80 ans depuis le massacre de Lidice : la tragédie des femmes rescapées revit à la radio

Lidice

Parfois présenté comme « l’Oradour-sur-Glane tchèque », le village de Lidice, situé à une vingtaine de kilomètres de Prague, devait disparaître de la carte et de la mémoire collective. Rasé par les nazis il y a 80 ans, le 10 juin 1942, il n’a au contraire jamais été oublié, devenant, partout dans le monde, un symbole de l’inhumanité de la guerre.

« Il a dû se passer quelque chose de terrible pour qu’on nous accueille ainsi », ont constaté les survivantes du camp de concentration de Ravensbrück à leur retour en Tchécoslovaquie, début juin 1945. Lorsqu’elles ont franchi la frontière tchèque, au terme d’une longue marche de la mort, elles ont en effet été accueillies par une fanfare militaire. Elle leur a rendu hommage, à celles qu’on allait appeler désormais « les femmes de Lidice ».

Lidice | Photo: VHÚ

Après avoir survécu à l’enfer concentrationnaire, ces 143 femmes n’avaient qu’un seul désir : retrouver leurs maris et leurs enfants, dont elles ont été séparées le 10 juin 1942 au petit matin, lorsque les unités SS ont envahi le village de Lidice. Elles ignoraient que le même jour, leur village avait été complètement détruit, leurs maris fusillés et leurs enfants pour la plupart assassinés.

Sur les 500 habitants de Lidice, 340 personnes ont péri. Le massacre a été commis par les nazis pour punir la population civile tchèque, après l’assassinat du dirigeant nazi Reinhard Heydrich, perpétré par des résistants fin mai 1942 à Prague. Historien et directeur du Mémorial de Lidice, Eduard Stehlík explique :

Eduard Stehlík | Photo: Ondřej Tomšů,  Radio Prague Int.

« L’objectif des nazis était de produire un choc. Voilà pourquoi ils ont diffusé l’information sur la destruction du village dans le monde entier. Le message était clair : si dorénavant quelqu’un d’autre s’opposait à eux, il serait traité de manière aussi brutale. Mais la nouvelle a eu l’effet inverse et a entraîné une vague d’émotion et de solidarité avec les habitants de Lidice. Personnellement, j’estime que les nazis ont commis ce crime parce que, quinze jours après l’attentat contre Heydrich, ils n’avaient toujours aucun indice pertinent. »

Mais pourquoi avoir choisi justement ce village situé près de Kladno, non loin de Prague ? Ce qui aurait joué un rôle dans cette histoire tragique, c’était une lettre liée à une affaire compliquée d’adultère.

Après l’attentat contre Heydrich

Ce texte, qui arrive entre les mains de la Gestapo, met cependant les Allemands sur la piste de deux pilotes originaires de Lidice, engagés dans les forces armées tchécoslovaques en Angleterre. Sans plus d’indices, les nazis pensent avoir mis la main sur les deux hommes responsables de l’attentat contre Heydrich qui auraient pu trouver refuge à Lidice, chez leurs familles. Eduard Stehlík raconte la suite :

Télégramme sur la destruction de Lidice | Photo: e-Sbírky,  Musée national,  CC BY-NC-ND 4.0 DEED

« Le rapport publié par les nazis parle d’hommes adultes de Lidice qui ont été fusillés, de femmes déportées en camp de concentration et d’enfants placés dans des familles adoptives pour être rééduqués. Mais ces informations n’étaient pas correctes. La réalité était encore pire. Non seulement des hommes, mais aussi des garçons de plus de 15 ans ont été assassinés sur place. Les femmes devaient être emprisonnées à vie. En ce qui concerne le sort des enfants de Lidice, c’est là que le mensonge est le plus monstrueux. Il n’y a pas eu de rééducation. Sur les 105 enfants de Lidice, seuls 17 ont été retrouvés après la guerre. 82 d'entre eux ont été gazés à Chelmno, en Pologne. C’était une tuerie de masse. Quinze jours après, les nazis ont anéanti de manière similaire un autre village tchèque, Ležáky. Mais ce crime est passé relativement sous le silence à l’époque. »

Les enfants de Lidice | Photo repro: Osudy lidických dětí

Alors que les Allemands utilisent le massacre de Lidice pour leur propagande, la nouvelle suscite l’émotion dans le monde entier. Eduard Stehlík :

The Silent Village

« Trois jours après le massacre, le secrétaire américain à la Marine, Frank Knox, a déclaré : ‘Lorsque nos enfants nous demanderont pourquoi nous avons mené cette guerre, nous leur parlerons de Lidice.’ Le retentissement était énorme  sur tout le continent américain et en Grande-Bretagne. Le premier rapport sur Lidice disait que c’était un village minier, ce qui n’était pas exact. Ses habitants travaillaient principalement dans les usines métallurgiques de Kladno. Néanmoins, l’histoire de Lidice a ému des mineurs britanniques. Ils ont fondé le mouvement ‘Lidice Shall Live’ qui a collecté des fonds destinés à la construction du nouveau village de Lidice. Très rapidement, le monde du cinéma a réagi. En Grande-Bretagne, on a tourné le film documentaire intitulé ‘The Silent Village’, où les habitants de Lidice sont représentés par les mineurs d’un village du Pays de Galles. »

Je m’appelle Lidice

La mobilisation en faveur des rescapés de Lidice, celle qui a permis de construire le nouveau village, a été initiée par le médecin et homme politique britannique Barnett Stross. Il s’est régulièrement rendu à Lidice jusqu’à sa mort en 1967 et a fait planter une roseraie entre le nouveau village et le Mémorial de Lidice, construit sur le lieu même de la tragédie.

Le village de Lidice au Brésil | Photo: Památník Lidice

Plusieurs villes et villages au Pérou, au Venezuela, au Mexique, aux Etats-Unis ou encore en Israël ont décidé de prendre le nom du village martyr et la tragédie de Lidice y est commémorée chaque année en juin. De surcroît, un peu plus de 500 femmes, originaires pour la plupart de pays d’Amérique latine, portent le prénom de Lidice.

La tragédie de Lidice continue d’inspirer des artistes de tous horizons. Le 7 juin dernier, la Radio tchèque a diffusé une nouvelle pièce radiophonique intitulée « Lidické ženy » (Les femmes de Lidice). Son auteur Jakub Čermák explique pourquoi ce sujet l’a captivé :

Jakub Čermák | Photo: Hana Slívová,  ČRo

« Je me souviens que l’histoire de Lidice, devenue presque mythique dans notre pays, m’était assez éloignée quand j’étais étudiant. Je la connaissais, mais elle ne me touchait pas vraiment. Cela a changé quand j’ai lu dans la presse les témoignages des femmes rescapées. Ce qui a attiré mon attention, c’était certains faits ou détails quelque peu éclipsés par les événements du 10 juin 1942. En Tchéquie, nous avons l’habitude d’évoquer le massacre proprement dit, l’exécution des hommes de Lidice et la déportation des femmes. Mais on parle peu de « l’après » massacre. Une question m’a semblé cruciale, à savoir comment peut-on vivre après avoir traversé une telle expérience. »

La communauté des femmes de Lidice est au cœur de la pièce :

« Evidemment, ce qui est extrêmement émouvant, c’est le sort des enfants de Lidice, recherchés après la guerre par leurs mères. On les croyait en vie, alors que, malheureusement, la majorité d’entre eux ont péri. Il est arrivé que plusieurs enfants soient revenus à Lidice, mais il s’est avéré plus tard qu’il ne s’agissait pas de ceux que l’on recherchait. Alors ils ont été rendus à leurs parents en Allemagne. Ces enfants sont eux aussi les victimes du massacre. »

Les femmes de Lidice | Photo: Milada Cábová,  Paměť národa

« Un autre traumatisme est lié aux hommes rescapés. Ils ont été trois à survivre à la tragédie : les deux pilotes engagés en Grande-Bretagne et un homme qui a passé la guerre en prison. Mais la communauté des femmes rescapées les a rejetés, sans doute par ce que c’était trop douloureux pour elles de les voir vivants, alors que leurs maris avaient été tués. Ces trois hommes sont un peu tombés dans l’oubli après la guerre aussi parce qu’ils cassaient l’image de Lidice telle qu’elle était présentée par le régime communiste. »

Le traumatisme reste palpable

En juin 2022, il ne reste qu’une seule femme rescapée encore en vie, ainsi que neuf « enfants de Lidice », dont huit n’ont aucun souvenir de l’ancien village anéanti. Le dramaturge Jakub Čermák estime que le traumatisme du massacre, transmis de génération en génération, reste présent dans le nouveau village de Lidice :

Mémorial de Lidice | Photo: Radio Prague Int.

« Par exemple, les habitants de Lidice se sont récemment opposés au projet d’installation, dans l’enceinte du Mémorial, d’une plaque commémorative en hommage à ces deux pilotes de la RAF britannique qui ont échappé au massacre. La maire actuelle du village, elle-même descendante des survivants, a dit un jour que quand ses enfants étaient petits, elle se demandait s’ils avaient les cheveux suffisamment blonds et les yeux suffisamment bleus pour pouvoir survivre si une situation de ce type venait à se reproduire. Par ailleurs, une historienne du Mémorial de Lidice m’a dit que de nombreuses femmes rescapées refusaient de parler du massacre. De ce fait, l’histoire de certaines familles n’est pas documentée. »

Des commémorations sont prévues ce week-end, en République tchèque et à l’étranger, à l’occasion du 80e anniversaire de la destruction de Lidice. Le public peut découvrir le village disparu sur place, grâce à une visite virtuelle, ou alors sur le site du Mémorial, au https://www.lidice-memorial.cz/.

Mémorial de Lidice | Photo: Radio Prague Int.
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