ProAlt : un espace de réflexion et de lutte contre les réformes néolibérales du gouvernement (I)
Fondée en 2010, ProAlt est une initiative citoyenne visant à critiquer les réformes libérales du gouvernement de droite de Petr Nečas, mais aussi à créer un espace de réflexion visant à faire émerger des alternatives à ces politiques actuellement dominantes partout en Europe. Radio Prague a rencontré séparément Tomáš Samek, anthropologue linguistique, fondateur de ce mouvement et Tereza Stöckelová, sociologue, également à l’origine de ProAlt, et qui en est actuellement l’une des porte-paroles. Dans cette première partie, ils nous présentent cette initiative, ainsi que les raisons qui l’ont rendue nécessaire dans un contexte où les partis de gauche traditionnels semblent incapables d’offrir des alternatives au néolibéralisme.
« Il y a deux ans, ensemble avec Tereza Stöckelová et Ondřej Slačálek, nous avons fondé ProAlt comme une initiative afin de critiquer les réformes du gouvernement et de soutenir des alternatives. Et notre nom comporte ce ‘Pro’ afin de souligner que nous sommes également pour une alternative positive. Avoir une posture critique ne signifie pas que nous nous inscrivons dans une démarche négative. Ce serait un stéréotype médiatique. ProAlt est évidemment une initiative citoyenne, cela signifie que des groupes de personnes prennent sur leur temps libre. Et naturellement, nous ne disposons pas des possibilités ni des moyens qui sont ceux des ministères ou d’un gouvernement, lesquels ont tout une gamme d’experts. Nous sommes tout simplement un groupe de citoyens qui essaient, pendant leur temps libre, de s’engager d’une certaine façon dans l’espace public tchèque. »
L’initiative compte actuellement quelques centaines de membres plus ou moins actifs selon Tereza Stöckelová, sociologue passionnée par la sociologie des sciences, actuellement l’une des porte-paroles du mouvement. ProAlt est présent dans de nombreuses villes du pays et pas seulement à Prague. Bien que s’inscrivant dans un courant idéologique de gauche, Tomáš Samek insiste sur la volonté d’ouverture à tous ceux qui s’opposent aux réformes de la coalition gouvernementale de Petr Nečas, composée de trois partis : le Parti civique démocrate (ODS), TOP 09 et la plateforme LIDEM.
« ProAlt est apparu de telle sorte qu’il s’est défini contre le programme du gouvernement de Petr Nečas. A partir de cette raison initiale, se sont rencontrés des gens de toute orientation politique, c'est-à-dire par exemple des membres qui appartiennent à l’Union chrétienne démocrate (KDU-ČSL), ou au parti social-démocrate (ČSSD) ou d’autres partis. Au début, nous avons voulu que cela soit ouvert à tous, à l’exception de représentants du paysage de l’extrémisme de droite. C’était l’unique condition, nous n’avons rien à faire avec ces gens-là mais nous accueillerons avec plaisir des membres de l’ODS et de TOP 09. »Les membres de ProAlt viennent donc d’horizons différents, de l’anarchisme ou du communisme pour d’autres, mais également de la démocratie chrétienne, remarque Tereza Stöckelová. Bien que l’initiative soit née dans les milieux intellectuels pragois, Tomáš Samek souligne pour sa part l’existence d’une réelle diversité générationnelle et professionnelle en son sein. Rappelant que l’initiative est une démarche positive, pas seulement de critique du gouvernement, il nous en précise certaines modalités de fonctionnement :
« Vous savez, parfois, cette initiative se retrouve traitée dans les médias de telle sorte qu’il semble, en bref, que nous ne voulions aucune réforme. Mais ce n’est pas vrai. Depuis le début, nous ne sommes pas par principe contre des réformes nécessaires et qui prendraient en considération les aspects sociaux du sujet traité. En revanche, nous sommes radicalement opposés à ces réformes du gouvernement Petr Nečas qui excluent les aspects sociaux des problèmes abordés. ProAlt fonctionne de la façon suivante : il y a des commissions spécialisées qui traitent de questions spécialisées. Je ne suis pas un spécialiste de la réforme des retraites mais je peux cependant au moins dire que dans ce cas on voit bien qu’elle profite avant tout aux intérêts de corporations privées ou de groupes d’intérêts de gens très influents et souvent très riches. Et en bref, ces réformes donnent parfois l’impression qu’elles sont plutôt faites pour ces catégories plutôt que pour l’ensemble de la nation. »
Ce sentiment, sans doute basé sur des faits bien réels, que les politiques menées font primer des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général, pourrait peut-être dans une certaine mesure expliquer le relatif désintérêt que portent de nombreux Tchèques pour la politique telle qu’elle se pratique traditionnellement. Lors des trois dernières élections législatives (en 2002, 2006 et 2010), l’abstention a toujours concerné près de 40% du corps électoral. Aux élections européennes de 2009, il y avait seulement 28,2% de participation. L’engagement de Tereza Stöckelová peut être mis en relation avec son appétit pour la chose politique parallèlement à son désarroi face à l’offre politique proposée :« Quand nous avons créé ProAlt en été 2010, un motif important de mon engagement est le fait que je n’ai pas voté aux élections législatives cette année-là. J’avais une certaine répugnance à devoir choisir entre les partis politiques en lice. Dans le passé, j’ai soutenu, parfois publiquement, le Parti des Verts, mais j’ai été très déçue par ce qu’ils ont fait quand ils ont participé au gouvernement précédent. Ils ont rejoint le gouvernement de Mirek Topolánek (ODS) et l’ont soutenu dans la plupart de ses projets, notamment en ce qui concerne la réforme des universités à laquelle j’ai été très attentive du fait de ma profession. Le rôle que le Parti des Verts jouait au sein de ce gouvernement, était tel que je ne pouvais plus m’y identifier. La création de ProAlt a constitué une sorte de palliatif au fait que j’ai dit : ‘Non ! Je n’irai pas voter’. »
La fondation de ProAlt, outre la critique des réformes du gouvernement conservateur et libéral de Petr Nečas est donc liée à l’insatisfaction des citoyens face à un monde politique perçu comme lointain, souvent corrompu et défenseur de ses propres intérêts. Il y a donc un espace de réflexion que ProAlt tente d’occuper, et ce n’est pas celui d’un parti politique. Tomáš Samek :
« Bien sûr, pour les représentants de la démocratie dans laquelle nous vivons, l’engagement pour un programme et des principes se fait autour des partis politiques. C’est clair. L’une des raisons à l’origine de ProAlt est que nous n’avions pas le sentiment que ce que nous pourrions appeler les partis d’opposition fonctionnaient de telle sorte que les citoyens puissent en être satisfaits à 100%. Je le dis de façon très euphémisée. Regardez en République tchèque la hausse très importante de la défiance de la population envers la politique politicienne, envers la classe politique dans son ensemble, pas seulement à l’égard de ceux qui sont au pouvoir, c’est-à-dire du gouvernement actuel, de politiques dont l’orientation est à droite, mais également, que cela nous plaise ou non, c’est un fait objectif, à l’égard de tout le personnel politique. En fait, nous avons voulu, entre autre, faire en quelque sorte pression sur les partis politiques existants là où nous avions quelque chose à dire, où nous avions des capacités d’analyse. »ProAlt publie ainsi régulièrement sur son site internet des analyses et des prises de position et Tereza Stöckelová note que l’initiative est déjà parvenue à avoir un impact tout relatif sur les débats internes au parti social-démocrate :
« Je pense que là où nous avons pu avoir une influence, même marginale, c’est sur le parti social-démocrate. Ce parti, depuis la naissance de ProAlt, nous connaît, nous a même parfois reçu, des personnes autour de Bohuslav Sobotka (président du parti social-démocrate, ndlr) ou de Lubomír Zaorálek, c’est-à-dire des membres représentants l’aile la plus progressiste du parti. Mais, il y a d’autres façons de disposer de cette influence. Au sein de ProAlt, il y a par exemple quelques membres de la social-démocratie et c’est une manière pour eux d’être en contact avec des nouveaux courants de pensée. Une deuxième voie possible c’est le fait que j’ai par exemple été personnellement invitée au congrès sur le programme du parti social-démocrate où j’ai pu apporter une petite contribution. Ce qu’ils en font, c’est ensuite une autre chose car cela se heurte, non pas à la volonté d’un membre en particulier, mais plutôt à la dynamique interne à ce parti et la social-démocratie est incontestablement un parti très complexe. »
Tereza Stöckelová note que l’un des points majeurs que ProAlt essaie de promouvoir auprès du parti social-démocrate est le fait que s’il revenait au pouvoir, il reviendrait sur les réformes du gouvernement de Petr Nečas. Il s’agit notamment de la question du système de retraite, partiellement privatisé avec l’introduction d’un second pilier, en plus d’un système par répartition affaibli, qui introduit des fonds de pension privés dans lesquels les Tchèques qui en ont les moyens pourront placer leur argent. Le chef de la social-démocratie, Bohuslav Sobotka, a cependant récemment indiqué qu’il était pour l’abrogation de cette loi quand son parti reviendra au pouvoir. Mais cette déclaration sera-t-elle suivie d’effet ? Car pour Tereza Stöckelová, partout en Europe, les sociaux-démocrates se sont ralliés à l’économie de marché et peinent à incarner une réelle alternative aux politiques économiquement libérales :
« Quand vous regardez les partis de gauche un peu partout en Europe, ils tendent tous à partager le consensus néolibéral. François Hollande en France par exemple a été assez loin dans ce sens et c’est sans doute une des raisons à l’origine du Parti de gauche qui représente une alternative un peu plus radicale et qui essaie de faire pression en faveur de politiques de gauche, ce qui est une très bonne chose. Mais, bien sûr, en Grande-Bretagne et ailleurs, cette gauche, cette troisième voie instituée par Tony Blair, participe de l’appauvrissement de leur imagination en matière de politique économique. Et je pense qu’il est très visible que la gauche partout en Europe n’a toujours pas trouvé une formulation forte de la situation dans laquelle nous sommes, dans cette crise. Quelle est cette crise ? Quelles sont les solutions de gauche à apporter ? »Pour autant Tomáš Samek considère que l’élection de François Hollande à la présidentielle en France a été porteuse d’un espoir, justifié ou non, qu’une autre politique européenne était possible. Tereza Stöckelová considère elle que la droite promeut l’individualisme et peut apparaître à cet égard plus « cool ». Relayée par les médias, cette idéologie dominante individualiste et consumériste détruirait le lien social et les manifestations de solidarité. Ainsi, l’un des objectifs de ProAlt pourrait être de fournir des pistes de réflexion afin que les idées progressistes et solidaires ne restent pas marginalisées :
Nous essayons d’améliorer un espace de réflexion à gauche pour en quelque sorte le banaliser dans la sphère publique, lui faire acquérir au minimum une certaine légitimité.
« Nous essayons d’améliorer un espace de réflexion à gauche pour en quelque sorte le banaliser dans la sphère publique, lui faire acquérir au minimum une certaine légitimité. Nous essayons d’argumenter afin de montrer que des politiques marquées à gauche peuvent être plus avantageuses pour une majorité d’habitants de ce pays. La question qui se pose alors est de savoir pourquoi des personnes, qui n’y auraient pourtant pas intérêt économiquement et socialement, votent à droite ? »
Nous reviendrons, dans nos prochaines émissions, sur l’aspect concret des luttes menées par ProAlt, par exemple contre le projet de restitution des biens aux Eglises tchèques telle qu’il se présente actuellement, contre le racisme, notamment envers les Roms ou encore contre les risques de privatisation des systèmes de retraite et de santé.