Barbora Špotáková, double championne olympique : prendre la vie du bon côté

Barbora Špotáková, photo: CTK

Retour, dans ce magazine, sur les XXXe Jeux olympiques d’été. Sans surprise, c’est le javelot féminin qui a été la compétition la plus suivie de tous les JO de Londres par les téléspectateurs tchèques. Le 9 août 2012, plus d’un million et demi de Tchèques, sans compter les auditeurs radio, les supporters présents à Londres ou ailleurs sur la planète, ont applaudi leur compatriote Barbora Špotáková, devenue, à 31 ans, la reine incontestée de la discipline. Peu de gens savent que cette jeune femme affable, rieuse et sincère est tombée amoureuse du javelot il y a dix ans, lorsqu’elle traversait une des périodes les plus difficiles de sa vie, en tant qu’étudiante aux Etats-Unis.

Barbora Špotáková,  photo: CTK
Détentrice du record du monde, avec un jet à 72,28m, et médaillée d’or aux JO de Pékin en 2008, Barbora Špotáková est devenue, à Londres, la deuxième lanceuse de javelot de l’histoire à remporter deux fois de suite le titre olympique, après Ruth Fuchs de l’ex-RDA.

Barbora est originaire de Jablonec nad Nisou, ville située dans le nord de la Bohême, aux pieds de montagnes connues surtout pour la pratique des sports d’hiver. Or, la future championne de javelot est née dans une famille d’athlètes ce qui la prédestine à sa future carrière, comme nous le raconte son père František Špoták, professeur d’éducation physique :

« Je dis toujours que les enfants de sportifs deviennent, eux aussi sportifs. Les enfants de médecins deviennent souvent médecins, ceux de profs deviennent profs... Nos enfants étaient, qu’ils le veuillent ou non, obligés de passer du temps avec nous. Petits, ils connaissaient tous les stades en République tchèque. Ma femme et moi, nous leurs donnions toujours des bonnets ou des casquettes en couleurs, pour que nous puissions bien les voir sur la tribune, où ils jouaient. Et nous, nous pouvions tranquillement faire du sport. »

La petite Barbora Špotáková  (au milieu),  photo: Archives de Barbora Špotáková
Dans cette même interview accordée à la Radio tchèque, à la veille de la finale du javelot à Londres, František Špoták s’est aussi souvenu de ces dimanches passés au Srnčí důl, un centre sportif de Jablonec, situé en pleine nature, où Barbora a fait ses premiers essais au javelot, où le père apprenait à sa petite fille à atteindre une cible : une bouteille en plastique.

Tout comme son frère, Barbora Špotáková opte d’abord pour l’heptathlon. Elle fréquente un lycée sports-études et enchaîne avec l’Université agricole de Prague où elle se spécialise dans l’environnement. C’est un séjour d’études et d’athlétisme que Barbora effectue, en 2002, à l’Université du Minnesota, à Minneapolis, aux Etats-Unis, qui marque un tournant dans sa vie. Une expérience difficile que Barbora avait évoquée, quatre ans plus tard, lorsqu’elle venait de décrocher l’argent aux championnats d’Europe, dans un entretien accordé au magazine Reflex :

« Habiter dans une cité universitaire avec des Américains de 17 ans qui se retrouvent pour la première fois sans parents et ne savent pas se comporter, c’était l’enfer. J’ai compris que la mentalité américaine m’était étrangère. Heureusement, il y avait aussi des athlètes européens… Tous les entraînements étaient collectifs, et en plus très durs, ce qui était insensé. Aucune approche individuelle n’y existait. Je n’ai jamais autant pleuré que pendant cette année-là. A Noël, la cité était fermée, nous n’avions aucun hébergement et personne ne s’en souciait. Et je n’avais pas assez d’argent pour rentrer chez moi. »

Rudolf Černý,  photo: Ivana Roháčková,  ASC Dukla
A toutes ces difficultés se sont ajoutés des ennuis de santé. Des douleurs à la jambe empêchent Barbora de continuer l’heptathlon et c’est à ce moment-là qu’elle commence à se consacrer davantage et plus sérieusement au javelot, sous la surveillance de son entraîneur Sidney Cartwright, originaire des Bahamas.

« J’ai commencé à apprécier cet entraînement », raconte Barbora Špotáková. « En quelques semaines, j’ai lancé trois mètres plus loin et je me suis qualifiée pour les championnats d’Europe ».

De retour en République tchèque, Barbora Špotáková se fait opérer d’une tumeur bénigne du tibia et… se fait repérer par la légende tchèque du javelot, Jan Železný. Mais ce n’est qu’à partir de 2010 que le triple champion olympique deviendra son mentor. Pour l’instant, elle reste fidèle à Rudolf Černý, entraîneur au sein du célèbre club du Dukla Prague. Avec lui, Špotáková enchaîne les succès. Parmi les plus brillants, la médaille d’or aux championnats du monde d’Osaka, en 2007, le record du monde établi en 2008, mais surtout, la même année, la première victoire olympique de la lanceuse de javelot tchèque aux JO de Pékin – décrochée, symboliquement, contre son adversaire russe Maria Abakumova, le jour du quarantième anniversaire de l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie dans l’ancienne Tchécoslovaquie.

En 2010 donc, après onze ans passés aux côtés de Rudolf Černý, Barbora Špotáková décide de changer d’entraîneur. En expliquant qu’elle a besoin d’une nouvelle impulsion pour sa technique du lancer, elle fait appel au recordman mondial Jan Železný.

Jan Železný et Barbora Špotáková,  photo: Ivana Roháčková,  ASC Dukla
« Avec Ruda (Rudolf) Černý, qui entraîne les heptathloniens, nous avons presque réalisé l’impossible. Une lanceuse de javelot qui n’a jamais fait d’exercices de pull-over, qui n’a jamais fait de flexions… et qui devient championne olympique, c’est quand même incroyable. Cette victoire à Pékin était surtout liée à la force du moment présent, au fait que c’était un 21 août… Mais ensuite, il a fallu donner à mon entraînement plus de professionnalisme et c’est précisément Jan Železný qui l’a apporté. Il m’a appris un tas d’exercices spéciaux. Sans cela, je ne serais pas parvenue à conserver le titre de championne olympique aux Jeux de Londres. »

Accueillie à la Maison tchèque de Londres, au lendemain de sa deuxième victoire olympique, remportée, rappelons-le, avec un jet à 69,55 m, Barbora Špotáková en a dit un peu plus à propos de la technique du lancer du javelot, sur laquelle elle travaille tant avec Jan Železný :

Barbora Špotáková,  photo: CTK
« En effet, avec lui, ma technique a changé. Mais la base reste la même, elle consiste en deux ou trois conseils essentiels à suivre. Par exemple, le bras lanceur doit être tendu le plus longtemps possible, jusqu’au dernier moment. Ce n’est pas la même chose que quand on jette une pierre. Plus longtemps on arrive à avoir le bras tendu, plus le jet sera long. »

Une autre particularité de cette discipline, dévoilée par Barbora dans une autre interview : les lanceurs ne réalisent de bonnes performances que quand ils sont décontractés. Quand ils lancent un peu « malgré eux ». En même temps, on dit souvent que le lancer de javelot fait partie des disciplines les plus douloureuses. Vrai ou faux ?, a-t-on demandé à Barbora Špotáková à Londres :

Barbora Špotáková,  photo: CTK
« Faire du sport fait toujours mal, quelle que soit la discipline. Vous savez, un jet réussi ne fait pas mal. Ce sont les essais gâchés qui sont douloureux. Même hier, en finale de la compétition olympique, j’ai fait un jet qui m’a fait mal. Je le sentais encore le lendemain matin. »

On le dit souvent en politique, et les chefs d’Etat peuvent sans doute le confirmer : une élection, c’est bien, mais une réélection, qui valide le premier mandat, c’est mieux. Pareil pour le sport : tout le monde, ou presque, s’attendait à ce que Barbora conserve son titre olympique de Pékin. On l’écoute :

« La pression que j’ai subie était énorme. Evidemment, j’ai mille fois pensé à tous ces gens qui seraient déçus si je terminais deuxième. Mais en même temps, je me répétais combien ils seraient heureux si je gagnais. J’essaie toujours de prendre la vie du bon côté. »

Comme elle aime le raconter, elle-même, avec la sincérité qui lui est propre, Barbora Špotáková a la chance de bénéficier du soutien sans faille de ses proches, notamment de son compagnon, Lukáš, sapeur-pompier professionnel. Barbora Špotáková :

« Ce qui est important, dans notre relation, c’est que nous nous sommes mis ensemble au début de ma carrière, où personne ne me connaissait. Tout ce qui a suivi, dans ma vie d’athlète, nous l’avons vécu ensemble. Il est toujours à mes côtés, alors il sait tout sur ce que fais, il sait de quoi il s’agit. Je suis également beaucoup soutenue par mes amis, dont certains sont même venus à Londres. Ce sont mes copains du collège et du lycée que je fréquente toujours. Je suis quelqu’un qui a une poignée de bons amis d’enfance et c’est tout. Au fil du temps, j’ai compris que c’est ça, le plus précieux : de vieux amis qui ne vous lâchent pas. Vous savez, il y a tant de gens qui me contactent, qui voudraient me connaître. Je suis sûre qu’ils sont bien, mais je n’ai pas envie d’avoir de nouveaux amis. Nous ne pourrions jamais devenir aussi proches qu’avec mes amis d’enfance, ce n’est pas possible. »

Barbora Špotáková,  photo: CTK
Après les Jeux olympiques d’été, Barbora Špotáková se concentre désormais sur deux meetings de la Ligue de diamant et notamment sur la finale de celle-ci, disputée début septembre à Bruxelles. Elle espère faire encore mieux qu’à Londres :

« Je voudrais encore signer une belle performance, au-delà des 70 m. Je voulais y parvenir à Londres, cela ne s’est pas fait, mais on verra. En général, j’ai encore une bonne forme à la fin de l’été. Je voudrais lancer loin, c’est mon rêve. »