Quand le soleil ne se couchait pas

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On s’en souvient généralement peu, mais les destins de la Bohême et de l’Espagne furent un moment liés, lors de l’apogée de la période des Habsbourg, qui régnaient alors sur un Empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais ! Certes, les liens à la Renaissance et à l’âge baroque ont été ténues et indirects, mais les influences du contexte espagnol ont pu percer en Bohême.

Le séjour en Catalogne de l’empereur d’Autriche, Charles VI, marque une rupture économique pour l’Empire. C’est en effet en Catalogne que Charles VI renoue avec l’idée caméraliste de la cour : le commerce maritime est source d’enrichissement pour les particuliers comme pour les princes.

Charles VI
En conséquence, le commerce avec l’Empire ottoman va très vite s’accroire de manière sensible au début du XVIIIème siècle. Mais surtout, l’Empereur vise une politique ambitieuse : désenclaver maritimement les pays héréditaires en leur construisant des débouchés vers les ports de l’Adriatique.

Les Pays tchèques, quant à eux, n’en profiteront pas, bien au contraire. En effet, la route carrossable du Semmering, reliant Vienne à Trieste, va avoir pour effet de détourner la Bohême des grands courants commerciaux, qui faisaient de Hambourg et Stettin ses débouchés naturels.

Suite à la paix d’Augsbourg, en 1555, la dynastie Habsbourg connaît, pour un siècle et demi, son âge d’or. Le patrimoine familial est désormais partagé entre une branche aînée, la monarchie d’Espagne, et une branche cadette, la monarchie autrichienne et les pays héréditaires, dont la Bohême.

Rodolphe II
Il n’y aura pas pour autant de lien direct entre mondes castillans et tchèques, mais le choix de Rodolphe II de s’installer à Prague va apporter quelques effluves d’Espagne sur les rives de la Vltava.

Eduqué à Madrid, ou il a vécu de 11 à 20 ans, le futur empereur est véritablement modelé par son éducation espagnole. Ses précepteurs lui ont fait apprendre de nombreuses langues et lui ont transmis une solide culture humaniste. Celle-ci aura indirectement transformé cet empereur en mécène et en grand amateur de sciences. Lorsqu’il s’installera à Prague, il y a rassemblera de grands noms de la peinture et de la science et le château de Prague comptera parmi les plus riches collections de peinture d’Europe.

L’emprunte espagnole se reflètera également dans son attitude, d’une raideur toute protocolaire. En effet, si Rodolphe II ne partage pas la bigoterie de sa mère, il n’en gardera pas moins une ferveur catholique entière. De même, il observera toujours une certaine distance avec les noblesses tchèques et autrichiennes, conscient de la grandeur de la cour d’Espagne. Ce qui ne l’empêchera d’ailleurs pas d’observer une attitude simple et respectueuse vis-à-vis de son entourage.

L’autre marque espagnole sur la Bohême viendra des Jésuites, le célèbre ordre qui participera activement à la politique de Contre-réforme dans les pays héréditaires. Il trouve son origine en Espagne, où il fut fondé, dans la première moitié du XVIème siècle, par Ignace de Loyola, originaire du Pays Basque espagnol. Les Jésuites auront légué une image négative dans l’historiographie tchèque, qui est en partie injustifiée si l’on considère l’œuvre des Jésuites de la seconde génération, très souvent tchèques. Ayant placé la pédagogie au centre de leur activité, certains feront beaucoup pour affirmer la langue et la conscience historique tchèques, le plus connu d’entre eux étant sans doute Bohuslav Balbin.

Il faut enfin citer un point commun entre Espagne et Bohême : une certaine richesse du patrimoine roman. Pas de lien causal mais c’est à noter tant les restes de l’architecture romane sont rares en Europe. En Espagne, les églises romanes se concentrent essentiellement dans le Val de Bois, dans les Pyrénées catalanes. Une véritable route romane avec des églises disséminées dans plusieurs villages.

En Bohême, on connaît bien sûr les trois rotondes romanes de Prague mais il faut accorder une mention spéciale à celle de Znojmo, en Moravie. La Rotonde Sainte-Catherine a été construite vers 1130, dans un style roman tardif, à l’occasion du mariage de Conrad de Znojmo avec la fille du roi Soběslav Ier. Si sa symbolique décorative est toute religieuse, la coupole est un véritable hommage à la dynastie des Přemyslides. Les rois successifs, peints comme des saints, sont tous représentés, Vratislav II, Bořivoj II… L’une des fresques représente Přemysl le Laboureur, appelant à ses côté Libuše et illustrant ainsi l’un des mythes de la fondation de la dynastie.