Alois Nebel, film européen d'animation de l'année 2012

'Alois Nebel', photo: Negativ s.r.o.

Les European Academy Awards se sont terminés samedi à Malte avec une victoire pour Alois Nebel, sorti il y a un peu plus d’un an sur les écrans tchèques. Fort du Prix européen du film d’animation, Alois Nebel est devenu le troisième film tchèque récompensé lors de cette cérémonie. Un succès qui surprend avant tout Tomáš Luňák, son réalisateur, et Jaroslav Rudiš et Jaromír 99, les auteurs de la bande-dessinée éponyme dont est tiré le film.

'Alois Nebel',  photo: Negativ s.r.o.
Alois Nebel est avant-tout un récit historique et biographique, qui revient sur deux périodes importantes de l’histoire tchèque : l’expulsion des Allemands des Sudètes à la fin de la Seconde Guerre mondiale et la Révolution de velours en 1989. L’idée d’origine était pensée comme un projet « underground » dans un pays où la bande-dessinée n’occupe qu’une petite place, et où les deux thèmes abordés restent compliqués à traiter. Le succès de la version papier, puis de la version animée, a donc beaucoup surpris les auteurs, comme l’explique Jaroslav Rudiš :

Jaroslav Rudiš,  photo: Archives de ČRo
« Tout a commencé comme un projet underground, rebelle, punk ou même quelque chose de pas sérieux, car nous l’avons avant tout imaginé avec Jaromír 99 pour nous-mêmes. Je lui ai raconté l’histoire de mon grand-père, qui s’appelait Alois. Il était chef de gare près de la frontière et a changé les aiguillages pour tous les trains possibles, exactement comme le fait Alois Nebel dans la BD puis dans le film. Et il ne nous est jamais venu à l’esprit qu’un tel phénomène émergerait de tout ça, qu’Alois Nebel de la petite gare du Ruisseaux Blanc atterirait à Malte. »

Les sujets abordés par le film à travers le passé et le présent du personnage principal touchent une corde sensible de l’histoire des Tchèques : l’expulsion des Allemands à la fin de la guerre est un sujet peu discuté et peu enseigné dans le pays, même depuis le changement de pouvoir en 1989. Maintenir la mémoire de cet évènement, y compris dans son aspect sombre et violent, fait partie du projet des auteurs de la bande-dessinée et du film. Pour Jaromír 99, le dessinateur, la bande-dessinée offre un bon moyen d’aborder des thèmes historiques douloureux :

'Alois Nebel',  photo: Negativ s.r.o.
« Dans la BD, ce genre fonctionne. Il suffit de penser à la BD de Joe Sacco qui se déroule en Yougoslavie. Ça rapproche les gens de la guerre et ça facilite la compréhension d’une situation. Je ne sais pas pourquoi la BD possède cette force, mais c’est le cas. Il y a une réelle tendance à faire de la BD humaniste, documentaire. »

C’est ce même aspect qui a intéressé le réalisateur Tomáš Luňák. Outre le choix du sujet et son récit, c’est la technique du dessinateur qui l’a séduit. Le trait de Jaromír 99 permet selon lui de montrer la nuance des évènements, ou comment un moment de changement positif peut être accompagné d’une histoire sombre et violente que l’on préfère oublier. C’est pour coller à ce trait si particulier qu’il a fait le choix de la rotoscopie pour adapter la bande-dessinée, se démarquant ainsi du film Valse avec Bachir, auquel on compare souvent Alois Nebel. Le producteur Pavel Strnad explique cette différence :

'Alois Nebel',  photo: Negativ s.r.o.
« Visuellement cela rappelle Valse avec Bachir même si ce film a été fait avec une autre technique que la nôtre. Ce film est beaucoup plus stylisé, si vous pensez aux personnages, tandis que les dessins de Jaromír 99 sont plus réalistes. Par ailleurs, nous avons eu recours à de vrais acteurs dont les figures ont été redessinées, contrairement à Valse avec Bachir, où tout est animé. »

Le film Alois Nebel, déjà sorti à l’étranger et notamment en France et en Russie, continue de faire la tournée des festivals internationaux. L’« oscar européen » en poche, le succès du film devrait continuer à aller bon train.