Les missions de l’ambassade de République tchèque en France

Marie Chatardová

Marie Chatardová est ambassadeur de République tchèque en France depuis 2010. Les relations franco-tchèques, dans l’histoire et à l’heure actuelle, la mission de la représentation officielle de la République tchèque en France, l’agrandissement de la centrale de Temelín pour laquelle la société Areva est en lice, mais aussi la perception de Vaclav Havel en France. Tels sont les nombreux sujets que Radio Prague a abordés avec Marie Chatardová.

Marie Chatardová
Marie Chatardová, madame l’ambassadeur, vous êtes entrée dans vos fonctions en 2010. Une mission diplomatique dans un pays s’inscrit-elle uniquement dans la continuité ou bien chaque nouvel ambassadeur peut-il apporter sa touche personnelle ?

« Le travail d’un ambassadeur est plus ou moins défini. Ce travail dépend naturellement de l’évolution des relations bilatérales et multilatérales. Il y a toujours des dossiers à gérer. Mais un ambassadeur a toujours une certaine marge pour ses propres initiatives. Dans ce domaine, la continuité est certes nécessaire, mais chacun a son caractère et son histoire, une façon de gérer les choses. Je crois que c’est vrai en diplomatie, en politique ou en entreprise. »

Personnellement, quels objectifs aviez-vous quand vous êtes arrivée à Paris ?

Photo: www.mzv.cz
« Le président Masaryk avait une belle formule pour expliquer que la différence entre un grand pays et un pays moins grand, c’est comme la différence entre un homme de petite taille et un homme de grande taille. Son humanité est la même. Je crois que les gens en France commencent à réaliser l’importance de la République tchèque en termes politique et économique. Mon objectif personnel est de mieux faire connaître la République tchèque. Pour atteindre cet objectif, je lance par exemple des journées tchèques. Je soutiens également beaucoup la coopération entre les villes, entre les régions et de manière générale, toutes les coopérations sur le terrain, là où élus et gens de la société civile se rencontrent et créent des liens. Par exemple, au niveau des universités et des petites et moyennes entreprises. Je suis vraiment ravie quand je reçois une lettre de quelqu’un qui me dit que tel stage ou cycle d’études a été possible grâce à une coopération que j’ai lancée. »

Vous aviez déjà exercé cette fonction en Suède entre 2002 et 2007, comment jugez-vous ces deux missions ? En quoi sont-ils similaires, en quoi sont-ils différents par rapport à la tradition des relations entre la République tchèque et ces deux pays ?

« J’apprécie les deux pays même s’ils sont différents. Les agendas sont différents de même que la taille des ambassades. Quand vous vous promenez en Suède, un pays magnifique, vous retrouvez un peu partout des ‘objets déplacés’ au cours de la guerre de Trente ans. La folie de cette époque aura eu un mérite : pour les Suédois, les Tchèques sont un peuple de gens cultivés et infiniment civilisés. Pratiquement partout, vous retrouvez dans le pays un objet ‘déplacé’ pendant la guerre de Trente ans. C’est une situation très confortable pour un ambassadeur tchèque en Suède : tout le monde sait où se trouve Prague, qu’il y a une grande culture dans la capitale. Les Suédois sont très généreux pour les réfugiés. Ils l’ont montré envers mes compatriotes qui fuyaient le régime communiste avec des programmes spéciaux d’assistance notamment après 1968. Concernant la France, je connais bien le pays, ne serait-ce que parce que mon mari est d’origine française. Nos enfants sont absolument bilingues. Les relations entre nos deux pays à partir de 1918 ont été intenses. Et cette situation est revenue depuis 1989 avec la volonté de construire des relations solides qui s’appuie sur des relations amicales anciennes. Dans les deux cas les deux missions sont très intéressantes car elles me permettent de mettre en valeur la République tchèque. »

Vous rappeliez que la République tchèque et la France ont eu dans le passé des liens très forts. Il est utile de rappeler le soutien de la France à la création de la Tchécoslovaquie en 1918. Cette histoire commune a connu des soubresauts comme les Accords de Munich. Et dans une période plus récente des désaccords ou incompréhensions comme pendant la période de présidence tournante de l’Union européenne. Comment qualifieriez-vous les relations France- République tchèque aujourd’hui ?

« Au-delà des aspects historiques, il y a la réalité du monde aujourd’hui. Nous collaborons avec la France dans de nombreuses organisations multilatérales comme l’Union européenne, comme l’OTAN. La République tchèque et la France ont des approches identiques notamment sur la question de l’énergie nucléaire. Il y aussi des coopérations dans les secteurs à forte valeur ajoutée comme la recherche et le développement, l’industrie aérospatiale. Prague est d’ailleurs devenue le siège du projet Galileo avec un grand soutien de la France. Les petites entreprises commencent développer des liens encourageants. De manière générale, le commerce entre les deux pays va battre un record pour 2011, j’espère que ce sera confirmé par les statistiques. Je ne veux pas oublier la culture avec de nombreux échanges et projets. »

Le Premier ministre Petr Nečas était à Paris début janvier, pour une visite de travail. Il a rencontré son homologue français François Fillon. Un des enjeux des relations franco-tchèques à l’heure actuelle, c’est l’achèvement de la centrale nucléaire de Temelín pour laquelle la société Areva est en lice. Où en est le dossier ?

« L’agrandissement de la centrale de Temelín fait l’objet d’un appel d’offres international lancé en octobre 2011. Les propositions des différents groupes devraient être remises en juillet 2012 et le choix sera finalisé en 2013. Le processus de sélection est transparent et les règles appliquées aux compétiteurs sont les mêmes. C’est très important pour la réputation de nos entreprises et pour s’assurer de la qualité du travail qui sera réalisé. On ne plaisante pas avec l’énergie nucléaire. »

Dans ses vœux de la nouvelle année, le maire de Paris Bertrand Delanoë a émis le souhait que la future bibliothèque du quartier Pajol, à Paris, porte le nom de Václav Havel, l’ancien président et dramaturge tchèque décédé fin décembre. Où en sommes-nous de ce projet ?

Photo: Archives de Radio Prague
« Après le décès de Václav Havel, le maire de Paris a été l’une des toutes premières personnalités françaises à venir à l’ambassade, présenter ses condoléances. Les Français connaissent la place importante dans la littérature du XXe siècle. C’est peut-être ce qui me touche le plus : voir tant de gens différents m’expliquant des citations ou des pièces de Havel qu’ils retiennent et utilisent comme références pour leur propre réflexion. Le projet de baptiser une bibliothèque en son nom s’inscrit dans cette reconnaissance. Pour l’heure ce n’est qu’une idée, nous attendons des informations plus concrètes de la part du maire de Paris qui me les a promises, pour qu’on puisse les communiquer à Prague. En tout cas rien ne peut se faire sans l’accord des proches de Václav Havel. »

Au moment du décès de Václav Havel, pouvez-vous nous faire part de ce qui vous a frappé dans les réactions côté français…

Messe en la cathédrale Notre-Dame de Paris à l'intention de Václav Havel
« C’est le nombre surtout : plusieurs centaines de personnes ont témoigné de leur attachement à l’ancien président à l’ambassade tchèque à Paris. Il y a eu des témoignages émouvants, des fleurs, des bougies, déposées immédiatement devant le bâtiment. Quand nous avons ouvert l’ambassade, un flot de personnes est venu se recueillir devant la photo de Václav Havel et signer un livre de condoléances. A Prague des milliers de personnes ont assisté aux funérailles de l’ancien président et la France a choisi d’être représentée au plus haut niveau par le président Nicolas Sarkozy. C’est un signe fort, une reconnaissance de la place unique qu’occupe Václav Havel dans l’histoire du continent européen. »

Dimanche 12 février, le cardinal André Vingt-Trois a donné une messe en la cathédrale Notre-Dame de Paris, à la mémoire de Václav Havel. C’est un événement plutôt rare ou est-ce courant pour un chef de l’Etat étranger disparu ?

Messe en la cathédrale Notre-Dame de Paris à l'intention de Václav Havel
« Je ne peux vous répondre. Mais je crois que le cas de Václav Havel est un peu particulier. En 1918, notre pays a été fondé par des intellectuels comme le président Masaryk qui était à la fois un symbole et un chef. C’est une constante : la population tchèque a besoin de réfléchir à ce qu’elle vit ou à ce qu’elle subit. Václav Havel en est un exemple. Immédiatement après le décès de l’ancien président le cardinal André Vingt-Trois a présenté ses condoléances à la République tchèque et a accepté ma proposition d’une messe à son intention. C’est une pratique courante qu’une messe soit dite à la cathédrale Notre-Dame à l’occasion des funérailles des chefs d’Etat français. La messe célébrée à l’intention de Václav Havel était marquée d’une grande dignité et elle clôt ce temps des funérailles. »

Le 9 mars prochain doit se dérouler à Paris le Forum franco-tchèque des jeunes entrepreneurs, quels en sont les enjeux et les objectifs ?

Photo: Carl Dwyer / Stock.XCHNG
« Ce forum rentre dans le cadre du plan d’action du partenariat stratégique. Il poursuit la création du Forum franco-tchèque des jeunes dans différents domaines. Le premier était consacré aux jeunes diplomates et cette année, nous avons décidé de rassembler de jeunes entrepreneurs le 9 mars à Paris. Ce forum a pour but de développer les liens entre les nouvelles générations d’entrepreneurs des deux pays. Le but est concret : il sera question de la mise en réseau d’entreprises des deux pays appartenant à des secteurs identiques. Les jeunes en question auront moins de 40 ans, chefs d’entreprises indépendants ou non, de préférence à la tête de petites et moyennes entreprises. Bien entendu, la cible, c’est ceux qui ont lien franco-tchèque. Le programme sera consacré à un débat sur le climat pour entreprendre dans nos pays respectifs et en Europe, des visites de terrain, des rencontres bilatérales. »