« La République tchèque est un laboratoire sociologique particulièrement intéressant »
Première partie aujourd'hui de l'entretien réalisé avec Mathieu Plésiat, un jeune chercheur français qui vient de publier deux tomes de son livre, intitulé Les Tsiganes, aux éditions de l’Harmattan en France. Un livre tiré de la thèse de sociologie qu’il a rédigé en réalisant des enquêtes en République tchèque.
« C’est surtout lié à mon parcours personnel. En fait l’idée m’est venue lors d’un séjour Erasmus en Espagne, en Andalousie. Je me suis intéressé à cette ambiguïté entre le côté faire-valoir pour l’Andalousie du folklore gitan et l’autre côté, quand les gitans sont dans le même temps considérés comme des parasites de la société. En rentrant en France pour faire une maîtrise et un DEA, je me suis intéressé à la question des aires de stationnement pour les gens du voyage et c’est l’aspect terminologique qui m’a surtout intéressé au début. »
C’est aussi l’enjeu du premier tome de ce livre, sous-titré « Entre nation et négation, sur la difficulté de définir ce qu’est un Tsigane.
« Je me suis intéressé dans le cadre de ma thèse au positionnement des acteurs qui tente de définir ce qu’on appelait dans le cadre de l’Europe centrale jusqu’en 1989 ‘les citoyens d’origine tsigane’. Méthodologiquement la difficulté consistait à savoir qui est tsigane et qui ne l’est pas. Question qui, d’un point de vue sociologique et scientifique, pose problème car les critères objectifs font défaut. Je me suis donc intéressé à ceux qui parlent des tsiganes. Ceci m’a permis, en étudiant les acteurs qui se positionnent sur cette question là, d’identifier des positions très antagonistes. Certains prétendent qu’il existe une communauté tsigane homogène, d’autres au contraire la nient. D’où la question : Entre nation et négation.Vous parliez d’Andalousie, puis de France. Qu’est ce qui vous a amené ici jusqu’à Prague pour travailler sur ce sujet ?
« Il est apparu que la République tchèque constitue un laboratoire sociologique particulièrement intéressant. En effet on peut apprécier en une décennie la mise en place de deux politiques d’intégration. S’agissant d’intégration on oppose d’ordinaire deux modèles : Le modèle multiculturel qui valorise une communauté afin de l’intégrer et le modèle républicain à la française où il s’agit de privilégier les individus. La République tchèque a mis en place alternativement ces deux modèles. »
On parle en République tchèque des "sociálně vyloučení", c’est-à-dire les exclus sociaux, avec notamment le référencement ou la délimitation géographique de localités socialement exclues. Une étude commandée par le gouvernement en a dénombré plus de 300. Dans votre these, vous avez réalisé des enquêtes sociologiques dans ce genre de localités, comme à Kladno pas loin de Prague. Pourquoi ce choix et est-ce que ça a été difficile de réaliser ces entretiens?
« La République tchèque était intéressante car, dans les années 90, elle a mis en place une politique multiculturelle suite notamment au scandale de l’exil des Roms au Canada et en Angleterre. Celui-ci a donné lieu au rapport Bratinka. Cette politique s’est traduite par la nomination de porte-parole Roms issus de l’élite culturelle et par la mise en place de quotas. Suite à l’accession de la République tchèque à l’Union européenne, on observe un basculement, une critique de cette politique multiculturelle. Il y a la mise en oeuvre d’une politique d’intégration sociale. »
Une critique en raison d’un constat d’échec de la politique multiculturelle?
« Un constat d’échec oui, car il y a eu des scandales avec les porte-parole mais c’est surtout la critique de l’école de Plzen par des anthropologues qui a été déterminante. Ceux-ci critiquent radicalement l’aspect construit de la nation et les contradictions entre les idées et la réalité du terrain, notamment en matière de pauvreté. La République tchèque, à l’instar de ses vousins, n’est pas pour une politique qui favorise les communautés ni pour un intermédiaire entre l’Etat et le citoyen. On peut également noter que la stratégie de Lisbonne va dans le sens d’une lutte contre l’exclusion sociale. On ne pense plus désormais en termes ethniques. Dans les années 90 on a des variables culturelles et politiques et depuis les années 2000 on bascule vers des variables sociales et économiques. On ne considère plus les Roms comme une communauté mais comme des individus exclus socialement. L’objectif de mon enquête consistait à observer les deux politiques d’intégration, de déterminer les acteurs qui défendent ces positions, de voir comment des solutions sont envisagées et de d’observer leurs applications concrètes sur le terrain. Il s’agit en réalité de voir comment les individus concernés réagissent à ces dispositifs et d’observer si une troisième voie est éventuellement possible en ce qui concerne la politique d’intégration. »
Pourquoi Kladno donc?
« L’étude commanditée par le ministère des affaires sociales avait dénombré 300 localités dites d’exclusion sociale. Il s’agissait de se rendre dans une de ces localités pour observer comment les individus réagissent et interagissent dans ces espaces contraignants. Kladno me semblait intéressant grâce à sa proximité avec Prague. Kladno présentait également cinq localités dans sa ville, ce qui est un assez grand nombre pour la République tchèque.Cinq localités socialement exclues selon les critères de ce rapport?
« Tout à fait. Les taux de concentration étaient très élevés. J’avais aussi entendu parler des affaires du Masokombinát. Il y avait donc un intérêt sociologique très élevé à se rendre à Kladno. »Le Masokombinát, une ancienne usine de traitement de viande où ont été aménagés des logements insalubres avec une concentration très élevée de Roms. Cela a été difficile de réaliser ces entretiens? De faire parler ces gens de leur situation?
« Les enquêtes se déroulent sur sept ou huit mois. Il y a un aspect déontologique et éthique et une préparation des entretiens. On passe généralement par des intermédiaires, des gens qui ont l’habitude d’aller dans ces endroits. Il y a aussi la question du positionnement du chercheur à l’intérieur de ces espaces, la question de l’observation, de l’interprétation, des affinités que l’on peut avoir avec nos interlocuteurs. En tant qu’étranger j’étais régulièrement interpellé sur la question de la misère et de la violence sociale au quotidien, ce qui n’est pas facile. Le travail du sociologue consiste à venir, observer, récolter le discours des personnes concernées, le retranscrire et le communiquer dans un livre, puis de continuer son chemin, malheureusement. »Suite de cet entretien la semaine prochaine.