Isabelle Arthuis : « Je peins avec mon appareil photo »
Invitée du festival Fotograf, la photographe française Isabelle Arthuis est exposée jusqu’au 20 octobre à l’Institut français de Prague, et jusqu’au 31 octobre au Karlín Studios. Rencontre avec une artiste qui est arrivée à son travail artistique en photographie par des chemins détournés.
Isabelle Arthuis, vous êtes photographe, vidéaste également. Votre travail photographique est exposé à Prague dans deux lieux à Prague, dont nous reparlerons. Pour commencer, j’aimerais vous demander comment vous êtes arrivée à la photographie ?
« Je crois que j’ai toujours fait de la photographie. Depuis mes 10-12 ans peut-être. Mais j’ai fait l’Ecole de Beaux-arts de Rennes et celle du Mans et à cette époque, je faisais de la peinture. Je pensais que la photo était quelque chose de l’ordre du loisir, de l’archivage familial. A la sortie de l’école, j’ai passé mon diplôme en peinture, mais par la suite je me suis complètement remise à la photo, en reconsidérant la réalisation des images. Non pas sur un support classique de la toile en peinture, mais en abordant avec la photographie le même rapport que j’avais à la peinture. »
Quelle est la passerelle entre les deux ?
« Mon travail est photographique parce que réalisé avec un appareil photo, qu’il soit numérique ou argentique. Mais mon propos est plus clairement lié à l’histoire de la peinture. »
Qu’est-qui vous a séduite au point de vous faire passer à la photographie ? En quoi l’appareil photo était-il un moyen d’expression qui vous était plus proche ?
« Il était plus proche de moi parce que j’ai toujours eu de l’intérêt pour le déplacement, le voyage, la découverte d’endroits qui me sortaient de l’atelier. L’atelier m’enfermait entre quatre murs, alors qu’avec l’appareil photo, je pouvais découvrir les quatre coins du monde en continuant à m’intéresser aux choses devant moi. C’est devenu un vrai outil. Je peins avec l’appareil photo. Je n’ai plus les pinceaux et le reste, ni les murs, ni l’atelier depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui la photographie est principalement numérique même si on continue à shooter en argentique. Par exemple, ma photo qui s’appelle ‘Le Banquet’ a été faite à la chambre photographique, un grand négatif. Mais la postproduction s’est faite en numérique. Donc aujourd’hui, c’est un stade dans la photo qui est intéressant car les supports évoluent énormément. »
Avez-vous une préférence entre les deux ? Ou préférez-vous combiner les deux ?
« L’outil vient avec le projet. Pour la photo du Banquet, l’idée était de faire une image de trois mètres par quatre. J’avais envie de retrouver le point photographique car à cette échelle-là, effectivement, les détails se voient. Le quatre par trois, c’est du poster, de la sérigraphie, mais la base, c’est de l’argentique, donc un film Fuji, un peu bleu. Cela faisait à peu près une dizaine d’années que je n’avais pas utilisé la chambre photographique et on n’est plus du tout habitués à la teinte et aux couleurs de l’argentique. J’ai été très choquée en voyant le résultat final. J’ai réalisé qu’on était habitués à des couleurs vives, le numérique explose complètement, tout est lumineux par l’écran, par le tirage. On voit la couleur à l’excès. Alors que la pellicule Kodak un peu rouge et la pellicule Fuji un peu bleue fait que l’on a perdu ce rapport avec la tonalité de ces images. ‘Le Banquet’ retrouve cette particularité-là. On est dans une teinte qui semble un peu passée, mais qui est tout à fait juste car elle est celle de la pellicule. »Cette photo, « Le Banquet » est exposée à Prague…
« Oui, en fait il y a deux lieux d’expositions à Prague : il y a l’Institut français où je projette un projet intitulé ‘Lighthouse’, des photos réalisées à Belle-Ile-en-Mer, autour du phare de Kervilahouen en Bretagne. Ils ont décidé il y a deux ans d’y faire un feu d’artifice. Le ciel s’est illuminé de plein de couleurs différentes. Les faisceaux du phare qu’on voit à l’œil nu mais difficilement photographiable sauf en temps de brouillard extrême, est devenu très visible grâce aux fumigènes. C’était un moment métaphysique entre la lune, les étoiles, ces balayements continuels. C’était magnifique. »
On se trouve justement dans la salle d’exposition de l’Institut français de Prague. Les photos n’ont pas un format carré, ce sont en réalité des bulles, et c’est très cosmique !
« J’avais envie de travailler des images qui soient un peu abstraites. En photographie, on est toujours assujetti à l’apesanteur : nos pieds sur la terre, et la façon dont on va cadrer, soit horizontalement, soit verticalement. On peut faire quelques écarts en décadrant le sujet pour donner un style. Mais ici, ce sont des cercles, il n’y a plus d’angles, le sens des images n’a plus d’importance et les faisceaux qui ont balayé le ciel pendant cette nuit de feux d’artifice font qu’il y avait cette possibilité de sortir du cadre de la photographie. C’est rare en photographie de pouvoir tourner des images dans tous les sens. Avec ce sujet-là, je pouvais me permettre de jouer à l’infini. Le faisceau du phare devient presque comme un disque vinyle avec son rayon tout autour. C’était une façon de m’amuser et de se faire plaisir en se disant que mes images n’avaient plus de sens. Je n’ai pas du tout réfléchi au sens en collant les poster au mur qui sont des ronds. Les choses se sont articulées d’elle-même et c’était très ludique. »
Il y a un autre lieu où vous exposez à Prague, c’est à Karlín. Et pour le coup, ce ne sont pas des bulles…
« Ce sont de grandes images. Ce qui était intéressant à Karlín, c’est que j’ai eu la possibilité d’exposer ‘La grotte de Donant’, une image de trois mètres par quatre, noir et blanc, en sérigraphie. Ils ont construit un support en bois pour pouvoir la recevoir. Quand j’ai découvert le lieu des Karlín Studios, j’ai été touchée par cette espace car il est pour moi l’envers du décor de Prague. Prague est une ville assez ‘ice-cream’, chocolat, vanille, pistache, fraise… avec cette architecture baroque, que j’aime beaucoup. Or à Karlín Studios, on se retrouve sur un terrain en friche qui est assez propre, avec des arbres qui poussent. On a cette configuration de Prague, comme une construction cubiste : des bâtiments absolument neufs, administratifs, les Karlín Studios avec ses ateliers d’artistes, une cheminée industrielle, ces bouts de carrelages des maisons abattues, des maisons occupées un peu grisâtres, coincées à côté de bâtiments plus ‘vanille’, des vieux clochers. Et ainsi de suite. C’est très particulier car on voit tout Prague en même temps, mais comme si on était à l’envers de ce décor. Je présente donc là-bas ‘La grotte de Donant’, ‘Le Banquet’ et deux graffitis qui sont en réalité des photographies de graffitis : un réalisé à Rio de Janeiro, un graffiti jaune au moment où le soleil du soir tape sur le mur blanc. L’autre a été photographié à Brest. L’idée avec les photographies des graffitis, c’était de transporter les activités des uns dans le pays des autres. »Vous avez votre appareil dont je suppose que vous ne vous séparez jamais. Tout à l’heure, vous disiez que Prague était ‘vanille, chocolat, meringue’. Mais est-ce que cela vous inspire quand même, malgré peut-être un côté Disneyland au centre-ville ?
« Il y a un côté très touristique à Prague, en effet. Mais je trouve que c’est une ville qui a un caractère très fort, avec une architecture imposante. Elle a aussi une espèce d’intemporalité qui est très intéressante. J’aime particulièrement toute cette période des années 1930. Et j’aime bien la façon dont la modernité s’est finalement infiltrée à l’intérieur de toute cette partie historique. J’aime beaucoup la construction de la petite Tour Eiffel (la tour de Petrin, ndlr) et la façon dont elle joue avec les clochers baroques. Et puis il y a vraiment quelque chose d’intéressant qui se met en place à Prague : les studios de Karlín sont vraiment à l’échelle de cette ville en chantier. Cela donne à Prague un visage cubiste, de mélange des genres historiques, entre l’histoire, le contemporain et le moderne… »