Le temps suspendu au musée photographique de Josef Seidel

Photo:Zdeňka Kuchyňová

Il y a tout juste 5 ans, le musée de Josef Seidel, l'un des pionniers de la photographie tchèque, a été inauguré à Český Krumlov. C'est une véritable histoire de la photo qui est mise en place dans l'atelier Seidel remanié en musée, ainsi qu'une véritable chronique de la région frontalière entre la Bohême, la Bavière et l'Autriche. Dans son fonds, l'établissement abrite plus de 140 000 plaques de verre sur lesquelles l'histoire de la région et de ses habitants de la fin du XIXe et du début du XXe siècles revit.

Photo: CzechTourism
Lors des travaux de restauration de l'atelier Josef Seidel situé à la rue Linecká - de Linz - non loin du noyau historique de Český Krumlov, on a retrouvé l'équipement d'origine de la fin du XIXe et du début du XXe siècles : près de 70 appareils photographiques et de grossissement d'époque encore en état de fonctionner, ainsi que 140 000 plaques de verre et épreuves négatives en celluloïds, albums, cartes de vue et clichés, sont restés à leur place comme si le maître photographe avait quitté l'atelier un instant plus tôt. Le fonds de développement de Český Krumlov qui a racheté en 2005 la villa aux héritiers de la famille y a ouvert, il y a 5 ans, un musée. Miroslav Reitinger est son directeur :

« L'atelier photographique Seidel est tout à fait rare même à une échelle mondiale, grâce à son authenticité, la complexité de l'équipement photographique conservé et l'étendue des plaques photographiques retrouvées. On peut aujourd'hui admirer la villa entièrement restaurée jusqu'aux moindres détails, ainsi que l'atelier photographique qu'elle abrite. »

Photo:Zdeňka Kuchyňová
La villa de style Art Nouveau a servi d'atelier photographique depuis 1905 jusqu'en 1949. Josef Seidel y a travaillé jusqu'à sa mort, en 1935, ensuite, c'est son fils, František, qui hérite de la passion pour la photographie de son père, raconte le manager du projet, Petr Hudičák :

« Les archives de Josef et František Seidel présentent la plus grande rareté de ce musée. Toutes les commandes réalisées entre les années 1884 et 1952 ont été inscrites sur un registre de clients, ce qui permet d'identifier les personnes photographiées. Ainsi, l'histoire des familles de Český Krumlov et de ses environs plus ou moins éloignés a été sauvegardée dans ces archives. De cette manière, Josef Seidel est devenu un chroniqueur singulier de la Šumava, ne serait-ce que pour avoir saisi les portraits de personnes qui devaient quitter en hâte le lieu, non seulement des Autrichiens, des Allemands, mais aussi des Tchèques qui, en partant, n'ont pas eu le temps de prendre avec eux des photos. Les archives du musée Seidel permettent aux descendants de ces personnes d'y retrouver leurs ancêtres, sur des photos qu'ils n'avaient pas eu l'occasion de voir depuis plus de 50 ans. »

Photo:Zdeňka Kuchyňová
Le musée Seidel de Český Krumlov garde ainsi la mémoire de toute une culture. Au rez-de-chaussée de la maison, un film nous familiarise avec le personnage du photographe Josef Seidel : né en 1859 en Bohême du nord, il apprend le métier de photographe en Roumaine, avant de gagner sa vie comme retoucheur photo professionnel à Vienne. Dans les années 1880, il fonde un atelier prospère à Český Krumlov et devient pionnier des techniques photographiques en Bohême. D'une part, il se spécialise dans les photos portraits, de l'autre, il saisit les beautés de la Šumava, toutes saisons confondues. Lorsqu'il meurt, à l'âge de ses 76 ans, il laisse derrière lui une oeuvre abondante d'environ 140 000 plaques photographiques sur lesquelles prédominent la région de la Šumava, ses habitants, sa nature, ses villages et ses monuments aujourd'hui en partie disparus.

Photo:Zdeňka Kuchyňová
L'équipement technique du musée photographique de Josef Seidel reporte le visiteur aux temps où le courant électrique n'était pas encore transporté à Český Krumlov et où faire une image photographique était une vraie aventure. Petr Hudičák explique :

« L'atelier photographique édifié par Josef Seidel a été le plus moderne en son temps dans le sud de la Bohême. L'absence de courant électrique l'a toutefois obligé à utiliser la technologie de copiage à l'aide de la lumière. Dans une chambre noire, il a rempli la plaque d'une couche d'émulsion photographique sur laquelle il a ensuite projeté de la lumière naturelle pénétrant par un mur en verre dans la pièce voisine. Après plusieurs minutes, il est rentré dans la chambre noire pour y terminer le processus chimique. »

Photo:Zdeňka Kuchyňová
L'atelier Seidel faisait partie des dix premiers éditeurs de cartes postales dans le pays, avec les plus de 120 000 exemplaires de cartes aux motifs différents émis en l'espace d'une seule année. Les plus prisées ont été les images du mont Špičák, des lacs de la Šumava, et celles des sommets éloignés des Alpes saisis du haut de la montagne Kleť. Josef Seidel est aussi parmi les premiers photographes tchèques qui se servent de la technique d'autochrome – un procédé de restitution photographique des couleurs breveté en 1903 par les frères Lumière.

Or Josef Seidel s'est inscrit dans l'histoire de la photographie notamment en tant que chroniqueur de la Šumava. Les clichés retrouvés dans son atelier fournissent un témoignage précieux de toute une époque, ils sont la mémoire d'une culture ayant forgé pendant des siècles le caractère de cette région frontalière. Des photographies de Josef Seidel paraissaient dans une revue publiée par la population de langue allemande de la Šumava, ainsi que dans d'autres périodiques locales.

Petr Hudičák,  photo:Zdeňka Kuchyňová
Aspect politico-historique de l'exposition photographique au musée Seidel : la question allemande et l'évolution d'après-guerre dans l'ancienne Tchécoslovaquie. Comme le note Petr Hudičák, sur les destinées mouvementées de la famille Seidel, il est possible de documenter la difficile période de la première moitié du XXe siècle, la mise en oeuvre des décrets Beneš ainsi que les réprésailles du régime communiste :

« Fondateur de la social-démocratie allemande en Bohême du sud, à Český Krumlov, Josef Seidel faisait partie d'une délégation d'Allemands de Bohême du sud qui, en 1919, a négocié avec le Premier ministre d'alors, Karel Kramář, sur la détermination des Allemands de cette région. Kramář a alors répondu qu'il ne s'agissait pas d'une question d'importance. Il est fort probable qu'une approche pareille ait eu une influence, bien qu'indirecte, sur les événements de la fin des années 1930. »

Josef Seidel
Quant au fils de Josef Seidel, František, il a été arrêté en 1939 par la Gestapo. Après la guerre, il a échappé à l'expulsion des Allemands des Sudètes, en continuant à gérer l'entreprise familiale. Le coup de Prague intervient négativement dans ses activités : en 1949, il est contraint de remettre à la police d'Etat les clichés de son père ayant servi à la production des cartes postales. La fin inévitable de l'atelier Seidel arrive en 1953.

A l'occasion du cinquième anniversaire de l'inauguration du musée de Josef Seidel à Český Krumlov, Petr Hudičák rappele les objectifs du projet, ainsi qu'une distinction attribuée dans le cadre d'un concours national des musées :

« C'est à la fois le cinquième anniversaire depuis l'attribution du prix du ministère de la Culture pour le meilleur projet de l'année, Gloria Musealis 2009. L'objectif de notre projet était de présenter l'oeuvre de Josef Seidel, ainsi que l'histoire de la vie d'une région où se croisaient et coexistaient, des siècles durant, les cultures tchèque, allemande et autrichienne. Il faut se féliciter de ce que la maison de Josef Seidel de 1905 complètement restaurée ait retrouvée son importance d'origine. »

Photo:Zdeňka Kuchyňová
Les archives de Josef Seidel comprenant les clichés effectués entre les années 1884 – 1953 n'ont pas encore livré tous leurs secrets. En numérisant les vieilles plaques photographiques, des historiens ont retrouvé des photos inédites du président Edvard Beneš, celles de familles expulsées, ainsi que des prises uniques montrant des soldats français internés pendant la Seconde Guerre mondiale dans des camps de travaux forcés sur le territoire tchécoslovaque. Ces photos sont actuellement examinées par l'Institut pour l'étude des régimes totalitaires.

Plus d'infos sur www.seidel.cz