Le cimetière d’Olšany, document historique
Cap aujourd’hui sur le cimetière d'Olšany, dans le quartier de Žižkov. Avec ses deux millions de pierres tombales, c’est le plus grand cimetière de Prague et une véritable ville dans la ville. Moins fréquenté que son conjoint de Vyšehrad, il n’en abrite pas moins des noms célèbres : Werich et Voskovec, Josef Lada ou encore Jan Palach... Pourtant, c’est au niveau de ses anonymes que le cimetière se révèle comme un document historique.
Au Moyen-Age s’opère une sécularisation de la mort. Les morts ne sont plus enterrés au sein de l’église mais dans un espace délimité. On rejette pour ainsi dire les morts à la périphérie du centre social.
Aujourd’hui et ici, à Olšany, c’est la même chose : illustration peut-être extrême du processus de laïcisation de la mort. Sauf que les morts ne sont plus rejetés à la périphérie. Ils sont au centre de l’agitation quotidienne. Des croix imposantes dépassent des murailles du cimetière. Elles rappellent aux vivants la vanité de toute chose !
Un vrai patrimoine avec des tombes néo-gothiques, des caveaux travaillés. Certaines, bien entretenues, représentent de véritables petit chefs-d’oeuvre. D’autres sont complètement laissées à l’abandon. Et pourtant, même celles-ci donnent son charme bien spécifique au lieu.Un charme typiquement pragois, qu’illustre par exemple le parc de Cibulka à Prague. Un parc à l’anglaise de la fin du 19ème, habité aujourd’hui par des statues noircies, à moitié cachées derrière la végétation qui a pris le dessus. Et pourtant, ici au cimetière d’Olšany, nous restons parfois étonnés devant l’état de ce qui s’apparentait à l’origine à de petits monuments. David Alon :
« Certains caveaux sont assez impressionnants. Je me trouve par exemple devant celui de la famille Goldfuss. Il est totalement ouvert. Vous pouvez entendre ici l’écho car je me trouve dans le caveau. La tombe a dû être déplacée mais tout est resté comme tel, pierres tombales etc… La grille en fer forgée est ouverte, dans un piteux état... C’est aussi ça le cimetière d’ Olšany. Au rang des caveaux les plus étonnants, il y a ce qui paraît être une maison de campagne, enfin ce qu’il en reste, soit quelques murs. On avait recréé ici une vraie maison des morts. L’endroit n’est plus entretenu, la famille n’a plus les moyens, si elle existe encore. C’était la famille Wessely. Encore une grille en fer forgé. C’est ouvert…»Nous avons rencontré un employé du cimetière d’Olšany, qui a souhaité rester anonyme. Il évoque l’état délabré de certains caveaux :
« C’est l’administration municipale qui gère les cimetières de Prague mais il n’y a apparemment pas assez d’argent pour entretenir l’ensemble du patrimoine. Certaines parties du cimetière d‘Olšany sont dans un triste état et ne devraient pas être restaurées de sitôt. C’est vrai que le côté délaissé peut apporter un charme historique supplémentaire. Une sorte d’exposition d’art funéraire en direct. A l’image de certains caveaux, dont certaines pierres tombales ont pu être dérobées ».Et pourtant, le cimetière incarne, paradoxalement, une image vivante de la société d’autrefois. Car il peut se lire comme un document historique, à différents niveaux. Les tombes révèlent ainsi le caractère multi-ethnique, spécifique à la Prague d’avant 1939, avec ses trois communautés tchèques, juives et allemandes, qui forgèrent l’identité du pays. Une culture, dont la nature particulière a doublement disparu : avec les Juifs pendant la Shoah et avec les Allemands, suite à leur expulsion en 1948.
Ici une croix de fer pour cette tombe de la fin du 19ème siècle. Le nom est tchèque : Kinzlova. Comme à Vienne, on trouvait à Prague de nombreux patronymes tchéquisant dans la communauté allemande. Et puis bien sûr quelques patronymes allemands sur ces tombes du XIXème siècle : von Warschtentrau, docteur, etc… Parmi les différents écriteaux indiquant les allées, l’une se démarque. Elle est rouillée et à l’air particulièrement ancienne. L’inscription est marquée à la fois en tchèque et en allemand : Hřbitov, Friedhof…« Les débuts de ce cimetière remontent à 1680. A cette époque, et pour un certain temps encore, on utilisait l’Allemand comme le tchèque. Cela a duré depuis l’époque austro-hongroise jusqu’à la première République. C’est pourquoi les panneaux indicatifs les plus anciens du cimetière sont bilingues. Pour le terme de "Section", on trouvera ainsi "Oddělení " et "Abteilung". Je pense que certains de ses panneaux remontent à l’époque des Habsbourg ».« De nombreux caveaux ont été pillés, certains n‘appartiennent tout simplement plus à personne. Il y a par exemple des tombes de familles allemandes qui ont été expulsées de Tchécoslovaquie après la guerre. Personne ne s’en occupe et certaines sont dans un état de désolation. »
Le cimetière regorge de noms, qui, sans être célèbres, n’en sont pas pour autant anonymes. Certains ont forgé à leur manière l’histoire intellectuelle tchèque. Un panneau nous rappelle l’existence de František Špatný, auteur d’un dictionnaire, ou encore de Štěpán Bačkora, auteur de livres de pédagogie. On sait la place qu’occupe cette discipline en Bohême depuis Komenský (Comenius).Sur la plupart des tombes sont inscrits les anciens métiers de leurs occupants. Ici un écrivain, un pharmacien, là un directeur de banque. L’ensemble illustre le niveau élevé d’instruction dans la Bohême et la Tchécoslovaquie des 19ème et 20ème siècles. Ici, éditeurs, journalistes, docteurs occupent une place de choix. De nombreux artistes également. Ainsi Marie Žofie Sitová, décédée en 1907, soprano du Théâtre National et fille du violoniste Antonín Sit.
Le cimetière permet aussi de reconstituer le niveau socio-culturel et économique de la Bohême d’avant la Tchécoslovaquie. Il y a des personnages dont on devine qu’ils eurent un rôle administratif important sous la monarchie habsbourgeoise. Ainsi cette famille Šebora, sur la tombe de laquelle est inscrit : "Rang de l’Empereur". Des tombes très simples – par exemple une simple croix, posée à même la terre – côtoient de riches caveaux. Cela aussi illustre une autre caractéristique tchèque. La mixité sociale, si importante dans la vie quotidienne depuis le 19ème siècle, se retrouverait-elle également chez les morts ?Pour finir, notre employé du cimetière nous révèle une étrange anecdote sur Olšany :
« Il y a par exemple la tombe de la famille Hrdlička. L’un des membres était étudiant à l’Académie de diplomatie de Vienne. Sa mère avait prétendu qu’un ange était venu à elle, lui annonçant que son fils allait disparaître. Quelques jours plus tard parvenait une nouvelle de Vienne que son fils était décédé. Elle avait donc eu une vision. Elle a fait construire pour sa tombe un groupe de statue, qui est aujourd’hui le plus grand du cimetière. »Grande et petite histoire se rejoignent au cimetière d’Olšany, ouvert en été jusqu’à 19h.