Lidice, 69 ans – et un film – après
Le 10 juin, 69 ans se seront écoulés depuis la tragédie de Lidice, petit village rayé de la carte par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Jeudi dernier est sorti en salles le film Lidice, du réalisateur Petr Nikolaev, dont nous avons déjà eu l’occasion de parler dans notre rubrique culturelle. Retour aujourd’hui, sur le récit de cette tragédie et la façon dont elle a été traitée par le Septième art, avec Eduard Stehlík, un historien, auteur d’un livre de référence sur la question et conseiller sur le tournage du film.
« Ce n’est pas un film documentaire sur Lidice, et sur la tragédie qui s’y est déroulée. C’est un film artistique qui s’intéresse au destin de plusieurs habitants de la commune qui, par un enchaînement de circonstances et de hasards, vont provoquer la tragédie. Donc ce n’est pas un documentaire, mais nous avons voulu que les événements historiques soient justes. »
D’ailleurs, c’est avec presque avec une manie du détail que le travail de reconstitution a été mené, rien n’ayant été laissé au hasard… Eduard Stehlík :« C’est évidemment une question très compliquée parce qu’il faut d’abord faire attention à tout l’environnement, les costumes, les bâtiments. Ensuite il faut voir comment les gens s’expriment, faire attention au vocabulaire utilisé. Parce que vous ne pouvez pas faire parler les gens comme il y a 70 ans, ce serait difficile à faire passer auprès du public d’aujourd’hui. Il a donc fallu trouver un compromis. »
Evidemment, l’un des principaux soucis pour un film sur Lidice, c’est la figure de Heydrich. Eduard Stehlík :
« La figure de Heydrich est un problème si vous faites un film et que vous mettez en scène l’attentat. Avec sa physionomie, c’était une personne très particulière et il est difficile de trouver quelqu’un qui lui ressemble. Je pense que pour ce film, ils ont eu de la chance : pour l’acteur allemand qui l’interprète, on ne peut que se dire qu’il a été bien choisi. Donc c’est une réussite à ce niveau-là. »Si le scénario du film a été composé par Zdeněk Mahler, il s’est également beaucoup appuyé sur le livre d’Eduard Stehlík, « Lidice, histoire d’un village tchèque », récompensé en 2004 par un prix. Eduard Stehlík :
« Je me suis rendu compte que personne n’avait écrit de livre sur Lidice qui raconterait l’histoire du village avant la tragédie. Tous parlent de l’assassinat de ses habitants et de ce qui a suivi. Mais je me suis dit que le seul moyen de montrer l’horreur, c’était ce montrer comment le village vivait auparavant. Il fallait dire qu’il y avait une église, un club de foot, un club de hockey, qu’il y avait un groupe de musique connu qui avait enregistré des disques. Il fallait montrer le quotidien des gens. J’ai même choisi de décrire plus précisément le destin de certains habitants en particulier, leur vie… »Au départ de la tragédie de Lidice : une simple lettre d’amour tombée dans de mauvaises mains, évoquant une fausse activité de résistance, qui, mal interprétée, fera croire aux nazis que l’attentat contre Heydrich a été fomenté à Lidice. La réplique ne se fera pas attendre…
La propagande nazie veut faire de Lidice une punition exemplaire : tous les hommes majeurs doivent être abattus, les femmes envoyées en camps de concentration, et les enfants transférés pour être rééduqués, germanisés, en Allemagne. Or, pour l’historien Eduard Stehlík, la réalité est encore pire, et le film s’efforce de rétablir la vérité :« Même dans les encyclopédies étrangères, on présente les choses ainsi, mais ce n’est pas vrai. La majorité à l’époque, comme dans la plupart des pays d’Europe, était à 21 ans, or les nazis ont exécuté des garçons de 15 ans. Donc ce 10 juin 1942, à Lidice, on tire sur des enfants. Les femmes en camp de concentration ? On oublie de préciser un détail : que c’est à vie. Et pour les enfants envoyés en rééducation dans des familles allemandes, il faut préciser que sur les 150 enfants, seuls 17 sont revenus. Tous les autres ont été gazés. »
A l’origine la sortie du film Lidice était prévue pour plus tard, mais les producteurs ont décidé d’avancer la date à début juin, afin de permettre aux écoles d’aller le voir, avant la fin de l’année scolaire. Eduard Stehlík :« J’ai l’impression que l’intérêt de la jeune génération pour l’histoire est plus important qu’il y a quelques années. Le problème c’est plutôt comment vous le leur présentez. Si vous le faites sous forme d’une histoire, ce qui est le cas de Lidice, ils se rendent très bien compte que ce type d’événement n’est pas très loin. Lidice, ce n’est pas la préhistoire ou les dinosaures. »
Lidice, ce n’est pas les dinosaures en effet, et ce ne sera pas la seule commune en Europe à connaître ce sort : deux ans après jour pour jour, le petit village d’Oradour-sur-Glane, en France, sera rayé de la carte comme Lidice.