"Sans des institutions comme le CEFRES, nous serions assez abandonnés"
En juillet dernier, des chercheurs tchèques adressaient une lettre ouverte à l’ambassade de France et au ministère des Affaires des étrangères pour protester contre la baisse des crédits alloués au Centre français de recherche en sciences sociales (le CEFRES) basé dans la capitale tchèque. Radio Prague s’est entretenue avec Jan Keller, sociologue à l’Université d’Ostrava et signataire de ce document, qui nous faire part de ses inquiétudes et souligne le rôle important joué par le CEFRES dans le champ scientifique tchèque.
« Mes collègues et moi-même avons exprimé nos inquiétudes assez profondes vis-à-vis des informations selon lesquelles les activités du CEFRES en République tchèque étaient menacées à cause de la réduction prévue de son budget. Nous avons alors demandé que les activités du CEFRES se poursuivent et que leur volume ne soit pas diminué. Il faut savoir que sans des institutions comme le CEFRES, nous serions assez abandonnés. Dans les sciences sociales, on peut sentir l’influence unilatérale de la littérature anglo-américaine ce qui n’est pas bon pour le développement d’une pensée ouverte et vraiment complexe. »
En quoi cette baisse des crédits alloués au CEFRES peut impacter sur les relations entre Tchèques et Français en matière de recherche scientifique ?
« En tant que sociologue, je peux vous dire que le CEFRES a une importance majeure, pas seulement pour la sociologie, mais aussi pour beaucoup d’autres disciplines dans notre pays. Il y a une grande bibliothèque, des livres français au CEFRES, y compris les titres les plus récents. Nos institutions et nos universités ont parfois du mal à se procurer cette littérature qui nous est très utile. De plus, il y a des étudiants tchèques qui profitent de la collaboration avec le CEFRES et qui devront entretenir la connaissance de la culture française après le départ de ma génération. Il y a aussi des étudiants français qui utilisent le CEFRES comme une base pour étudier les problèmes de l’Europe centrale qui a quand même une certaine importance du point de vue géopolitique. »En quoi les travaux francophones peuvent-ils apporter quelque chose de différent ?
La sociologie est basée sur la pensée française, c’est Auguste Comte qui était aux racines de la sociologie. Et la pensée française est différente de la pensée allemande, de la pensée anglo-saxonne à beaucoup de points de vue.
« La sociologie est basée sur la pensée française, c’est Auguste Comte qui était aux racines de la sociologie. Et la pensée française est différente de la pensée allemande, de la pensée anglo-saxonne à beaucoup de points de vue. Sans faire de généralités, les sociologues tchèques connaissent la littérature anglaise, c’est pourquoi je suis en train d’écrire l’histoire et l’état actuel de la sociologie française parce qu’il y a des éléments dans cette sociologie qui ne sont pas compris dans les sociologies américaines. »
Le CEFRES est donc un moyen de diffuser cette sociologie d’inspiration française. Y a-t-il d’autres rôles joués par le CEFRES dans des collaborations concrètes entre chercheurs tchèques et français ?
« Je ne connais pas tous les domaines de cette collaboration qui est assez étendue. Je peux vous rapporter mes expériences personnelles. Au début des années 1990, j’ai participé comme membre de l’équipe d’Alain Touraine à la recherche sur les acteurs de la transformation des régimes politiques en Europe centrale. Il y a quelques années, j’ai participé à l’université de Besançon et à Sciences Po à Paris aux examens des étudiants français qui avaient fait leur recherche chez nous. C’était le CEFRES qui a organisé la coopération. »
J’aimerais vous poser une question d’ordre plus général. Pouvez-vous nous parler de la situation universitaire en République tchèque ?
« L’état du champ scientifique tchèque, c’est un sujet assez compliqué pour ne pas dire triste. La République tchèque n’est pas très endettée pour le moment mais parmi les priorités du gouvernement, le développement de la science ne joue malheureusement pas un rôle majeur. Nous ne pouvons pas nous appuyer sur le secteur privé parce que 80% de la production tchèque est déjà aux mains de firmes étrangères et les multinationales n’ont pas besoin de développer la science tchèque. Elles peuvent quitter notre pays d’un jour à l’autre. Alors nous avons un besoin vital d’entretenir des contacts avec des pays et des gouvernements qui sont plus éclairés. »