Les rotondes, trésors oubliés de l’art roman à Prague
La plupart des guides touristiques sur Prague sont organisés de manière chronologique et dans la revue des monuments historiques qu’ils proposent, l’art roman figure souvent dans les premières pages. La présentation des rotondes, qui sont des vestiges de l’art roman, reste généralement brève. Nous allons aujourd’hui leur rendre hommage en proposant aux auditeurs une visite thématique des rotondes de Prague.
« En ce qui concerne les caractéristiques, il s’agit d’une maçonnerie en pierre de taille. En milieu tchèque c’est principalement la marne. Les autres éléments caractéristiques sont : la présence de l’abside et l’achèvement du cœur en fer à cheval qui ressort de la masse du bâtiment. On retrouve aussi la tribune, la voûte en berceau ou bien le portail à ébrasement, la lanterne et bien sûr la caractéristique la plus significative, la fenêtre géminée. »
Pourtant, tous les bâtiments qui remplissent une ou plusieurs de ces caractéristiques ne sont pas nécessairement des rotondes romanes. C’est le cas notamment de la chapelle Sainte-Madeleine qui pour son emplacement central près du pont Čechův most attire beaucoup l’attention des visiteurs de Prague. Mais il s’agit en réalité d’une construction baroque postérieure de plusieurs siècles à l’art roman. En revanche, des églises qui ne seraient pas a priori associées à l’époque des rotondes ont souvent été bâties sur des bases romanes. De plus, des découvertes passionnantes peuvent encore se produire, comme c’était le cas de la rotonde Saint-Venceslas dont les fondations ont été découvertes en 2003 lors de la reconstruction du bâtiment de la faculté de mathématiques-physique sur la place de Malá Strana.Actuellement, nous pouvons donc parler de trois rotondes visitables à Prague. Il y a tout d’abord la rotonde de la Sainte-Croix qui se trouve dans la rue Karolína Světlá près du Théâtre national et qui a été bâtie à la fin du XIe siècle. Il s’agit ensuite de la rotonde Saint-Martin, qui date de la même époque, et qui fait partie du parc de Vyšehrad, où se trouvait autrefois la résidence royale la plus importante après le château de Prague. Enfin, il y a la rotonde Saint-Longin près de la rue Štěpánská qui date du XIIe siècle.
La fonction de ces rotondes était uniquement religieuse. Elles étaient des lieux de culte souvent entourés par un cimetière. Irena Štěpánková explique pourquoi elles avaient une taille relativement petite :
« La taille de la rotonde reflétait la taille de groupe des gens pour lesquels la rotonde était construite et bien sûr aussi les conditions financières du maître d’œuvre. Le diamètre des rotondes variait parce que le nombre de personnes dans le groupe variait aussi. »Nous n’avons pas d’informations précises sur le statut de toutes les rotondes, mais nous pouvons néanmoins constater que certaines n’étaient pas ouvertes au public à l’époque. Tel est notamment le cas de la rotonde de la Sainte-Croix qui faisait partie d’une cour aristocratique et dont l’accès était limité aux membres de celle-ci. Jaroslava Nováková de l’Office du tourisme de Prague nous donne plus de détails :
« Cette rotonde n’était pas ouverte au public. Ça a dû vraiment servir à l’époque uniquement aux gens qui vivaient autour d’une cour. Soit sur la cour même soit autour de cette cour. C’est à dire on ne peut pas la désigner comme une rotonde ouverte au public à l’époque. »
Les visiteurs peuvent se demander d’où viennent les noms des saints que portent les rotondes. Comme le remarque Jaroslava Nováková, les noms n’étaient pas stables. Un exemple révélateur de changement d’appellation est la rotonde Saint-Longin qui a dû céder son nom initial à la nouvelle église Saint-Étienne construite juste à côté :« Je crois que la rotonde Saint-Longin est vraiment un exemple tout à fait précis parce que là vous avez le nom qui a été changé parce que l’église de la Nouvelle Ville de Prague, Saint-Étienne, a été construite. »
Le fait que seulement un petit nombre de rotondes ait été conservé jusqu’à nos jours peut en partie être imputée à Joseph II. Pendant son règne entre 1780 et 1790, ce monarque a donné l’ordre de fermer les églises jugées inutiles à l’époque des Lumières. Seules les églises ayant un hôpital ou école ont pu subsister. En conséquence, les rotondes ont été utilisées comme des lieux pour stocker le fourrage ou bien comme entrepôts de munition. Jaroslava Nováková et Irena Štěpánková expliquent :« Le problème, c’était Joseph II. Joseph II a vraiment fait fermer beaucoup d’églises, beaucoup de lieux religieux comme des couvents, des monastères etc. De même que tout ce qui n’était pas considéré comme utile. Tout a été fermé, et même au-delà, puisque ces bâtiments ont très souvent été mis à la disposition de l’armée, pour servir de lieux de stockage par exemple. Leur fonction a vraiment changé. »
Le fait que les rotondes aient cessé de remplir leur fonction cultuelle a eu des conséquences lourdes pour la vie sociale des gens qui ont perdu leur lieu de rassemblement traditionnel, comme le souligne Jaroslava Nováková :« Les gens ont commencé à perdre vraiment leur lien aux églises. Ils ont vraiment perdu ce lien, pas au niveau de la foi, mais au niveau des bâtiments. Parce que c’était un endroit que les gens avaient habitude de fréquenter, de visiter, de soutenir, d’aider, et tout à coup il y a eu un vide. »
Si l’époque de Joseph II ne leur a pas été favorable, le travail le plus important de sauvetage des rotondes a été fait pendant le moment du réveil national tchèque et pendant l’expansion du romantisme. C’est grâce à l’effort de personnages célèbres que les rotondes ont pu être conservées comme monuments historiques. Jaroslava Nováková :
« Les petites églises comme les rotondes, c’est pour moi vraiment une question de choix et de hasard. C’est surtout grâce à la personnalité de quelques individus qui se sont vraiment investis et grâce à l’enthousiasme de quelques personnalités de l’époque qui ont pu faire bouger les choses. Il fallait rassembler de l’argent, ce n’était pas seulement une question de volonté, il fallait avoir de l’argent, un engagement du côté de l’Eglise, il fallait motiver les gens. Ça a dû être très dur, mais pour moi c’est fantastique. »
Toutes les rotondes sont accessibles aux visiteurs pendant les horaires de culte et pendant les événements divers comme les journées du Patrimoine de l’UNESCO ou la Nuit des églises. Pragois comme touristes sont nombreux à profiter de l’occasion et venir les admirer, Irena Štěpánková :« Je crois que ce qui joue un rôle c’est la magie que vient chercher la population tchèque ou pragoise, ‘athée’, et qui veut retrouver quelques vestiges de magie dans les églises alors que la population actuelle ne fréquente pas à la majorité les églises. »
Les visiteurs intéressés peuvent visiter les trois rotondes de Prague, la rotonde de la Sainte-Croix, Saint-Martin, et Saint-Longin. Mais pour les véritables amateurs des rotondes, il y en a encore une à proximité de Prague qui mérite d’être explorée. C’est la rotonde Sainte-Marie-Madeleine. A 17 minutes en bus de la station Dejvická, elle domine la commune de Přední Kopanina depuis le XIIe siècle. Bâtie sur un lieu de culte païen, elle est la plus grande des quatre rotondes. De plus, elle est originale avec sa tour associée à la nef principale et pour un objet d’art précieux : des fonts baptismaux datant du Haut Moyen Age. Avec celle-ci, la découverte des rotondes de Prague sera vraiment complète.