Marie Chatardová : un an à la tête du Conseil économique et social de l’ONU

Marie Chatardová, photo: Magdalena Hrozínková

Ces douze derniers mois, la République tchèque a présidé le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). La prestigieuse fonction de présidente du conseil a été occupée par Marie Chatardová, ambassadrice de la République tchèque auprès des Nations Unies devenue par ailleurs la troisième femme élue à ce poste. Ancienne ambassadrice tchèque en France et quatrième femme la plus influente en République tchèque en 2017, d’après le magazine Forbes, Marie Chatardová est aujourd’hui l’invitée de Radio Prague. Elle fait le bilan de la présidence tchèque du Conseil économique et social, un des six organes principaux de l’ONU.

Marie Chatardová, bonjour. En juillet 2017, vous étiez nommée à la tête du Conseil économique et social de l’ONU (ECOSOC), pour une durée d’un an. Ce conseil est censé « promouvoir l'action collective en faveur d'un monde durable », c’est du moins ce que l’on peut lire sur son site Internet. Quels sont, plus concrètement, les objectifs de l’ECOSOC ? Comment fonctionne-t-il ?

Marie Chatardová,  photo: Magdalena Hrozínková
« En effet, c’est le programme de développement durable à l’horizon 2030, adopté par les dirigeants mondiaux en septembre 2015, qui constitue la priorité du conseil. Ce programme contient 17 objectifs précis. L’ECOSOC est chargé d’évaluer les progrès atteints dans tel ou tel domaine et d'aider les Etats membres à réaliser ces objectifs. Le conseil est responsable de trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Il a un grand nombre d’organes subsidiaires, dont par exemple la Commission de la statistique, la Commission de la condition de la femme ou encore la Commission des stupéfiants. Il n’est pas facile de coordonner l’action de différentes commissions, comités et groupes d’experts, mais en même temps c’est une tâche extrêmement intéressante. Les commissions organisent des conférences, mais il ne s’agit pas de ‘conférences pour des conférences’. Ces rencontres visent à chaque fois un but précis. Je me souviens par exemple du Forum de la jeunesse, de ce rendez-vous exceptionnel de plus de 800 délégués du monde entier qui ont pu échanger avec plusieurs ministres. Pour la première fois, le Forum a été ouvert même à ceux qui ne pouvaient pas se déplacer à New York. Ils ont pu participer aux débats à distance. Ces discussions étaient très enrichissantes. Imaginez que le nombre de jeunes sur la planète s’élève à 1,8 milliards et que tous ces jeunes gens ont des idées originales et inspiratrices pour nous. C’est quand même leur avenir qui est en jeu…»

Le Conseil économique et social est responsable, paraît-il, du financement de 70% des programmes de l’ONU. Est-il chargé de distribuer l’argent parmi les différents programmes ?

« Ce n’est pas exact. Si l’ECOSOC est responsable de ces ressources, c’est par sa fonction de coordination. Par exemple, nous avons discuté, au sein du conseil, de la réforme de l’aide au développement. Cette réforme a dû ensuite être adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, où sont représentés les 193 Etats membres, alors que le Conseil économique et social ne compte que 54 pays membres élus pour trois ans. Le conseil coordonne aussi l’action des agences, tels qu’Unicef, mais il n’a pas de responsabilité directe. »

Quels ont été les défis et les priorités de la présidence tchèque du Conseil économique et social de l’ONU ? Pourriez-vous faire un bilan du travail accompli au cours des douze derniers mois ?

« Le grand thème de la présidence tchèque était : ‘la participation active à la vie publique comme moyen pour la création et le renforcement d’une société durable, solide et inclusive.’ Derrière ce titre officiel se cache une idée tout à fait simple : le progrès n’est pas possible si nous ne donnons pas la chance à tous les acteurs sociaux de participer au développement. Cela a été le thème principal d’une conférence que nous avons organisée à Prague. Je pense que cette rencontre a eu le plus de succès parmi toutes les conférences organisées par l’ECOSOC non pas à New York, mais dans les pays membres du conseil. A cette occasion, nous avons accueilli à Prague le président de l’Assemblée générale, ainsi que la vice-secrétaire générale de l’ONU Amina J. Mohammed. L’événement a eu un écho dans les médias tchèques et étrangers. »

Pensez-vous que la République tchèque peut servir d’exemple pour d’autres pays en ce qui concerne la participation active à la vie publique ?

« Oui, nous avons choisi ce thème pour montrer que les changements sont possibles et ceci dans un délai relativement court. En République tchèque, nous sommes passés d’une économie d’Etat à l’économique du marché, où des initiatives individuelles ont pu s’épanouir grâce à des politiques publiques particulièrement favorables. Nous avons voulu montrer par-là que même le programme de développement durable à l’horizon 2030 était réalisable, malgré le scepticisme de certains. Je suis persuadée que des changements positifs sont possibles, mais il faut donner à tout un chacun l’opportunité de participer à la vie publique. »

L’un des principaux défis de l’ONU d’ici à 2030 est d’éliminer la pauvreté extrême. Est-ce un objectif réalisable ? Est-il possible d’éliminer la pauvreté dans le monde ?

« L’extrême pauvreté est en constant déclin. Evidemment, elle persiste dans de nombreuses régions à travers le monde et certains groupes en sont plus touchés que d’autres. La définition de la pauvreté est importante. Au niveau international, le seuil de pauvreté est actuellement fixé à 1,9 dollars en parité de pouvoir d’achat, par jour et par personne. Ainsi, la pauvreté touche environ 9% de la population mondiale. Le secrétaire général a constaté que pour éliminer la pauvreté extrême, il était nécessaire de mettre en place des systèmes de protection sociale et prendre des mesures ciblées permettant de réduire la vulnérabilité aux catastrophes. Je reviens à vitre question, à savoir s’il est possible de faire disparaître la pauvreté. Je réponds que nous devons tous faire le maximum, chacun de notre côté. »

Dans chaque pays, je me suis rendue sur le terrain

Si la République tchèque reste réticente à accueillir des réfugiés sur son sol, elle promeut, par le biais de ses dirigeants politiques, des projets d’aide dans les pays d’origine de migrants, afin de prévenir l’afflux de migrants économiques notamment en Europe. Cette prise de position trouve-t-elle un écho au sein de l’ONU ?

« Vous savez, l’ONU est composée de 193 pays membres, cela représente 193 opinions différentes… Dans chaque domaine, il faut trouver un compromis. En ce qui concerne la politique migratoire, j’évoquerai à nouveau le programme de développement durable à l’horizon 2030. Apporter une assistance aux pays d’origine de migrants, cela veut dire lutter contre la pauvreté, donner à tout le monde l’accès à l’éducation, à l’eau et à l’énergie. Sur ce point, il n’y a aucune divergence d’opinions. Aussi, la réforme de l’aide au développement adoptée par l’ONU fin mai va dans ce sens. »

En tant que présidente de l’ECOSOC, vous avez fait le tour du monde, participé à de nombreuses conférences. Avez-vous eu l’occasion d’aller « sur le terrain », de voir des problèmes de ce monde de près, de vos propres yeux ?

Bhoutan,  photo: Anver_Hisham,  public domain
« Je n’ai jamais accepté des invitations à des événements où j’aurais passé tout mon temps à participer à une conférence, où ma présence se serait limitée à la présentation d’un discours. A chaque fois que je me suis déplacée dans un pays, j’ai rencontré divers acteurs sociaux, je me suis rendue sur le terrain. Présider l’ESOSOC est une expérience unique : vous rencontrez des hauts représentants politiques, ainsi que des universitaires, des médecins, des policiers… Je me souviens en particulier de plusieurs rencontres que j’ai eues au Bhoutan, pays qui se prépare à quitter le groupe d’Etats les moins avancés. Là-bas, dans des montagnes difficiles d’accès, j’ai justement discuté avec des policiers, des médecins et des enfants de leur situation. J’ai réalisé à quel point l’assistance de l’ONU, mais également celle de la branche tchèque de l’Unicef qui met en place de nombreux projets au Bhoutan, pouvait améliorer la vie des gens. Je me souviens encore de cette émotion forte que j’ai ressentie lorsque j’ai vu dans cette région montagneuse et déserte, au milieu de rien, une petite école et une maternité, lorsque les habitants de la région, modestes, reconnaissants et ravis de pouvoir réaliser eux-mêmes certains changements, sont venus me remercier. »

Après avoir été remplacée, fin juillet, par une autre femme, Inga Rhonda King, à la tête du Conseil économique et social, vous continuez à représenter la République tchèque auprès de l’ONU. Quels sont vos futurs projets ?

« Après cette année épuisante, je peux enfin souffler un tout petit peu… Prendre de temps en temps un week-end libre ou visiter un autre lieu à New York que le Central Park qui se trouve juste à côté de la résidence tchèque. Toutefois, me reposer ne correspond pas vraiment à ma nature. Alors j’ai de nouveaux projets liés au fait que la République tchèque est membre du conseil exécutif de l’Unicef. Il existe de fortes chances que l’année prochaine, notre pays puisse occuper un poste important au sein de cette agence. »