont participé aux discussions, témoignent souvent de façon contradictoire. Elles interprètent ce qui s’est déroulé et ce qui a été dit de manière complètement différente. Donc, en tant qu’auteurs, nous avons une certaine liberté dans l’écriture des dialogues. Nous étudions les mémoires, les notes des discussions officielles. Et nous avons un grand avantage : nous savons comment s’est terminé le cours de l’histoire. Nous connaissons les causes, ou du moins on croit les connaitre, mais nous connaissons la fin. Et dans ce contexte là, il devient plus facile de raconter. Je vous dirais une autre petite anecdote : les communistes prenaient des notes sur les discussions, déjà en 1948. Mais ce qui était intéressant c’est qu’ils parlaient de façon vraiment très vulgaire. C’étaient des canaux de gros mots, d’une réunion politique à l’autre. On a dû rayer beaucoup de ces grossièretés, vulgarismes et invectives, pour que l’on puisse diffuser cela en prime time. »
Le dramaturge du l’Ecole du film d’été, Jaroslav Sedláček, nous a dévoilé que l’accueil de ces trois chapitres de l’Histoire du XXe siècle a été plus que positif, tout en évoquant que la mémoire peut parfois être un obstacle important. Jaroslav Sedláček :« Ce qui rend ce projet passionnant, c’est le fait que les scénaristes, Pavel Kosatík et Robert Sedláček, ont réussi à rendre l’époque d’antan très présente, en ouvrant des discussions sur le sujet. Car nous allions tous à l’école, où plein de choses se racontaient en noir et blanc, de façon très propagandiste et nous ne savions pas beaucoup de choses. Par exemple, Pavel Kosatík, un des scénaristes, s’est laissé entendre dire qu’il était en admiration de l’exactitude de la documentation allemande des moments historiques clés, avec lesquels les historiens peuvent travailler. Mais malheureusement par rapport aux événements de 1938, par exemple, les archives historiques sont très menues. De ce fait, les mémoires viennent compléter l’évènement, ce qui comporte des risques d’imprécision. Et ceux qui se souviennent peuvent se chercher des chemins pour se défendre eux-mêmes, allant à l’encontre de la vérité objective. »
Si le début de ce projet ne devait compter que huit films, les scénaristes, Robert Sedláček lui-même et Pavel Kosatík, se sont rapidement rendus compte que la fédération tchécoslovaque s’était effondrée très peu de temps après la chute du communisme – une fédération qui avait été le rêve du président Tomáš Masaryk et l’illusion de beaucoup de tchèques et slovaques, qui aurait traduit une capacité, une aptitude au vivre ensemble, au sein d’un seul pays. Un dernier et neuvième épisode clôturera le cycle, qui devrait répondre à la question de savoir « comment nous nous sommes rencontrés et comment nous nous sommes quittés. » Pour Robert Sedláček, cette reproduction de l’histoire est primordiale. Il explique pourquoi :« Cela devrait éveiller quelque chose chez les gens, que ce soit une identification, ou que ce soit le fait de se dire « mon dieu, ce n’est pas possible, je ne me souviens pas que cela s’est passé ainsi ». Et cela vous contraindra à défendre votre propre version de l’histoire. Car l’histoire n’est pas quelque chose de fixe et de donnée. Chaque nouveau pouvoir politique l’explique différemment. Moi-même, j’ai déjà entendu trois interprétations différentes de cette même histoire. Mais l’histoire c’est celle en laquelle nous croyons nous-mêmes. Et c’est à partir de là que découle notre comportement. Alors, que les jeunes fassent un effort ! Moi j’ai eu du mal avec cela toute ma vie. »
Si le festival « L’école du film d’été » se poursuit jusqu’à ce samedi 3 août, les premiers cinq films de ce cycle historique seront diffusées à la télévision tchèque à partir du mois d’octobre. Les quatre autres films, actuellement en cours de tournage, seront présentés au grand public à l’automne 2014, et compléteront ainsi ce projet.