Joël Lauwers : « L`Enlèvement au sérail est une description très précise des difficultés des relations entre les gens. »
L’Enlèvement au sérail est l’opéra grâce auquel le jeune Mozart s’est imposé dans la vie théâtrale viennoise. Depuis le 7 mai dernier, cette œuvre figure au répertoire du Théâtre des Etats à Prague, monument historique dans lequel Mozart lui-même a dirigé les premières de deux de ses opéras. La mise en scène de cette production est signée Joël Lauwers. En cherchant à donner un poids psychologique aux personnages de L’Enlèvement au sérail, ce metteur en scène belge a découvert de nouvelles significations de leur comportement. Il s’en est confié dans un entretien accordé à Václav Richter à la veille de la première.
« Certainement, mais aussi une grande période de l’art orientaliste. D’un certain côté il y la fascination pour l’Orient, d’un autre côté ce que j’appellerais une sorte de turquerie, extrêmement moqueuse, où le principe était d’être un peu ou assez raciste et donc de représenter le monde oriental comme mauvais. On le sent dans un personnage de ‘L’Enlèvement’ que Mozart a cependant justement voulu, et ses lettres le montrent, traiter avec beaucoup de finesse. Du coup, ça m’a donné envie de ne pas tomber dans cette démonstration négative sur l’Orient ou faire l’inverse. Je pense que la pièce n’a pas cela comme moteur principal. »
Aujourd’hui, souvent, les opéras sont actualisés, transposés d’une époque à une autre, etc. Avez-vous fait aussi une production de ce genre ?« Non, je pense que certaines œuvres s’y prêtent et certains metteurs en scène aiment beaucoup faire cela. Ce n’est pas trop mon goût. Je trouve que l’œuvre de Mozart est d’une modernité incroyable et que ce n’est pas vraiment la peine de mettre les gens en jeans et en patins à roulettes pour faire ressortir toute la modernité de sa musique et de la psychologie de sa musique. »
Que représente donc cet opéra pour vous ? Est-ce un divertissement, une comédie, une histoire d’amour, une page d’histoire ?
« Je pense que chez Mozart il y justement beaucoup de niveaux et beaucoup de richesses. On a une histoire assez simple avec des moments plus détendus et aussi beaucoup de moments tout de même assez dramatiques. L’histoire est assez dramatique, c’est un enlèvement mais je pense qu’il y a avant tout, cachée dans la musique et parfois plus évidente, une description de l’amour et de toutes ses difficultés. Et je crois que Mozart arrive par là à nous donner des sensations, des émotions qui sont tout à fait valables encore de nos jours. »On dirait que votre production est inspirée par la peinture orientaliste du XIXe siècle, Ingres par exemple. Cette inspiration a-t-elle vraiment été au début de votre conception ?
« Je ne dirais pas au début mais très, très vite. Je ne voulais pas traiter cette pièce politiquement, l’utiliser pour donner une sorte de message politique, mais travailler plutôt sur la psychologie des gens. On a cherché un environnement. On a beaucoup aimé entre autres le travail de Polidori, un photographe très connu qui adore photographier des endroits détruits. Et comme on partait d’une histoire d’amour de gens qui sont assez détruits, certains tableaux nous sont venus à l’esprit, entre autres Ingres et Boucher qui sont de grands peintres de l’orientalisme et aiment le clair-obscur et les ambiances feutrées et chaudes. Ça nous a beaucoup inspirés surtout au niveau esthétique. »L’opéra est donné au Théâtre des Etats de Prague, théâtre lié avec Mozart où a été donné la première de Don Giovanni sous la direction du compositeur. Dans quelle mesure tout cela a-t-il influencé votre conception ? Avez-vous adapté votre conception pour ce théâtre ?
« Quelque part profondément, oui. D’abord j’ai dit ‘oui’ tout de suite quand on me l’a proposé, parce que ça se passe une fois et il faut vraiment accepter une telle proposition. Et ensuite, au niveau du décor, on a voulu faire comme une sorte de prolongement de cette salle, ne pas faire une scénographie en rupture avec l’espace. On a cherché à travailler les choses anciennes. Il y a donc une sorte de mariage de moments plus modernes parfois et d’une couleur de musée. Tout cela nous est venu après que nous ayons vu la salle et parce que nous voulions que ce qui serait sur la scène soit comme appartenant à cette salle. »Est-ce un opéra très exigent quant à l’action scénique ? Avez-vous trouvé à Prague les interprètes capables de réaliser votre conception ?
« Oui, j’ai trouvé des gens qui sont extraordinaires, mais ça ne veut pas dire qu’on n’a pas beaucoup travaillé. Il faut beaucoup de travail si l’on veut arriver à un niveau de jeu et garder la symbiose avec le chant, avec la difficulté technique du chant. Ça demande du travail, ça demande beaucoup de répétitions. »
Insistez-vous sur l’aspect comique de l’opéra ?
« Non, honnêtement non, parce que je ne crois pas qu’il soit aussi évident. Je crois qu’il est souvent venu par l’interprétation traditionnelle, principalement le caractère d’Osmin, qui a souvent tendance à être très gros, à avoir de gros turbans et à avoir l’humour un peu pataud. Je trouvais que ça déforçait l’œuvre, ça mettait toute de suite de gros vernis au-dessus de la musique de Mozart. Je pense que cette musique est plus fine et que l’histoire raconte beaucoup plus de choses problématiques que de grands moments de fou rire. Il y a beaucoup d’instants de jalousie, de souffrance, la situation dans laquelle se trouvent les protagonistes est même très difficile. Ce n’est pas une comédie où l’on doit rire à gorge déployée. »Y a-t-il donc un message de cette œuvre que vous aimeriez communiquer, que vous aimeriez passer au public ?
« L’œuvre est, je pense, une description très précise des difficultés des relations entre les gens, ce qui a, je crois, toujours attiré Mozart. Il le fait souvent d’une manière discrète. Mozart utilise un livret déjà remanié, plusieurs fois revisité dont on a fait plusieurs opéras. Dans la musique il arrive à décrire ces difficultés. Je pense que l’œuvre elle-même ne donne pas de morale. C’est un peu semblable à Cosi van tutte, où tous les metteurs en scène s’amusent à deviner quelle est la fin, quels sont les couples qu’on garde et ce qui se passe. Je trouve que l’œuvre se termine très, très vite, laissant ouvertes beaucoup de possibilités. Et ce que j’essaie de construire, c’est un voyage des quatre personnages principaux qui doivent traverser plusieurs épreuves, plusieurs difficultés pour, espérons-le, en ressortir grandis. La fin reste très ouverte.»Aujourd’hui vous vous trouvez à Prague, vous travaillez au Théâtre national. N’êtes-vous pas tenté par un opéra du répertoire tchèque ?
« J’ai toujours été tenté évidement par Janáček, même par des œuvres qui sont moins connues de notre côté, en Belgique et en France, par exemple ‘Osud’ (Le destin). Janáček est pour moi un compositeur extraordinaire et j’ai envie aussi de creuser un peu parce qu’il n’y a pas que Janáček et qu’il doit y avoir beaucoup d’autres compositeurs. Ça m’attire beaucoup. »