ProAlt : agir dans l'espace public (II)

demonstrace_duchodci4.jpg

ProAlt est une initiative citoyenne qui critique les réformes libérales du gouvernement de Petr Nečas et essaie de proposer des alternatives. Nous vous avons présenté cette organisation lors d’une première émission. Tomáš Samek, l’un des fondateurs du mouvement, et Tereza Stöckelova, une de ses porte-parole, sont au micro de Radio Prague et reviennent sur quelques-unes des nombreuses formes que prend cet engagement dans la sphère publique contre des lois qui, selon les militants de ProAlt, favorisent des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général, ou tout simplement pour lutter contre le racisme ordinaire dont les Roms sont souvent la cible.

En 2010, en France, jusqu’à trois millions de personnes ont défilé dans les rues pour protester contre la réforme des retraites dans un mouvement social long de plusieurs mois. Dans le même temps, la coalition gouvernementale de Petr Nečas, qui regroupe le parti civique démocrate (ODS), TOP 09 et LIDEM, présentait également un projet de réforme des pensions. La loi n’est aujourd’hui toujours pas adoptée – le président Václav Klaus vient tout juste d’y apposer son veto – et prévoit la privatisation partielle du système de retraite avec l’introduction d’un second pilier permettant aux citoyens les plus aisés d’épargner auprès de fonds de pension privés. Nombreuses sont les critiques contre cette réforme, qui, en plus d’être injuste, aurait été pensée plus dans l’intérêt de ces fonds d’investissement que dans celui des citoyens. Le rejet du projet semble important parmi la population, mais les protestations restent relativement limitées. Nous avons demandé à Tomáš Samek pourquoi les Tchèques semblent moins disposés que d’autres, et notamment donc les Français, à manifester :

« Il apparaît généralement que l’apathie des citoyens dans notre pays est très répandue, ce que des amis vivant dans des pays plus à l’ouest constatent également. Néanmoins, c’est très relatif. Par exemple, la culture protestataire est ici très différente de celle qui prévaut par exemple en France, où il existe une culture de la grève et de la manifestation, qui a du bon et du moins bon. En ce qui concerne cette apathie des citoyens, je dirais que, malheureusement, par certains aspects, la situation est moins bonne ici. »

Tomáš Samek
Tomáš Samek précise toutefois qu’il ne faut pas généraliser. Plusieurs manifestations ont ainsi été organisées dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites, dont une qui a rassemblé jusqu’à 150 000 personnes à Prague, un chiffre historique depuis 1989. En outre, de nombreux citoyens sont engagés dans diverses associations, partis politiques et autres initiatives telles que ProAlt. Les mouvements sociaux existent donc, simplement peut-être sont-ils ignorés ou méprisés par le gouvernement, si l’on en croit Tereza Stöckelova :

« Il est malheureusement évident que les députés de la coalition gouvernementale se moquent éperdument de ce qui se passe dans la rue. Ils se coupent du public. Même cela ne leur semble pas important. C’est peut-être même le contraire. Par exemple, après les grandes démonstrations « Stop vládě » (Stop au gouvernement) en avril, le ministre des Finances Miroslav Kalousek a déclaré lors d’un débat à la télévision qu’il n’y avait pas de plus grand honneur pour lui que de voir la nation manifester contre lui. Selon lui, cela prouve qu’il fait bien son travail. Tout à coup, les politiciens sont devenus des technocrates, des experts qui savent ce qu’il faut faire, tandis que la stupidité de la société ne pourrait que nous endetter et nous conduire à une faillite comme en Grèce. Selon eux, il serait donc nécessaire de gouverner contre la société. »

Malgré tout, certaines luttes s’avèrent payantes et ProAlt s’est fait connaître en août 2010 à travers l’une de ses premières actions. A l’époque, Petr Nečas avait nommé au poste de conseiller gouvernemental en charge des droits de l’homme Roman Joch, connu pour ses positions très conservatrices notamment sur la question de l’homosexualité et auteur de plusieurs déclarations fracassantes sur « la possibilité d’installer un régime autoritaire » ou sur celle « de posséder un esclave pour un gentleman ». Des militants de ProAlt s’étaient réunis devant le siège du gouvernement en brandissant des pancartes « Vive Pinochet » ou encore « Il est parfois nécessaire de torturer » anticipant ironiquement les propos de Roman Joch. Tomáš Samek revient sur cette action :

« Elle avait pour but de porter l’attention sur le fait que Roman Joch, nommé par Petr Nečas, n’était absolument pas un bon candidat pour les fonctions de conseiller gouvernemental aux droits de l’homme. Cette action a été couverte par un certain nombre de médias comme Respekt et Lidové noviny. En fait, notre première grosse action a été assez réussie parce qu’elle a contraint le Premier ministre, qui était alors en visite en Allemagne, à réagir. Petr Nečas a ressenti le besoin de défendre cette nomination. C’était l’une de nos premières actions et elle nous a permis de gagner en notoriété. Je pense que c’était plutôt un succès, car elle nous a inscrits dans le paysage médiatique en peu de temps. Cette réussite est aussi liée au fait qu’aucun lobby, aucun milliardaire ou aucune puissance financière ne nous soutient. »

Cette action n’était pas la seule et de nombreuses autres ont suivi. ProAlt est par exemple aujourd’hui engagé contre le projet de loi de restitution à dix-sept Eglises du pays, un texte qui prévoit de leur rendre 56 % des biens confisqués sous le régime communiste et de leur verser progressivement une compensation de près de 2,35 milliards d’euros. Pour les critiques, ce projet s’apparente à un cadeau injustifié et inapproprié aux Eglises dans la période de grave crise économique traversée par l’Europe. Tereza Stöckelová note ainsi que le projet stipule par exemple que les Eglises qui vendront une propriété seront exemptées d’impôts. Elle revient sur ce plan de restitution et sur les moyens d’action de ProAlt :

« En ce qui concerne la restitution des biens aux Eglises, nous préparons des actions auprès de la Chambre basse. Un mouvement pour une démocratie directe s’est formé et les citoyens pouvaient envoyer des emails-types à des députés bien précis pour leur faire part de leur opinion au sujet de cette législation. Mais au bout d’un certain temps, ces emails ont été bloqués. Cela a cependant duré un moment. Par ailleurs, il n’y a pas vraiment de précédent au rôle joué par l’Eglise catholique en République tchèque, où, depuis le début des années 1990, elle a gardé ses distances avec la politique. Et cette Eglise est aujourd’hui représentée par un archevêque (ndlr : Dominik Duka) qui s’inscrit incontestablement dans le calendrier conservateur et néolibéral du gouvernement actuel. »

Photo: Filip Jandourek,  ČRo
ProAlt n’est pas seul et collabore parfois avec d’autres initiatives telles que Alternativa zdola (l’Alternative d’en bas). Ces coopérations parfois fécondes ne sont cependant pas une fin en soi et ProAlt ne travaille évidemment jamais avec des associations dont les discours sont nationalistes, sexistes ou racistes. Dans une certaine mesure, l’engagement de ProAlt est également dirigé dans la lutte contre les discriminations et notamment celles que subit la minorité rom en République tchèque. Si cela ne résume en rien le travail des militants de l’initiative, ce thème a cependant été évoqué lors de nos entretiens. Tomáš Samek :

« Malheureusement, en République tchèque, on note un fort discours anti-tzigane. Lutter contre n’est pas chose aisée, mais nous nous y efforçons avec tous les moyens dont nous disposons. Cela signifie que nous coopérons avec des entités qui essaient d’agir de façon positive sur cette question ou que certains de nos membres publient des textes engagés pouvant avoir un impact dans l’espace médiatique tchèque en provoquant de nouveaux débats. Il est difficile d’évaluer leur portée, mais la chose la plus essentielle est peut-être le principe de base selon lequel les opinions anti-rom, quelles qu’elles soient, n’ont pas leur place à ProAlt. »

Tereza Stöckelová
Une constatation que partage Tereza Stöckelová, qui remarque par ailleurs que lors des fermetures d’usines dans les années 1990, les Roms ont été les premiers à perdre leurs emplois :

« Ce qui est assez dingue, et entre en résonance directe avec les débats qu’il peut y avoir actuellement en France, c’est l’importance du consensus anti-Rom. Pour ma part, je crains qu’il s’agisse du consensus le plus puissant dans notre société à l’heure actuelle. 80% des gens sont contre ce gouvernement et ses réformes. Mais dans le même temps, 80% des gens vont vous dire dans des enquêtes d’opinion qu’il est nécessaire de réformer le système d’aides sociales, ce qui en fait signifie tout simplement qu’il est nécessaire d’asphyxier ceux qui nous ‘parasitent’ dans notre société. Et le pire, c’est que ce postulat ne se limite pas à la droite. »

Durant l’été, la mairie sociale-démocrate d’Ostrava, en Moravie du Nord, a soudainement appelé des habitants, majoritairement roms, à quitter leurs logements jugés insalubres. Nombre de familles ont décidé de rester, courant le risque d’être expulsées et alors que l’accès à l’eau potable était coupé et le reste encore aujourd’hui. C’est dans ce cadre que des associations comme ProAlt tentent d’apporter une aide à ces populations. Après des débats sur les moyens d’action possibles, l’initiative a payé pour quelques jours la citerne d’eau qui approvisionne quotidiennement le quartier, une solution temporaire. Tereza Stöckelová fustige les autorités publiques qui n’auraient pas joué leur rôle et qui, selon elle, auraient dû prendre les mesures nécessaires pour réparer ces habitations plutôt que d’en décider l’évacuation du jour au lendemain. Elle retrouve là une logique d’exclusion des populations les plus défavorisées qui compte au moins un exemple dans l’histoire récente :

Photo: Silvie Mikulcová,  ČRo
« La question est de savoir pourquoi ces logements sont dans un état de délabrement. Pourquoi la mairie n’a pas investi dans de nouvelles canalisations et a laissé les choses en venir à un point où les maisons sont dans un tel état que du jour au lendemain les gens qui y habitent doivent déménager. J’ai travaillé sur un cas vraiment similaire en 2006 à Vsetin, où le maire Jiří Čunek (chrétien-démocrate) avait eu une vision des choses identique. J’ai fait une étude sociologique. Et quand j’ai étudié les archives du Bureau des constructions, j’ai constaté exactement la même chronologie. On a d’abord laissé les maisons moisir avant de commencer à pouvoir en exclure les habitants d’origine rom. »

Le week-end dernier, ProAlt participait à la deuxième édition du festival pour la démission du gouvernement, sans succès pour l’instant.