Mary Hrabik-Samal : une histoire de l'émigration tchécoslovaque I
Mary Hrabik-Samal est américaine. Elle enseigne l'histoire centre-européenne à l'Université d'Oakland. D'origine tchèque, elle est la fille de Martin Hrabík, l’un des principaux responsables du parti agrarien dans l'entre-deux-guerres. A travers son parcours, c'est l'histoire d'une partie de l'émigration des élites tchécoslovaques après 1948 qu'elle permet de retracer. Elle s'est confiée au micro de Radio Prague.
« Mon nom formel est Marie Hrabíková-Šámalová. Mais en France, on m'appelait Marie. En français, on ne donne pas le nom Hrabíková alors j'étais Hrabík. Et comme les Français ne pouvaient pas le prononcer, j'étais « Rabik ». Et parce que les Français épelaient les choses à leur façon, ils rajoutaient un « c » avant le « k » à la fin. Le nom Šámal – Šámalová, est le nom de mon mari. »
Il était aussi tchèque ?
« Oui mon mari était tchèque. Ses parents appartenaient au même parti que mon père et mon père était un politicien du parti agraire. Et eux aussi. Ils sont partis en même temps que nous. Pour mon père, c'était très dangereux parce qu'il avait travaillé contre les nazis. Il a passé cinq ans dans un camp de concentration, et quand il est revenu, le parti agraire a été aboli. Mais il a appris, avant le coup d'Etat, en 1948, qu'il allait être arrêté et emprisonné. Alors il disait toujours qu'il avait goûté l'hospitalité de M. Hitler, et qu'il n'avait pas envie de savoir comment était l'hospitalité de M. Staline. Alors mon père a quitté la Tchécoslovaquie le jour du coup d'Etat. »
Savez-vous comment il a été informé de ce coup d'Etat ?
« Oui, il était très un bon ami du secrétaire général du parti socialiste. Il avait été en prison avec cet homme et ils étaient donc très bons amis. Et ce monsieur savait qu'ils étaient déjà préparés à venir l'arrêter et à le mettre en prison le jour du coup d'Etat. Il a averti mon père qui s'est dit qu'il était nécessaire de partir. Mais il était impossible que toute la famille parte ensemble parce que j'avais deux petits frères. L'un avait presque un an, l'autre presque deux ans. C'était en février et il faisait vraiment froid. Moi j'avais sept ans. Alors il est parti seul. Il a fait comme quand il partait à la chasse – il avait un endroit où il chassait qui était près de la frontière. Mes grands-parents habitaient dans le sud de la Bohême, entre Domažlice et Klatovy, et c'était très facile pour lui de franchir la frontière. Ma mère est partie avec ses trois enfants en juin 1948. »Pendant cette période, avez-vous été inquiétés ?
« Oui, ma mère a été inquiété. On a envoyé une personne du département de l'Intérieur vivre chez nous au prétexte que notre appartement était trop grand pour nous. Ma mère refusait. Elle disait que les nazis nous avaient laissé habiter dans cet appartement et que maintenant, les Tchèques la chassaient. Pour se protéger, ma mère a entamé une procédure de divorce avec mon père, parce qu'ils sont venus lui dire qu'elle était une femme avec trois enfants et qu'ils allaient s'occuper de nous, qu'ils allaient mettre les enfants dans un orphelinat pour qu'elle aille travailler. Cela a donné à ma mère le courage de partir. Avant le départ de mon père, ils s'étaient mis d’accord sur le fait que ma mère tenterait de le suivre quand elle le pourrait. Et comme nous avions des parents près de la frontière, nous avons trouvé un moyen de partir. Dans ce groupe, il y avait ma mère et aussi une de ses amies dont le mari était aussi déjà sorti de Tchécoslovaquie. Notre groupe était donc composé de cinq enfants et de deux femmes. »
Et comment êtes-vous sortis ?
« A pied naturellement ! Une de mes tantes qui habitaient par ici connaissait un monsieur qui habitait près de la frontière. Ma mère s'était procuré des pilules pour endormir mes frères, parce qu'ils étaient petits et à moi, on m’avait dit qu'il ne fallait pas faire de bruit et qu'on allait retrouver papa. J'avais un petit sac à dos et on marchait. Ce monsieur nous a aidé à franchir la frontière puis il nous a laissé dans un champ où il nous a dit de rester jusqu'à ce qu'il fasse jour, parce que les gens se perdaient et rentraient en Tchécoslovaquie. Il pleuvait, nous étions dans un champ. Et quand le matin ma mère est allée au village, elle a trouvé la police américaine et nous avons été emmenés dans un camp. Nous sommes restés en Allemagne. Mes frères et moi étions tombés malades parce que les conditions n'étaient pas très hygiéniques. On a passé plusieurs semaines à l'hôpital. C'était très difficile pour ma mère parce qu'en Allemagne à cette époque on ne pouvait pas se procurer de nourriture sans avoir de coupons officiels. Et nous ne les avions pas. Quand nous étions à l'hôpital, maman me racontait toujours qu'il y avait des affiches qui disaient que les parents qui en avait la possibilité, devaient apporter de la nourriture pour leurs enfants parce que l'hôpital n'en avait pas assez pour tout le monde. Ma mère ne pouvait pas parce qu'elle n'avait pas les moyens de se procurer ces coupons. Mais après cela, on a retrouvé mon père qui était déjà en France. Nous sommes allés le rejoindre. Nous sommes restés trois ans en France et c'est pourquoi je parle français. »
Pourquoi votre père est-il allé en France ? Quel a été son parcours pendant les quelques mois où vous étiez séparés ?
« Il était un des premiers émigrés parce qu'il a traversé la frontière le jour du coup d'Etat. Il avait rencontré un diplomate français qui était d'origine russe et qui pensait que mon père était quelqu'un d'important. Alors il l'a emmené en France où mon père essayait d'organiser la résistance contre les communistes. Ça a duré trois ans. C'était assez difficile parce qu'on n'avait pas d'argent, on vivait dans des camps de réfugiés et mon père essayait de libérer la Tchécoslovaquie. Après trois ans, il s'était bien rendu compte que la Tchécoslovaquie n'allait pas être libérée et que sa famille allait mourir de faim. Alors on est parti pour les Etats-Unis. »Nous vous proposerons la suite de cet entretien dans notre prochaine rubrique historique.