Jeanne Pommeau, restauratrice de films : « La numérisation des films n’est pas une solution de préservation »

Photo: NFA

Rencontre avec Jeanne Pommeau, une Française, installée à Prague depuis huit ans qui travaille aux Archives nationales du film à Prague, dans la section restauration. Avec elle, nous avons évoqué le travail de restauration, la problématique numérique/analogique, les séminaires d’histoire du cinéma donnés par le cinéma Ponrepo à Prague. Mais tout d’abord, Jeanne est revenue sur les différents sites des Archives nationales du film :

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« C’est disséminé dans Prague et aux alentours de Prague. Dans la capitale, nous avons le cinéma Ponrepo, dans la rue Bartolemějská. Dans les bâtiments se trouvent aussi la bibliothèque, le département économique et l’édition et la théorie du film. Ici, on est dans la rue Malešická, à Žižkov, où se trouvent le directeur, une partie du département technique et le département des historiens où je suis. Ensuite nous avons deux dépôts en dehors de Prague : un dépôt avec des films nitrates et un dépôt de films dits de ‘sécurité’, donc en polyester et en acétate. Il y a deux dépôts, selon les films inflammables et non-inflammables. »

Qui dit archives, dit dépôt, restauration mais aussi analyse, avec des historiens qui cataloguent et répertorient. Est-ce qu’on pourrait dire que c’est l’équivalent de la Cinémathèque française ? Pouvez-vous préciser la vocation des Archives nationales du film en République tchèque ?

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« Les Archives du film en République tchèque ont une vocation qui est plus proche des archives du film de Bois d’Arcy. D’autre part, nous avons aussi un cinéma, donc nous sommes aussi une cinémathèque. Mais contrairement à la Cinémathèque française qui est une association au départ, nous sommes une institution d’Etat. Nous nous occupons donc en priorité du cinéma tchèque : c’est vrai pour la préservation et le catalogue. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir une collection importante de films étrangers. De manière générale, on ne peut pas comparer l’institution des archives du film avec la Cinémathèque qui a une vocation dominante de programmation. On est plus proches des archives du film de Bois d’Arcy tout en ayant une cinémathèque. Donc on combine ! »

Vous êtes française, est-ce que cela veut dire qu’on vous a confié un fonds français ?

« Au départ, mon travail ici, c’est d’abord la restauration du film. C’est ma formation. C’est pour cela que je suis ici. Evidemment je participe, comme les autres historiens, au catalogue, à la base de données des films de la collection. C’est important parce qu’un film qui n’est pas classé n’est pas un film utilisable. Je m’occupe de la collection du cinéma documentaire français et du cinéma japonais et africain. »

Votre formation première, c’est la restauration. Entre le moment où vous avez fait vos études et aujourd’hui, quelle est l’évolution de votre métier ? Je suppose que c’est quelque chose qui va assez vite avec l’évolution des technologies. Y a-t-il eu des changements radicaux pendant ces dix dernières années ?

« Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la numérisation des films n’est pas une solution de préservation. Tout simplement parce qu’un disque dur va durer cinq ans, dix ans. Alors qu’un film 35mm en polyester, on peut espérer qu’il dure jusqu’à 200 ans. »

C’est énorme, 200 ans !

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« Oui, ça fait une grosse différence avec le disque dur. Evidemment, pour une question de coût très différente car transférer les informations tous les dix ans sur un nouveau support (parce que ce qui est notre disque dur actuel sera différent dans dix ans), c’est évidemment un coût énorme. On ne fait pas encore de restauration numérique. C’est dommage d’un certain point de vue car il y a des choses qu’on ne peut faire qu’en numérique... »

Avez-vous des exemples ?

« Il y a des traces du temps que l’on ne peut pas effacer de manière analogique, par exemple des rayures, des crash au niveau du son. Mais il se trouve qu’il y a aussi beaucoup de choses qu’on peut faire en analogique qu’on ne peut pas faire en numérique. Donc le numérique n’enlève pas la part analogique du travail de restauration. Pour qu’un film soit scanné, il faut qu’il soit restauré de toutes les façons afin de pouvoir passer dans la machine. Il faut qu’un nettoyage soit fait au préalable. Il y a donc toute une phase de restauration mécanique qui ne peut se faire par le numérique. »

Saint-Venceslas
Récemment, en septembre 2010, à l’occasion de la Saint-Venceslas, un film de 1929 a été ressorti. Il s’agit d’un film sur saint Venceslas, le saint patron des Tchèques, un film muet qui a été entouré d’une certaine polémique à l’époque. Il a été projeté au public dans la salle du Rudolfinum à Prague à l’occasion de cette journée nationale. C’est un film qui a été restauré, ici, par vos soins, aux Archives nationales...

« C’est en effet deux de mes collègues qui ont restauré ce film. C’est un des premiers films à avoir été restauré. Je crois qu’avant qu’elles ne le restaurent, il avait été restauré par son réalisateur qui travaillait ici aux Archives. D’ailleurs, ça peut poser des problèmes quand le réalisateur lui-même se mêle de restauration parce qu’évidemment, on a toujours envie d’améliorer le travail que l’on a fait avant. Difficile ensuite de savoir qu’elle est la patte du réalisateur ou du restaurateur ! Difficile aussi de savoir si le réalisateur a fait son film en 1929 ou en 1970. »

Combien de temps dure la restauration d’un film ? C’est difficile à évaluer ?

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« C’est extrêmement long parce qu’il faut regarder toutes les copies, tous les négatifs qu’on peut avoir, chaque plan de manière précise. Cela demande surtout beaucoup de temps pour regarder, noter, analyser, trouver des traces archéologiques dans le film pour savoir quel est le matériel le plus ancien, le plus proche du film projeté le jour de la première. J’appelle ça un travail de secrétariat car il faut tout noter, chaque plan... Cela prend un temps énorme : un an, deux ans. Mais on ne fait pas non plus quarante heures de restauration par semaine. On fait ça deux fois par semaine, donc ça prend du temps. En plus de cela, il faut analyser tous ces documents, décider de ce qu’on va faire, parce que la plupart du temps, on ne sait pas exactement à 100% comment était le film. Il faut évidemment beaucoup étudier les documents d’époque. On a de la chance, ici, que ce soit assez centralisé : on a une bibliothèque avec beaucoup de documents d’époque, la possibilité de regarder sur la bibliothèque numérique sur Internet. En voyant les documents d’époque, on peut vérifier que le film était comme ceci et pas comme cela. Une fois qu’on a fait cela, on envoie tout au laboratoire et on fait une nouvelle copie. Parce qu’on ne coupe pas dans les matériaux originaux ! On a la chance extrême au cinéma de pouvoir restaurer en copiant, en ne touchant pas au matériel original, contrairement aux tableaux. On touche à l’œuvre mais au support. »

Le cinéma Ponrepo
J’aimerais revenir sur Ponrepo, le cinéma de la rue Bartolomějská... C’est évidemment un lieu extraordinaire pour les cinéphiles car tous les jours, toutes les semaines, il propose toute une programmation de films qui sinon ne passent jamais dans les salles grand public. Il suffit de regarder pour le mois de janvier où il passait notamment le Jeanne d’Arc de Dreyer... Il propose aussi des séminaires : on peut s’abonner et assister à des projections les mardi après-midi, puis écouter un spécialiste parler du film...

« Oui, ça fait environ trois, quatre ans qu’on fait cela. C’est un cours d’histoire du cinéma. C’est toute l’année scolaire car au départ c’était prévu pour les lycéens, puis nous avons décidé d’ouvrir les portes à tous ceux qui voulaient venir. On montre des films importants de l’histoire du cinéma avec un commentaire d’un historien, qui s’occupe de cette collection dans notre département. Evidemment, c’est en tchèque, donc pas forcément accessible aux non-tchécophones. Mais je pense que c’est une chose importante des Archives vers le public. C’est pour cela qu’on est à la fois cinémathèque et archives. C’est important pour nous de montrer ces films à Ponrepo parce que pour certains d’entre eux, nous n’avons qu’une seule copie, donc il est impossible de les prêter à des festivals, pour des raisons de préservation. Nous devons les montrer : c’est l’esprit de Ponrepo. A Ponrepo, c’est le seul endroit en République tchèque où les films qui sont préservés aux archives mais qui n’ont qu’une seule copie, peuvent être montrés. Un film qui est archivé, dans un dépôt, ça ne sert à rien. C’est une oeuvre qui a besoin d’être projetée, ça ne peut pas être une bobine de film morte sur une étagère ! »


Rediffusion du 30/1/2011