L’autre monde, de Gilles Marchand : « Un conte d’initiation contemporain »
Parmi les films présentés en avant-première au 13e Festival du Film Français, L’autre monde de Gilles Marchand, sorti dans les salles tchèques le 2 décembre. L’autre monde, c’est un film à cheval entre deux univers, la réalité et le virtuel. Dans le Sud de la France, un jeune homme Gaspard qui partage son temps entre ses amis et sa nouvelle petite amie, Marion. Mais Gaspard va rencontrer Audrey, une jeune femme qu’il sauve dans une carrière, alors qu’elle allait se suicider. La vie de Gaspard bascule, peu à peu il veut découvrir qui est cette fille mystérieuse et sombre. Sur un jeu en réseau elle se fait appeler Sam et cherche un partenaire pour mourir. Pour tenter de l’approcher Gaspard se crée lui aussi un avatar, Gordon, et part la retrouver dans Black Hole, équivalent plus glauque de Second Life. Radio Prague a demandé à Gilles Marchand, le réalisateur, d’où lui était venu le déclic du film.
« Oui, c’est vrai : on est d’autant plus dans la fiction. Souvent je suis ému, en tant que spectateur, de ce qu’en filmant le visage d’un personnage et en racontant son histoire, on essaye de se projeter à l’intérieur de sa tête. On voit par ses yeux... Là, c’était une façon très forte de l’incarner : on pouvait savoir ce qui se passait dans la tête du bonhomme parce qu’on le voyait comme un monde en soi. »
Est-ce que vous connaissez Second Life auparavant ?« Oui. Je ne suis pas un geek, mais je m’étais déjà promené. Un copain m’avait créé un avatar et j’avais fait un tour. Dans Second Life, j’avais été très frappé d’une chose : quand j’avais vu jouer ce copain, je ne trouvais pas ce monde très beau. Quand moi j’avais piloté mon avatar, j’avais par contre été impressionné, car je découvrais les choses par mes propres yeux. J’y croyais plus, j’étais plus impliqué. Je trouvais tout plus étrange et plus fort que quand j’étais simplement spectateur extérieur. Il y a un phénomène qui se passe dans le jeu qui fait qu’on y croit quand on le fait. C’était aussi pour moi un défi dans le film de savoir si le spectateur s’identifierait aux deux niveaux de réalité que vous évoquez. Est-ce qu’on verrait une continuité entre le personnage du film et son avatar ? C’est pour cela que ça m’intéressait d’avoir une narration assez fluide au fond, d’être le plus possible avec les personnages, tout en étant très contrasté en termes d’univers... »
Et en termes d’images et de lumière aussi. Parce qu’il faut dire que le film se passe dans le Sud de la France, ce n’est pas précisé où mais on peut supposer Marseille. Le monde de Black Hole, ce jeu en réseau, est lui un univers noir dans lequel il fait froid...« Il fait nuit tout le temps dans Black Hole. Cela m’intéressait de jouer plastiquement sur un écart entre ces deux mondes, même s’il est aussi simpliste. Plutôt que de raconter l’histoire d’un jeune homme qui habiterait une banlieue grise, qui serait malheureux dans sa vie, qui se projetterait dans un monde merveilleux où il fait tout le temps beau, ça m’intéressait de dire au spectateur qu’au fond la vie offre des opportunités étranges : il a tout pour être heureux, il a des amis, une copine, le soleil et la mer et malgré tout il va être attiré par un aspect plus noir, plus morbide, plus dur, qui existe probablement à l’intérieur de ce personnage et de chacun de nous. Cette part sombre de l’humain demande aussi à être explorée. »D’autant que le personnage principal Gaspard, on a l’impression, pas que ça lui tombe dessus, mais c’est aussi un hasard de la vie. Le déclic, c’est plutôt cette fille qu’il va sauver, mais il aurait très bien pu ne pas tomber sur elle... Ce sont ces hasards de la vie qui nous amènent quelque part où on n’aurait jamais pu penser aller...
« Il y a une part de basculement dans sa rencontre avec cette fille qu’il sauve du suicide. Au départ, finalement, c’est sa petite amie Marion qui est le moteur dans le fait de s’intéresser à cette fille, qui le pousse à découvrir à qui appartient le téléphone. Mais c’est quand ils découvrent cette fille qui veut se suicider que Gaspard va commencer à basculer. Il va commencer à garder des choses pour lui, ne plus tout dire à Marion. Il peut faire des choses de plus en plus bizarres au cours du film, il explore une part plus sombre de lui-même, mais il le fait parce qu’il pense qu’il va faire le bien. Il n’oserait pas le faire clairement du côté obscur. Comme il met le masque de l’avatar pour rencontre cette fille mystérieuse, il se raconte en quelque sorte que cette fille a besoin d’aide, que s’il ment un peu, c’est aussi pour en savoir plus et l’aider. »
Est-ce votre but était aussi de critiquer aussi les jeux en ligne et les mondes du type Second Life ? Ou bien ce n’était pas votre propos ? Moi j’ai plus l’impression que vous établissez un constat de ce que cela peut provoquer, mais sans jugement...« En l’occurence, l’aspect critique ne m’intéresse pas tant que cela. J’ai quand même anticipé et constaté que des gens pouvaient lire le film ainsi. C’était aussi une façon de rendre ‘hommage’ à ces jeux, même si ce n’est peut-être pas le mot... De montrer qu’ils sont grands et forts et attirants. Il me semblerait idiot de dire que ce ne sont que des jeux idiots. Il y a une puissance contenue dans l’être humain, dans le cerveau, dans ces nouveaux mondes incarnés par des univers en ligne. Comme les téléphones portables, qui nous semble banals, ça transforme le monde en profondeur. L’humain change. La planète aussi. Ce qui m’intéressait aussi c’est que ça modifie la façon de raconter les histoires. Cela modifie la fiction, c’est un masque de plus. J’avais envie de raconter une histoire assez classique, comme un conte d’initiation, avec des éléments très contemporains. Cela m’amusait d’avoir ce contraste-là. »