Joël Lauwers : « Ce n’est pas la peine de mettre les gens en jeans pour faire ressortir toute la modernité de la musique de Mozart. »
Il est indiscutable que l’Enlèvement au sérail est un opéra créé par Mozart lorsqu’il était déjà en pleine possession de ses moyens. C’est donc un véritable coup de génie mais ce chef d’oeuvre n’a pas figuré, au cours de ses dernières années, dans le répertoire du Théâtre national de Prague. Cette lacune sera donc comblée ce samedi par la première de cet opéra. L’oeuvre sera dirigée par Tomáš Netopil et sa mise en scène sera signée Joël Lauwers. A cette occasion le metteur en scène belge a bien voulu répondre aux questions de Radio Prague. Voici un extrait de cet entretien :
« Je pense qu’il y a tout un bagage de clichés et de traditions qui accompagne l’œuvre. Mais cela rend l’oeuvre encore plus intéressante quand on essaie de se débarrasser de ces clichés et de toutes ces traditions, de voir ce que l’œuvre a encore vraiment de moderne. Et on s’aperçoit que chez Mozart c’est extrême, cette richesse et cette modernité. »
Dans quelle mesure avez-vous donc tenté d’éviter ces clichés ?
« Particulièrement dans l’Enlèvement au sérail il y a quelque part autant de clichés disons un peu vieux jeu et traditionnels, d’humour un peu pataud et lourd, je trouve, que de clichés plus récents comme l’utilisation de l’oeuvre pour parler des problèmes du Proche Orient ou des problèmes entre Juifs et Palestiniens Cela est devenu également une sorte de cliché. Donc j’ai essayé de ne faire ni l’un, ni l’autre. »
L’opéra a été créé à l’époque où l’Europe et l’Autriche étaient menacées d’invasions turques et tout cela devait se refléter aussi dans la gestation de cette oeuvre ? Est-ce que cela se reflète dans votre production ?« Certainement, mais aussi une grande période de l’art orientaliste. D’un certain côté il y la fascination par l’Orient, d’un autre côté ce que j’appellerais une sorte de turquerie, extrêmement moqueuse où le principe était d’être un peu ou assez raciste et donc de représenter le monde oriental comme mauvais. On le sent dans un personnage de ‘L’Enlèvement’ mais que Mozart a justement voulu, et ses lettres le montrent, traiter avec beaucoup de finesse. Du coup, ça m’a donné envie de ne pas tomber dans cette démonstration négative sur l’Orient ou faire l’inverse. Je pense que la pièce n’a pas cela comme moteur principal. »
Aujourd’hui souvent les opéras sont actualisés, transposés d’une époque à l’autre, etc. Avez-vous fait aussi une production de ce genre ?
« Non, je pense que certaines oeuvres s’y prêtent et certains metteurs en scène aiment beaucoup faire cela. Ce n’est pas trop mon goût. Je trouve que l’oeuvre de Mozart est d’une modernité incroyable et que ce n’est pas vraiment la peine de mettre les gens en jeans et en patins à roulettes pour faire ressortir toute la modernité de sa musique et la psychologie de sa musique. »Qu’est ce que cet opéra représente donc pour vous. Est-ce un divertissement, une comédie, une histoire d’amour, une page d’histoire ?
« Je pense que chez Mozart il y justement beaucoup de niveaux et beaucoup de richesses. On a une histoire assez simple avec des moments plus détendus et aussi beaucoup de moments tout de même assez dramatiques. L’histoire est assez dramatique, c’est un enlèvement, mais je pense qu’il y a avant tout, cachée dans la musique et parfois plus évidente, une description de l’amour et de toutes ces difficultés. Et je crois que Mozart arrive par là à nous donner des sensations, des émotions qui sont tout à fait valables encore de nos jours. »(Nous vous présenterons la version intégrale de cet entretien, samedi prochain, dans la rubrique Rencontre littéraire.)