Noëlle Châtelet : « J’aime ces moments précieux où l’âme et le corps se répondent »
Rencontre aujourd’hui avec Noëlle Châtelet, romancière, essayiste, ancienne professeur d’université, par ailleurs la sœur de l’ancien Premier ministre français Lionel Jospin, mais surtout une femme engagée.
« La Femme coquelicot » est une adaptation théâtrale, très réussie, de votre roman. Vous-même, vous n'avez jamais voulu écrire pour le théâtre ?
« Non, je ne l'avais jamais imaginé. Et puis, les choses se sont précipitées… Un jour, un jeune homme qui avait l’âge de mon fils, est venu me voir, en me disant : ‘j’ai envie de monter 'La Femme coquelicot' au théâtre, je sens ce texte, j’ai une actrice magnifique…’ Je fais toujours confiance aux jeunes. Il a fait une très belle mise en scène à Paris, avec une actrice vraiment magnifique, Thérèse Roussel. Comme ce soir Hana, elle a joué en monologue, seule. C’est un texte très littéraire, très écrit, difficile à jouer. Mais en même temps, depuis, il y a d’autres livres de moi qui ont été adaptés ou vont être adaptés au théâtre. Je me rends compte qu’il y a peut-être quelque chose dans mon écriture qui donne l’idée de la mise en scène théâtrale. Cela vient peut-être du fait que j’écris à haute voix, que je mets en bouche mes phrases. Cela me donne évidemment envie d’écrire directement pour le théâtre… »
C’est peut-être aussi lié au fait que vous étiez comédienne ?
« Oui, mais je n’ai pas été comédienne de métier. J’ai enseigné à l’université pendant trente-sept ans. Et comme je fréquentais beaucoup le milieu du cinéma en France, j’ai eu l’opportunité de jouer dans une quinzaine de films, dont une grande série en Allemagne. Il est vrai que j’ai appris beaucoup pour l’écriture de ce métier de comédienne. Parce que quand j’écris une scène, je la vois. Je fais toujours presque une mise en scène des situations : je pourrais décrire la pièce, dire où est la porte, la fenêtre, je vois les mouvements des personnages dans l’espace… J’ai une imagination très visuelle. »
Depuis quand écrivez-vous au fait ?
« J’écris depuis plus de trente-sept ans. Mon premier texte était ma thèse d’université sur les rapports du corps avec l’alimentation. Ensuite, j’ai poursuivi un travail, à travers des essais, des nouvelles, des romans et des contes, un travail où le corps est toujours présent. Ce qui m’intéresse, ce sont ces métamorphoses du corps à certains moments essentiels d’un parcours humain. Evidemment, l’amour y est présent, la mort aussi, et tous les changements du corps et de l’âme qui interfèrent. Par exemple la ‘Femme coquelicot’, c’est une femme de 70 ans, elle vit dans l’ennui, dans le gris de la vie de tous les jours. Un jour, en buvant son thé le matin, elle s’aperçoit qu’elle n’a pas envie de thé, mais de café. Son corps sait avant elle qu’il va être amoureux. L’envie du café, c’est une envie d’amour, c’est une envie d’autre chose. Ce qui m’intéresse, ce sont justement ces moments précieux et délicats où l’âme et le corps se répondent, se questionnent et où le corps est le langage de l’âme en quelque sorte. »« Avant ‘La Femme coquelicot’, j’ai écrit un autre roman qui n’a pas été, lui, monté sur scène et qu’il faut lire en reflet, en miroir avec ‘La Femme coquelicot’. Il s’appelle ‘La dame en bleu’ et c’est également un éloge de la vieillesse. C’est l’histoire d’une femme de 50 ans qui rencontre une vieille dame sur son chemin et qui a envie de devenir une vieille dame avant l’âge : pour échapper aux contraintes, aux obligations, à la violence de la rentabilité, de la performance…Ce sont deux livres tête-bêche en quelque sorte, qui portent le même message de tolérance et de sagesse. Parce qu’on deviendra tous vieux, on mourra tous. Le déni de la vieillesse et de la mort est un vrai drame pour une grande partie des populations qui vivent dans cette obsession du jeunisme absolu. »
En 2004, Noëlle Châtelet sort « La dernière leçon », un livre sur la mort volontaire de sa propre mère, Mireille Jospin, sage-femme et citoyenne engagée, tout comme sa fille…
« Ce livre a été un immense succès en France. Je le dis non par narcissisme, mais si le livre a eu un tel succès, c’est que les gens sont prêts à envisager cette forme possible de mort. Les législateurs, quant à eux, ne sont pas prêts à changer la loi qui n’est pas du tout permissive. Ce qu’a fait ma mère, c’est pour moi un exemple extraordinaire d’un choix de mort qui est aussi un choix de vie. Ella voulu partir debout, elle n’a voulu peser ni sur ses enfants ni sur la société. Elle a tout fait pour ne pas m’obliger à devenir la mère de ma mère. Son plus beau cadeau de mère, c’était de me laisser cette image d’elle comme d’une femme militante et citoyenne. Je vois autour de moi beaucoup de gens de ma génération dont les vieux parents ont perdu la tête, il faut leur mettre des couches… »Mais cela fait aussi partie de la vieillesse et de la mort, non ?
« Oui, mais si ceux qui le vivent n’ont pas envie de le vivre ? S’ils le vivent malgré eux ? Pourquoi ne pas leur laisser le choix et le droit de partir à la fois sereinement et dignement ? C’est une vraie question de société qui se pose beaucoup en France. Le livre a beaucoup aidé à interroger les législateurs sur cette question. Aujourd’hui, je milite dans l’Association pour le droit de mourir dans la dignité qui a été fondée, il y a trente ans, par ma propre mère et mon père. Je suis membre du comité de parrainage de cette association. C’est un de mes combats les plus importants, avec celui que je mène pour redonner à la vieillesse une autre image. »
L’écriture et ces engagements sont alors vos principales préoccupations ? Vous dites que vous êtes à la retraite et contente de l’être…
« Je suis à la retraite de l’enseignement, mais je ne suis pas à la retraite tout court, parce que je fais encore plus de choses qu’avant ! Je m’occupe de beaucoup d’associations… J’ai écrit un livre sur la première greffe de visage, avec toute l’équipe qui a permis cette magnifique aventure. Je me bats aussi pour les dons d’organes. C’est un autre combat mais qui est également lié à la mort. J’estime que nous ne vivons pas dans des sociétés de partage. Dans nos sociétés, chacun vit dans la solitude et, parfois, dans la détresse de cette solitude. Il faut apprendre à partager ce que nous avons avec un minimum de solidarité et de fraternité. »
Rediffusion du 17/10/2010