La coopération tchèque au développement : discours, pratiques et contradictions
La coopération au développement s’est imposée, durant ses vingt dernières années, comme l’une des principales politiques des relations bilatérales de la République tchèque avec les pays du Sud. Le politologue et économiste Ondřej Horký vient de publier aux éditions Slon, un ouvrage intitulé ‘La coopération au développement de la République tchèque : discours, pratiques et contradictions’ et dans lequel il revient sur cet aspect mal connu de la politique étrangère tchèque.
« Les relations internationales et la coopération au développement sont des thèmes qui étaient intéressants pour moi lorsque j’étudiais à l’université. J’ai étudié à l’université d’économie (VŠE) et on ne parlait pratiquement pas de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique du Sud. On parlait surtout du Japon, des USA et bien sûr de l’Union européenne. C’est de la prise de conscience du manque d’intérêt pour les pays du Sud, où la majorité de la population mondiale vit, que m’est venue l’idée de travailler d’abord sur les aspects économiques, sociaux et la coopération au développement qui a pris, par ailleurs, une place importante dans la politique étrangère de la République tchèque. »
Le terme de développement est utilisé dans différents contextes et pour dire différentes choses. Pouvez-vous préciser ce terme ou du moins ses emplois, aujourd’hui ?
« Il y a autant de définitions qu’il y a d’habitants sur la Terre. Aujourd’hui, la définition la plus acceptée serait peut-être le contraire de la pauvreté. Le développement, c’est l’absence de pauvreté. Evidemment, il y a aussi différentes définitions de la pauvreté. Les économistes la définissent en termes monétaires, mais il y a aussi des aspects culturels et sociaux. »« Dans mon livre, je ne m’intéresse pas à la définition du développement. Je regarde comment l’idée du développement, qui est venue avec l’Union européenne, l’intégration à l’OCDE et avec l’influence de l’intégration après la révolution de velours, a signifié que la République tchèque est devenue, en quelque sorte, une partie de l’Ouest. Il y a eu, en effet, le besoin d’une coopération au développement pour montrer que la République tchèque était un pays développé. »
« Donc, ce sont les pratiques qui définissent si un pays est développé ou pas. Même s’il y a des pays qui sont plus ou moins riches, qu’il y a de la pauvreté dans les pays du Nord, et qu’il y a beaucoup de riches dans les pays du Sud, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, par exemple, on ne peut pas dire qu’il y a des pays pauvres ou des pays riches. C’est la pratique de l’aide qui définit si on est un pays riche ou pas. »
Vous vous êtes intéressé à l’aide au développement de la République tchèque aux pays du Sud avant 1990. Y avait-il une aide au développement de la Tchécoslovaquie socialiste aux pays du Sud ?
« Effectivement, et cette aide était très importante. Il y a des recherches qui montrent que cette aide correspondait à environ 1% du PIB du pays. Aujourd’hui, on est à 0,15%. Si on avait le niveau de la Tchécoslovaquie, la République tchèque serait l’un des pays les plus généreux du monde. Donc, c’était très important et cela comportait des aspects politiques. Probablement, une partie de l’aide purement militaire était comptée comme de l’aide au développement. Le fait même que l’aide au développement tchécoslovaque se soit écroulée montre qu’il n’y avait pas d’intérêts autres que politiques à continuer d’accorder cette aide aux pays d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie. »
Donc, il y a eu des changements dans les orientations qui ont été prises par l’Etat tchèque en direction de l’aide au développement par rapport à ce qu’il en était avant 1990 ?
« En effet, en 1990, il y a eu un repli de la Tchécoslovaquie, puis, à partir de 1993, de la République tchèque sur elle-même, avec beaucoup de réformes pénibles et avec le renouvellement de la démocratie. A ce moment-là, les pays du Sud ont été complètement oubliés. Aussi, les contacts commerciaux qui se faisaient dans le cadre des échanges entre les pays plus ou moins socialistes ont-ils été complètement oubliés et se sont arrêtés. C’est seulement avec l’entrée dans l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) en 1995, que la coopération au développement a été reprise par le ministère des Affaires étrangères et d’autres ministères. »
Et ce redéploiement s’est fait en faveur de quels pays ? L’aide au développement de la République tchèque a-t-elle suivi les canaux qui étaient les siens avant 1989 ou y a-t-il eu une révolution dans les orientations et les pays ciblés par cette aide gouvernementale ?
« Dans les années 1990, l’aide au développement était très dispersée. Il y avait près de cinquante pays qui touchaient de l’aide. Cette situation était insoutenable parce qu’avec cette quantité d’aide, il était impossible de faire de bons projets et de contribuer à de vrais changements pour les sociétés qui vivent dans les régions du Sud. En même temps, on peut dire qu’à partir des années 1990, il y a des différences dans les orientations. Par exemple, les ministères et l’Etat ont commencé à s’intéresser, pour des raisons économiques surtout, à des pays de l’Europe de l’Est, de l’ex-Union soviétique, ou des Balkans. Au contraire, lorsque l’on regarde les organisations caritatives, on voit qu’elle s’intéresse beaucoup plus à l’Afrique avec laquelle les exportateurs et l’Etat n’ont pas de relations aussi étroites. On voit quand même une différence entre l’opinion publique et les intérêts économiques et politiques de la République tchèque. »
Après 1990, c’est la libéralisation de la vie politique et de la société civile, et c’est aussi l’apparition des organisations non gouvernementales. Comment la relation avec l’Etat se fait-elle concernant l’aide au développement ?
« C’est intéressant, car on considère souvent que les ONG et les associations non gouvernementales sont issues d’une volonté qui vient d’en bas et qui correspond à l’existence d’une société civile, etc. En réalité, lorsque l’on regarde le fonctionnement d’associations comme Člověk v tísni (L’homme en détresse), qui est la plus grande ONG tchèque dans le domaine du développement et aussi dans le combat pour le respect des droits de l’homme, on voit que la majorité des financements ne viennent pas de la société, mais de l’Etat, de l’Union européenne, etc. Nous avons des ONG, mais en réalité leurs politiques et leurs orientations ne sont pas très différentes de celles de l’Etat, puisque c’est l’Etat qui les finance. Et le problème sur lequel je mets beaucoup l’accent dans mon livre, c’est que comme les ONG sont dépendantes de l’Etat pour leurs financements, elles sont aussi moins critiques, notamment pour dire que la quantité de l’aide au développement ne correspond pas du tout aux engagements de la République tchèque auprès de l’Union européenne. Les ONG ne sont pas aussi critiques qu’elles devraient par rapport aux politiques de la République tchèque dans le domaine des migrations, dans celui de l’agriculture ; domaines qui sont très importants et qui ont beaucoup d’impacts sur les pays du Sud et dans lesquels on pourrait faire de grands changements pour que la pauvreté soit diminuée. »
Vous abordez dans votre livre la question du genre dans l’aide au développement et le fait que les femmes sont une catégorie cible de la société vers qui l’aide au développement se tourne de plus en plus. Pouvez-vous nous parler de cette thématique ?
« Dans le domaine de la coopération, je pense que la situation est une copie de la société tchèque, où les questions du genre ne sont pas très importantes. Lorsque l’on regarde le gouvernement, le monde académique et les ONG, ce sont surtout les hommes qui occupent des positions importantes. Dans la coopération au développement, c’est la même chose. Dans mon ouvrage, je présente le projet du lycée professionnel agricole dans la province de Bié en Angola où, dans l’agriculture de l’Afrique subsaharienne en général, les femmes sont très actives comme productrices de nourriture pour les familles et pour les enfants. Un donateur, un pays riche arrive et vient soutenir surtout les hommes dans l’éducation formelle. Les femmes sont mises à l’écart pour beaucoup de raisons, la grossesse, le travail dans leur famille et dans le ménage. Elles peuvent très difficilement accéder à l’éducation qui est soutenue par la République tchèque. Le résultat de cette aide est que l’écart entre les hommes et les femmes dans la province angolaise est encore plus accentué. Cela montre que la coopération au développement est une question très sensible du point de vue culturel. Même si un projet apparaît, de prime abord, comme très bon, comme par exemple éduquer des gens en Angola pour qu’ils puissent à leur tour développer le pays, on voit que l’aide au développement peut avoir des effets très négatifs dans le sens culturel et accentuer des inégalités déjà très importantes en Afrique. »
Voulez-vous dire que l’aide au développement ne prend pas suffisamment en compte le contexte social dans lequel les aides sont envoyées ?
« Cela dépend. Il y a des ONG qui connaissent très bien le terrain, comme on dit, et où le soutien s’ajoute à des initiatives prises par des ONG locales. Là, je pense qu’une coopération au développement est très précieuse. Mais encore deux tiers de l’aide bilatérale tchèque sont réalisés par des entreprises pour qui les intérêts économiques sont beaucoup plus importants que d’aider les gens qui vivent en Afrique et en Asie. Ce soutien au développement est considéré comme une aide aux entreprises tchèques, même si ce n’est pas vraiment affiché. Dans ce cas, je pense que parler ‘d’aide au développement’ n’a pas vraiment de sens et qu’il vaut mieux la présenter telle qu’elle est, c’est-à-dire comme un soutien aux exportations pour les entreprises tchèques. »