Dukla Prague, les grands clubs ne meurent jamais
« Les grands clubs ne meurent jamais », affirment parfois, selon un adage, les commentateurs sportifs. En République tchèque, le Dukla Prague en est le parfait exemple. Dix-sept ans après une mort clinique conséquence de l’effondrement du régime communiste, le Dukla, ancien club de l’armée, retrouvera l’élite du football tchèque la saison prochaine. Une véritable résurrection pour un des clubs européens marquants des années 1960 à 1980, mais aussi un des clubs les plus détestés du public tchèque.
« C’est l’époque qui voulait ça. Le service militaire était obligatoire, et un tas de gens ne comprennent pas que pour un jeune sportif prometteur, il valait mieux aller au Dukla que de finir dans un char, un hélicoptère ou à surveiller les frontières avec un chien et un fusil. Pendant les deux années de leur service passées au Dukla, ces jeunes sportifs avaient la possibilité de progresser avec des entraîneurs de qualité. Cela aurait été aussi dommage pour le sport tchécoslovaque dans son ensemble de ne pas développer le talent de ces jeunes. Et puis beaucoup d’entre eux retournaient ensuite dans leurs clubs d’origine. Le Dukla a donc formé un nombre incalculable de bons joueurs et de sportifs pour tout le pays, mais ça, les gens ne s’en rendent pas compte. »
Parmi les dizaines de joueurs qui ont fait la légende du Dukla, un nom ressort plus que les autres : Josef Masopust. Plus de quarante ans avant Pavel Nedvěd, Josef Masopust, qui fête cette année ses 80 ans, a été le premier footballeur tchèque et de l’Europe de l’Est à recevoir le Ballon d’or France Football décerné au meilleur joueur européen. C’était en 1962, année qui vit la Tchécoslovaquie de Masopust s’incliner en finale de la Coupe du monde contre le Brésil. Correspondant du magazine France Football en République tchèque depuis de nombreuses années, Stanislav Hrabě dresse en quelques mots le portrait de celui qui fut élu Footballeur tchèque du XXe siècle et dont le nom reste aujourd’hui encore d’abord lié à celui du Dukla Prague :« Le grand écrivain Ota Pavel a écrit : ‘Masopust ? C’est bizarre. Ce n’est pas un buteur. Il n’est pas rapide.’ C’était un meneur de jeu, un organisateur, un chef. Et un technicien ! Pelé a dit : ‘Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas un Européen, ce n’est pas un Tchèque. C’est un Brésilien ! Pourquoi il n’est pas des nôtres comme Didi, comme Garrincha ?’ Masopust était donc un formidable technicien et un grand meneur de jeu. »
Un demi-siècle plus tard, loin de ces glorieuses années 1960, le Dukla Prague renaît de ses cendres après bien des turbulences. En 1994 tout d’abord, cinq ans après la révolution, le club, financièrement aux abois, est relégué administrativement en troisième division et abandonne, contraint et forcé, le football professionnel. Repris par un homme d’affaires slovaque, le Dukla déménage ensuite à Přibram, à une centaine de kilomètres au sud de Prague, perdant ainsi tout contact avec ses derniers fidèles et sa tradition. Parallèlement, la formation de jeunes joueurs se poursuit cependant à Prague. Une équipe senior amateur réapparaît même au début des années 2000. Et après dix ans de progression continue, à l’issue de la saison écoulée, le Dukla retrouve enfin l’élite, le Sparta et le Slavia notamment, ses deux grands rivaux historiques à Prague, pour des derbys qui font déjà saliver les amateurs de football. Mais pour Günter Bittengel, cette montée en première division possède d’abord une forte valeur symbolique :« C’est un tournant historique dans l’évolution de la tradition du club, parce qu’au fond, le Dukla en tant que tel avait bien disparu. S’il n’y avait pas eu quelques passionnés pour continuer à s’occuper de la formation des jeunes pendant les années creuses, il n’y aurait plus de Dukla depuis longtemps déjà. Pour tous les gens qui ont le Dukla dans le cœur, ce renouveau est même un miracle, je dirais. C’est quelque chose d’incroyable pour les anciens joueurs comme pour les joueurs actuels et tous les supporters. »
Avec vingt buts inscrits qui ont fait de lui le meilleur buteur de la deuxième division, Daniel Chigou est justement un de ces joueurs actuels qui ont grandement contribué à la remontée du Dukla cette saison :
« L’histoire de ce club n’a pas été effacée et c’est ce qui me fait tellement plaisir. Dans ma carrière footballistique, j’aurais aidé à faire monter un club dont d’anciens joueurs ont été Ballons d’or. »
Même si la riche histoire de son club pourrait laisser indifférent Daniel Chigou, l’attaquant camerounais n’est pas insensible au sort et au destin du Dukla, qu’il connaissait déjà avant d’arriver à Prague voilà deux ans de cela :« Je connaissais bien le Dukla, parce que Pavel Nedvěd y a joué lorsqu’il était jeune. Lorsque je jouais en Italie (Daniel Chigou a joué sept ans en Italie, puis est passé par la Roumanie et la Hongrie avant d’arriver en République tchèque, ndlr), il y a eu un jour une émission télévisée dans laquelle il était demandé à Nedvěd dans quels clubs il avait joué, et il avait parlé du Sparta mais aussi du Dukla, les clubs qui l’ont lancé avant qu’il ne devienne ce qu’il est devenu. Je savais donc que c’était un bon club avec une histoire. Je me suis aperçu que les deux Ballons d’or tchèques (Josef Masopust et Pavel Nedvěd) y avaient joué, comme beaucoup d’autres joueurs de talent. »
Bien que transformé en société anonyme totalement indépendante des deniers publics, le nom du club de football du Dukla Prague reste aujourd’hui encore pour le grand public d’abord associé à l’armée et au ministère de la Défense. Un lien avec le passé que les dirigeants ne veulent pourtant pas rompre, bien conscients que malgré des perspectives d’avenir a priori prometteuses, l’histoire et la tradition du club restent sa principale valeur ajoutée. Et tant pis si le Dukla ne sera jamais le club favori des Pragois…Rediffusion du 21/6/2011