Alois Nebel au cinéma ou comment l’animation facilite la compréhension du passé
Le 29 septembre prochain sort dans les salles de République tchèque « Alois Nebel », un film d’animation tiré de la bande-dessinée éponyme. A cheval sur deux périodes, 1945 et 1989, le récit du chef d’une petite gare de province s’articule autour de deux événements marquants de l’histoire tchèque récente : l’expulsion des Allemands des Sudètes et la révolution de velours.
Ce passé non digéré, c’est celui des régions frontalières de la Tchécoslovaquie, peuplées depuis des siècles par une minorité allemande, dite des Sudètes. Des populations qui seront chassées manu militari après la défaite de l’Allemagne en 1945. Miroslav Krobot est le comédien dont le visage a servi de base à la version animée pour le cinéma, il est lui-même originaire de cette région marquée par l’histoire :
« C’est une région très particulière où les nationalités ont toujours été mélangées. Les montagnes sont tristes dans cette région où tant de personnes ont été chassées. Là-bas, il y a beaucoup de choses cachées dont on ne parle pas. Cela ne fait que quelques années qu’on commence vraiment à en discuter. »Dans le film d’animation Alois Nebel, cette région des Sudètes est un personnage à part dans lequel évolue ce chef de gare un peu particulier, qui perd son travail à force de ressasser ce passé douloureux qu’il a vécu enfant. Son nom Nebel en allemand, signifie brouillard. Comme s’il se fondait dans ce paysage un peu fantomatique des Jeseníky. Dans l’ombre du chef de gare, un personnage muet, comme l’indique aussi son nom en tchèque, Němý, qui, né du viol de sa mère expulsée, revient la venger des années après. La bande-dessinée et par là- même le film d’animation seraient-ils des moyens plus efficaces d’aborder des thèmes historiques douloureux, comme semblent le prouver ces dernières années ? Jaromír 99, le dessinateur d’Alois Nebel :
« Je pense que oui. Dans la BD, ce genre fonctionne. Il suffit de penser à la BD de Joe Sacco qui se déroule en Yougoslavie. Ca rapproche les gens de la guerre et ça facilite la compréhension d’une situation. Je ne sais pas pourquoi la BD possède cette force, mais c’est le cas. Il y a une réelle tendance à faire de la BD humaniste, documentaire. »Pour Jaroslav Rudiš, l’auteur du récit, le succès d’Alois Nebel a été presque une surprise dans un pays où la bande-dessinée n’a qu’une maigre tradition :
« La BD en tant que telle est un média intéressant. Et puis j’ai tout de suite aimé le dessin en noir et blanc de Jaromír, très cru, très brutal. Mais l’histoire n’est pas si noire et blanche, les personnages sont pleins de nuances. Au début nous nous sommes dit que ce serait un peu notre petit film, sans savoir que cela pourrait avoir du succès en République tchèque. »Et c’est pour garder l’originalité de la bande-dessinée que le long-métrage d’animation a été réalisé avec une technique particulière, la rotoscopie, comme l’explique Pavel Strnad, le producteur :
« Visuellement cela rappelle Valse avec Bachir même si ce film a été fait avec une autre technique que la nôtre. Ce film est beaucoup plus stylisé, si vous pensez aux personnages. Tandis que les dessins de Jaromir 99 sont plus réalistes et ensuite, nous avons eu recours à de vrais acteurs dont les figures ont été redessinées, contrairement à Valse avec Bachir où tout est animé. »Et le film Alois Nebel séduit à l’étranger, à l’instar de Valse avec Bachir. Les droits du film ont déjà été achetés en France. Présenté à la Mostra de Venise et au festival de Toronto, il a été remarqué par la critique, qui a même été jusqu’à évoquer une filiation avec Trains étroitement surveillés, le film oscarisé de Jiří Menzel.