De la Moravie à New York, l’étonnant parcours d’un jeune joueur tchèque de cymbalum
Musicien originaire de Hodslavice, petit village de Moravie-Silésie, Matěj Číp a consacré sa vie à jouer du cymbalum, un instrument à cordes frappées d’Europe centrale et orientale. Diplômé du conservatoire d’Ostrava, Matěj Číp poursuit désormais son parcours aux États-Unis, où il est devenu le premier étudiant en cymbalum de l’histoire. Son ambition ? Faire connaître ce drôle d’instrument dans le monde entier, comme il l’a expliqué à Radio Prague Int.
« Qu’est-ce qui m’a poussé à étudier le cymbalum ? Les débuts sont liés à ma famille. Pour les 70 ans de ma grand-mère, nous avons organisé une fête classique dans notre village et mes parents ont décidé d’inviter un groupe de cymbalum, un groupe folklorique traditionnel. J’avais sept ans, cela a été ma première rencontre avec l’instrument et j’en suis immédiatement tombé amoureux. »
Le cymbalum fait partie intégrante de la culture d’Europe centrale, mais il n’est pas très connu en dehors de cette région. Comment présenteriez-vous cet instrument ?
« En fait, peu de gens savent que le cymbalum est l’un des instruments les plus anciens de notre histoire. Sa première représentation a été trouvée dans l’Empire syrien il y a 3 000 ans. Il ressemblait à une petite lyre, mais on utilisait déjà de petits marteaux pour taper sur les cordes. Tout au long de l’histoire, le cymbalum s’est développé en se frayant un chemin dans différentes régions du monde. A la fin du XIXe siècle, le cymbalum a attiré l’attention de Franz Liszt, le célèbre compositeur de musique classique, qui est tombé amoureux de l’instrument. A l’époque, le cymbalum était ouvert à différents types de musique, et pas seulement au style folklorique. Il était également en concurrence avec le piano dans le domaine de la musique classique. »
Il est intéressant que vous mentionnez la musique classique. La majorité des Tchèques associent le cymbalum à la musique folklorique morave alors que l’on peut jouer différents styles de musique avec cet instrument…
« Exactement ! C’est logique, car si vous allez en Moravie, vous entendez le cymbalum joué par des groupes folkloriques. Peu de gens savent que l’instrument a été officiellement développé pour les concerts, afin de concurrencer le piano. »
Après avoir décroché votre diplôme au Conservatoire de musique Janáček d’Ostrava, vous avez décidé de poursuivre votre rêve d’étudier le cymbalum aux États-Unis. Pourquoi vouloir étudier cet instrument dans un pays où il est pratiquement inconnu?
« C’est une très bonne question et la réponse est très simple. Je suis tombé amoureux de la culture américaine, en particulier de son mode de pensée, de son état d’esprit ouvert à la nouveauté. En étudiant le cymbalum au conservatoire, j’ai senti que cet instrument avait un grand potentiel. Pourquoi ne pas l’emmener dans un pays dont j’espérais qu’il puisse être assez ouvert pour m’accepter avec un cymbalum? Ce qui a été le cas ! »
A-t-il été difficile de trouver une université qui vous accepte?
« Je reconnais que le processus a été assez compliqué. Tout d’abord, il m’a fallu trouver une école qui m’accepte avec mon instrument. Ensuite, j’ai dû suivre la procédure normale pour être accepté en tant qu’étudiant dans une université américaine. Cela signifie qu’il faut réussir les examens SAT et ACT, remplir les conditions d’obtention d’un visa et disposer de suffisamment de moyens financiers pour pouvoir étudier dans une université aussi chère, du moins de notre point de vue. Cela a donc été un processus long et difficile, mais comme c’était un grand rêve, je n’ai jamais abandonné. »
En 2018, vous avez été accepté à la Northern State University dans le Dakota du Sud, devenant ainsi le premier étudiant au niveau universitaire aux États-Unis. Dans quel département avez-vous étudié?
« Il s’agissait d’abord de trouver ce qui serait le mieux pour moi, en particulier pour mon développement personnel et musical. J’ai commencé à suivre les cours de piano de Marcela Faflak, professeure à la Northern State University et qui a des origines tchèques. C’est elle qui m’a permis de venir dans cette université avec mon instrument. J’ai donc d’abord été rattaché à son département avant de commencer à coopérer avec tous les départements, par exemple le département des percussions et même avec le chef d’orchestre. Nous essayions de trouver un endroit où placer le cymbalum au sein de l’université. Finalement, c’est le professeur de percussions qui m’a le mieux convenu. Nous avons découvert que sa technique et son style étaient les plus proches du cymbalum. Je dirais donc qu’il s’agit d’une coopération mutuelle entre différents professeurs de différents départements, principalement de percussions et de piano. »
Apporter votre propre instrument n’a pas dû être simple…
« Cela a été extrêmement compliqué parce que le cymbalum pèse environ 110 kilos, selon les modèles. C’est aussi un instrument à la fois très volumineux et fragile, et il faut donc être extrêmement prudent lorsqu’on l’expédie. Et mon instrument était tout nouveau, il sortait de l’usine. Nous avons donc fait fabriquer un étui spécial pour le transport en avion. Nous avons ensuite chargé le tout dans un semi-remorque qui l'a conduit à Amsterdam, d’où il a été chargé dans un avion à destination de Minneapolis. Une fois là-bas j’ai loué une camionnette pour le conduire jusqu’au Dakota du Sud, à l’Université d’État du Nord. »
Outre le Dakota du Sud, vous avez également étudié au Conservatoire central de musique de Pékin. Qu’est-ce qui vous a mené jusqu’en Chine?
« Cela s’est produit suite à ma décision d’aller aux États-Unis. Une fois à l’école là-bas, j’ai réalisé qu’il y avait des gens extraordinaires venant du monde entier. Il y avait par exemple une étudiante qui jouait de la guitare pipa chinoise et j’ai eu la chance de coopérer avec elle à l’université. C’était ma première rencontre avec la musique chinoise, et je me suis dit que c’était vraiment intéressant. Un an plus tard, avant que le Covid ne commence, un groupe d’étudiants étrangers en provenance de Chine est arrivé et j’ai trouvé mon meilleur ami parmi eux. Pendant la pandémie, l’université est restée fermée et tous les étudiants étrangers ont été contraints de passer du temps ensemble dans un dortoir, ce qui fait que nous avons eu beaucoup de temps pour échanger. Je lui ai parlé de la Tchéquie, il m’a parlé de la Chine et, à la fin du semestre, il m’a dit: ‘La Chine t’intéresse, pourquoi ne pas essayer de trouver un moyen pour aller étudier là-bas?’ J’ai donc commencé à apprendre le chinois et à chercher des opportunités. J’ai créé une vidéo dans laquelle je décrivais mon instrument en chinois et expliquais pourquoi j’aimerais aller en Chine. Cela m’a conduit jusqu’au Conservatoire central de musique, où j’ai pu étudier pendant un semestre. »
Existe-il une version chinoise du cymbalum?
« Oui, c’était le point de jonction avec le cymbalum. Parce qu’en Chine, ils ont leur propre dulcimer qui s’appelle le yangqin, qui a sa propre culture et sa propre histoire. En même temps, la technique est similaire. Il possède simplement des baguettes en bambou qui produisent un son très différent de celui du cymbalum. Je dirais que le son du cymbalum est plus proche de celui du piano, tandis que le son du yangqin est plus percussif. »
Vous vous apprêtez à repartir à l’étranger dans quelques jours puisque vous avez obtenu une bourse d’études au prestigieux Berklee College of Music de New York pour votre master. Qu’est-ce qui vous pousse à poursuivre vos études aux États-Unis?
« C’est un grand rêve que j’avais depuis le tout début. Lorsque j’ai voulu aller étudier en Amérique, j’étais déjà très ambitieux et j’essayais de viser très haut. En 2018 déjà, pour ma licence, j’ai essayé de contacter les meilleures universités pour la musique. Mais comme je n’avais pas assez d’expérience avec le système éducatif américain, j’ai surtout procédé par essais et erreurs. Mais au cours des années que j’ai passées aux États-Unis, j’ai acquis beaucoup plus de confiance et d’expérience, ce qui m’a permis de poursuivre ma route jusqu’à cette prestigieuse école de musique. J’ai passé l’année dernière à élaborer un plan pour me faire accepter. J’ai créé de nombreuses vidéos que j’ai envoyées à la faculté pour leur montrer que j’étais vraiment intéressé et leur présenter mon instrument. Finalement, tout s’est bien passé et je suis maintenant prêt à entamer ce nouveau chapitre. »
Vous avez réussi à rassembler plus de 600 000 couronnes grâce à une campagne de crowdfunding pour financer vos études. Avez-vous été surpris par la réaction des gens, que vous ne connaissez probablement pas pour la plupart ?
« Bien sûr, j’ai été surpris. Mais je dois aussi dire que j’ai fait de mon mieux pour faire partager mon histoire. J’ai demandé à tous les amis que j’ai rencontrés au cours de mes études s’ils connaissaient quelqu’un qui pourrait être intéressé par mon histoire. J’ai donc été surpris par le soutien de toutes ces personnes que je n’avais jamais rencontrées. Mais j’ai aussi été extrêmement reconnaissant d’avoir tous ces gens autour de moi qui m’auraient soutenu de toute façon. C’est un sentiment formidable qui m’a donné beaucoup de force. »
Quel type de musique aimez-vous le plus jouer sur le cymbalum ?
« J’aime jouer différents styles pour montrer la variété de l’instrument. Mais en raison de ma formation, je base généralement mon répertoire sur la musique classique. J’essaie toujours de choisir des morceaux originaux composées pour le cymbalum afin d’en montrer toute la gamme et la couleur. Mais j’essaie aussi de présenter l’aspect folklorique de la musique, c’est pourquoi j’interprète souvent des chansons folkloriques tchèques. Grâce à mon expérience internationale, j’essaie également d’intégrer des morceaux plus modernes, par exemple de la musique jazz, voire funk. J’essaie donc toujours de placer le cymbalum dans des contextes différents pour que les gens puissent voir que l’instrument a vraiment beaucoup de potentiel. »
Vous avez parlé de votre coup de foudre pour cet instrument. Cette fascination vous habite-t-elle toujours ?
« Je pense que oui. Durant mes études, surtout quand j’étais plus jeune, j’ai parfois pensé que le cymbalum n’était pas le meilleur choix et que je devrais peut-être faire quelque chose de plus pratique. Ce n’est pas facile d’être un musicien indépendant. Mais à chaque fois que je n’ai pas beaucoup pratiqué, le cymbalum m’a toujours manqué et j’ai fini par devoir y revenir. Je suis quelqu’un de plutôt introverti, mais lorsque je suis assis devant mon cymbalum, je n’ai pas besoin de mots. Je me sens moi-même et je suis ouvert à tout le monde. »