Le culte de l'Enfant Jésus de Prague : un lien entre Paris et la capitale tchèque
L’église praguoise de Notre-Marie-de-la-Victoire, située dans le quartier de Malá Strana renferme une statuette vénérée dans tout le monde chrétien, celle de l’Enfant Jésus de Prague. Symbolisant l’enfance de Jésus, la dévotion dont elle est l’objet s’est répandue partout en Europe et dans le monde depuis le début du XVIIe siècle. La France ne fait pas exception et une réplique de la sainte statuette a d’ailleurs été offerte le 10 février dernier par l’ambassadeur tchèque en France, Marie Chatardová, à l’église Saint-François-Xavier à Paris. Kateřina Srbková a assisté pour Radio Prague à la cérémonie qui a réuni plus de 900 personnes.
« La cérémonie d’aujourd’hui est le résultat de plusieurs facteurs. Cela a commencé quand je suis allée à Damigny pour une célébration qui était organisée par l’Association des amis de l’Enfant Jésus. J’ai commencé à avoir cette idée qu’à Paris, surtout dans la paroisse de Saint-François-Xavier qui est au cœur du 7e arrondissement et dont l’église est toujours pleine, on pourrait organiser une telle cérémonie. A Damigny, l’Enfant Jésus est présent parce qu’il y a eu Sainte Thérèse de Lisieux qui est née à Alençon à côté de Damigny. Ici, à Paris, dans l’église, il y a une chapelle dédiée à Sainte Thérèse où il n’y avait aucune statuette. Nous avons contacté le père Chauvet qui est curé de la paroisse en proposant d’amener l’Enfant Jésus de Prague dans cette chapelle Sainte Thérèse et il a été d’accord tout de suite. »
Madame Chatardová se rend en effet régulièrement avec sa famille aux messes données à l’église Saint-François-Xavier. Le curé de cette paroisse, Patrick Chauvet, espère que, non content de répandre la dévotion à l’égard de l’Enfant Jésus, la statuette permettra de contribuer, même marginalement, au rapprochement entre les peuples européens :
« Je ne suis pas du tout sûr que les Français connaissent bien l’histoire de l’Enfant Jésus de Prague. Mais ça sera peut-être l’occasion de découvrir l’histoire de cette dévotion. Autre chose me paraît important en tant que curé de Saint-François-Xavier mais aussi expert auprès du Vatican à l’UNESCO pour les questions de culture et d’éducation. Je pense vraiment que l’on construit l’Europe, non pas de statuts, mais aussi à partir d’une culture. Et donc je trouve dommage que l’on essaye aujourd’hui uniquement de construire l’Europe à partir de l’économie - une Europe économique, une Europe politique – on voit les résultats, ce n’est pas brillant […]. Je pense qu’à notre niveau - nous ne sommes pas à la cathédrale mais dans une belle paroisse parisienne - nous pouvons construire un petit peu l’Europe autrement. C’est-à-dire que le lien qui nous rattache à la République tchèque, ce sont aussi les valeurs religieuses et les valeurs chrétiennes. »Laissons de côté ce vœux pieux et revenons à l’Enfant Jésus de Prague : un Français au moins connaît bien l’histoire de cette dévotion. Il s’agit de Benoît Chatard, le mari de l’Ambassadeur qui revient sur l’origine de ce culte :
« Avant l’Enfant Jésus de Prague, il y a l’Enfant Jésus tout court qui est une volonté de Sainte Thérèse d’Avila (grande réformatrice du Carmel avec Saint-Jean de la Croix au XVIe siècle), qui tenait à ce que dans chaque Carmel, il y ait une statue de l’Enfant Jésus, avec évidemment la douceur de l’enfant et aussi la tradition venue de Saint-François d’adorer Dieu dans la crèche […]. Chaque missionnaire qui est parti à travers le monde à partir de cette époque a emmené une statue de l’Enfant Jésus. C’est comme ça qu’à Prague, une statue de l’Enfant Jésus a été installée à Notre-Dame-de-la-Victoire en 1628. Cet Enfant Jésus a eu quelques ennuis durant l’occupation suédoise, puis il a été retrouvé miraculeusement réparé et à partir de ce moment-là il est devenu une source de miracle. »La statuette serait originaire d’Espagne puis serait passée de mains en mains avant d’atterrir à Prague où elle est devenue le support de la dévotion de l’Ordre monastique des Carmes. Un miracle serait également à l’origine du développement de sa vénération en France bien que la nature a certainement dû jouer un rôle d’une manière ou d’une autre. Benoît Chatard raconte :
« En France, l’Enfant Jésus le plus connu parmi tous ceux qui étaient installés, était celui de Dijon puisque Louis XIII et son épouse passant par le Carmel ont prié devant cette statue pour avoir un fils et leur fils est venu juste après : c’était Louis XIV. Jusqu’à la Révolution française, l’Enfant Jésus a fait l’objet d’un culte qui était très personnel à la famille royale. »
Mais le culte de l’Enfant Jésus ne se cantonne pas aux sphères du pouvoir puisqu’il se répand dans les villes et les campagnes, surtout dans ces dernières d’ailleurs, comme le remarque Marie Chatardová. L’ambassadeur confie avoir peu retrouvé la figure de l’Enfant Jésus dans les églises parisiennes et c’est l’une des raisons qui l’a poussée à organiser cette cérémonie. Restée populaire aujourd’hui encore chez les croyants, cette dévotion est notamment entretenue par l’Association des amis de l’Enfant Jésus dont Guy Fournier est le président. Venu de l’Ouest de la France, du département champêtre de l’Orne, il fournit une hypothèse à la diffusion de l’adoration de l’Enfant Jésus, et à travers lui de la candeur et de l’innocence de l’enfance :
« Au moment où Madame l’Ambassadeur est venue l’an dernier, suite à notre invitation, j’avais fait une enquête au niveau du diocèse, chez moi, et dans de nombreuses églises, il y a une statue de l’Enfant Jésus de Prague. Cela veut dire que c’est une dévotion qui n’est pas particulière à un endroit précis et à une personne précise qui a fait construire une chapelle, mais que dans de très nombreuses paroisses, il y avait cette dévotion. Il est évident que nous sommes à Alençon, dans l’Orne, et il s’agit du pays natal de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Or nous savons qu’elle s’appelle ainsi parce qu’elle a vu une statue de l’Enfant Jésus dans le couloir du Carmel où étaient ses sœurs aînées. Car dans tous les Carmel, il y a une statue de l’Enfant Jésus. Donc, on peut peut-être faire un lien sur le développement de cette dévotion avec la présence de Sainte Thérèse chez nous dans l’Orne. Mais il me semble que cette explication n’est pas suffisante et que cette dévotion est plus ancienne encore. »Benoît Chatard évoque la propagation de cette dévotion envers l’Enfant Jésus dans le monde rural et illustre son propos d’une anecdote familiale :
« Au XIXe siècle en France, l’Enfant Jésus a connu un développement plus populaire. Dans chaque petit village, dans chaque petite église, il y a eu des statues qui ont été installées. La famille de mon père est originaire de la Creuse, un département très rural du centre de la France. Un arrière-grand-père étant malade, le médecin avait prescrit de la moutarde pour faire des cataplasmes et ma famille a trouvé une petite médaille de l’Enfant Jésus de Prague dans la moutarde. Ils ont été voir le prêtre de leur église pour savoir ce que cela signifiait et leur a dit qu’il y voyait un signe et que si le parent guérissait il faudrait faire un geste pour l’Enfant Jésus de Prague. Comme mon arrière-grand-père a guéri, ma famille a offert à l’église du village une petite statue de l’Enfant Jésus. »
Pour Guy Fournier, le culte de l’Enfant Jésus est très beau car il s’inscrit dans le cadre du mystère de l’Incarnation, le fait que Dieu se soit incarné sous forme humaine dans cet enfant. Il invite à « aller vers les petits », à être attentif aux enfants et donc aux plus fragiles dans nos sociétés. Il faut noter que l’adoration de l’Enfant Jésus de Prague a traversé des périodes de relatifs oublis et des renouveaux, illustrés par exemple par la visite du pape Benoît XVI à Notre-Dame-de-la-Victoire, en 2009. A Paris, la cérémonie du 11 février dernier va pouvoir alimenter la flamme de cette dévotion. Elle permet surtout d’illustrer les liens féconds entre les Eglises française et tchèque, ainsi que le remarque Marie Chatardová :« Je pense que les liens sont vraiment très développés. Cela a commencé il y a bien longtemps, mais cela s’est renforcé sous le cardinal Lustiger et cela a continué. Moi-même, j’ai eu la joie d’accompagner le cardinal André XXIII lors d’une visite à Prague et le cardinal Duka en visite à Paris. Il y a aussi beaucoup de liens informels, par exemple avec cette statuette aujourd’hui. »