Ruth Bondy : « J’aime traduire quand c’est difficile »

Ruth Bondy, photo: CT

Le Prix Jiří Theiner porte le nom de ce journaliste et traducteur tchèque qui a vécu entre 1926 et 1988 et a été contraint, après 1948, de quitter le journalisme et de travailler dans les mines. En 1968 Jiří Theiner est parti en Grande-Bretagne où il allait devenir rédacteur en chef d’Index on Censorship, revue soutenant la liberté d’expression. Il a traduit en anglais des livres d’Ivan Klíma, Ludvík Vaculík, Václav Havel et d’autres auteurs. Cette année le prix qui porte son nom a été décerné à Ruth Bondy, elle-même journaliste, traductrice et écrivaine d’origine tchèque qui vit depuis plus un demi-siècle en Israël. Le prix lui a été remis le 18 mai 2012 dans le cadre de la foire international le Monde du Livre.

Ruth Bondy dans les années 40,  photo: Post Bellum
Ruth Bondy est pragoise. Elle est née en 1923 dans la famille d’un employé de banque. « Nous étions une famille juive petit bourgeoise, pas du tout orthodoxe, » constatera t-elle. Les parents de Ruth lui donnent une éducation allemande espérant qu’elle sera elle aussi employée de banque avant de se marier. La jeune fille entre cependant dans le Mouvement des jeunesses sionistes et se prépare à émigrer en Palestine. Avec le début de la guerre ces projets s’effondrent et Ruth partage le sort horrible des autres Juifs d’Europe centrale. La première étape de son calvaire s’appelle Terezín. Elle arrive dans ce camp de concentration à l’âge de 15 ans et ne sait pas qu’elle sera bientôt déportée à Auschwitz. Si elle survit finalement au séjour dans cette usine de la mort, c’est parce qu’en 1944 elle est envoyée à Hambourg pour déblayer les débris des bombardements, et puis au camps de Bergen-Belsen. Après la guerre, elle travaille à Prague comme traductrice mais la fondation de l’Etat d’Israël en 1948 lui donne une nouvelle impulsion pour émigrer. Elle s’engage dans la Brigade des volontaires tchécoslovaques créée pour répondre au double besoin d’Israël en troupes de combats et en immigrants, et part pour la Terre promise.

Arrivée en Israël, elle achève sa mission militaire, étudie intensivement l’hébreu, puis s’installe à Tel Aviv et devient une journaliste renommée. Elle s’intéresse à la Shoah mais n’aime pas parler des aléas de sa propre vie. Elle se lance aussi dans la traduction et finira par traduire une quarantaine de livres tchèques en hébreu. Parmi les auteurs qu’elle fait ainsi connaître aux lecteurs israéliens il y a Bohumil Hrabal, Jiří Weil, Milan Kundera, Jan Werich, Patrik Ouředník et bien d’autres. Le premier livre qu’elle traduit est le chef d’œuvre de Jaroslav Hašek « Les Aventures du brave soldat Chveïk ». Elle ne recule pas devant les difficultés de la traduction :

« J’ai aimé traduire Hrabal justement parce que c’est un casse-tête. Mon écrivain préféré est cependant Karel Čapek mais quand j’ai émigré en Israël en 1948 une grande partie de l’œuvre de Čapek était déjà traduite. Au début, je ne l’ai donc pas traduit mais il y a deux ans une maison d’édition m’a demandé de traduire son livre « L’année du jardinier ». Et quand je me suis mise au travail je me suis rendue compte pourquoi ce livre n’avait pas été traduit. C’est un casse-tête botanique. Il n’y a pas de dictionnaire tchèque-hébreu et j’ai donc été obligée de chercher d’abord les noms latins de toutes les plantes dont il est question dans le texte et ensuite les équivalents en hébreu de ces noms latins. Je ne croyais pas que le livre pourrait avoir beaucoup de succès parce que le jardinage n’est pas très répandu en Israël. Et finalement le livre a été publié en plusieurs éditions et ça a été un grand succès. Il y a deux mois est sortie la traduction d’un autre livre de Karel Čapek, Les Apocryphes, et juste avant mon départ a paru une anthologie de contes tchèques. J’ai choisi pour cette anthologie vingt écrivains, de Jan Neruda jusqu’à nos jours. Il s’agit de contes courts qui n’ont pas encore été traduits en hébreu. »

Ruth Bondy est également auteur de plusieurs livres à caractère autobiographique écrits en tchèque. Elle y évoque sa vie mais sauve de l’oubli aussi beaucoup d’histoires d’autres Juifs tchèques, leur façon de vivre, leurs coutumes et leur cuisine. Malgré sa longue absence, aujourd’hui encore elle s’exprime sans problème en tchèque et son vocabulaire reste riche et varié. Elle n’a pas oublié la langue qu’elle a parlée dans son enfance et dans sa jeunesse mais, après avoir vécu pendant quatre décennies en Israël, il lui a fallu la redécouvrir :

Ruth Bondy,  photo: CT
« Mon retour à la langue tchèque a été comme la découverte des dessins ensevelis sous les cendres de Pompéi. Je suis revenue à Prague pour la première fois en 1989 et soudain mon tchèque, lui aussi, m’est revenu. Et pourtant je n’avais fréquenté les écoles tchèques que pendant deux ans, la plupart du temps j’allais dans les écoles allemandes. Mais c’était ma langue maternelle et elle est restée en moi. Evidemment je fais des fautes mais les rédacteurs sont là pour me corriger. Le retour a été d’ailleurs assez déprimant pour moi, parce que je suis arrivée encore sous le communisme et Prague était tellement triste, tellement grise avec des échafaudages partout. J’ai demandé : ‘Comment ça se fait qu’il y a des travaux partout ?’ et on m’a dit : ‘Ce ne sont pas des travaux de construction, c’est le crépis qui tombe.’ »

Avec les années Ruth Bondy est devenue, grâce à ses traductions, une véritable ambassadrice de la littérature tchèque en Israël. Elle constate que les lecteurs israéliens recherchent dans la littérature tchèque surtout l’humour parce qu’ils ne manquent pas de sérieux problèmes chez eux :

« J’ai traduit par exemple le nouvelle ‘Roméo, Juliette et les ténèbres’ de Jan Otčenášek. J’ai cru que cette histoire d’amour entre un garçon tchèque et une fille juive, la tentative du garçon de la sauver, pourrait intéresser le lecteur israélien. Mais les réactions étaient nulles. Par contre les contes d’Ota Pavel sur les poissons, bien que la pêche ne se pratique pas en Israël, ont été bien accueillis. »

De même le recueil de contes de Jan Werich « Fimfárum », livre très apprécié par les enfants tchèques et aussi par Ruth Bondy pour sa fantaisie, son humour et sa langue savoureuse, n’a pas eu de succès auprès des lecteurs israéliens. Désormais elle est donc beaucoup plus prudente et n’ose pas recommander aux éditeurs de publier la traduction de tel ou tel livre tchèque. La situation des éditeurs israéliens et tchèques étant bien difficile, elle ne veut pas les exposer à des problèmes financiers et leur laisse l’initiative de choisir les nouveaux livres à traduire. Le métier de traductrice n’est toutefois pas son unique activité. Etant aussi écrivaine, elle poursuit également sa propre œuvre littéraire :

« Je viens de décider de faire une sélection de mes livres écrits en tchèque et de les publier en hébreu. J’ai écrit ces livres parce que j’avais l’impression que la génération actuelle des Tchèques ne savait que peu de choses sur les Juifs tchèques, et puis je me suis rendue compte que les Israéliens non plus ne savent pas grand-chose sur les Juifs tchèques. Je suis donc en train de comprimer ces quatre livres tchèques en un seul livre hébreu qui sera illustré également par les dessins de Jiří Slíva. »