La vérité et l’amour nous libéreront

Robert Zollitsch, Karel Schwarzenberg, Dominik Duka, photo: CTK

Vingt ans se sont écoulés depuis l’échange de lettres de réconciliation entre les évêques de l’ancienne République fédérative tchèque et slovaque et la République fédérale d’Allemagne. Ces lettres ont été une réaction aux demandes de pardon de Václav Havel pour l’expulsion des Allemands de la Tchécoslovaquie, après la guerre. Un rassemblement solennel à l’occasion du 20e anniversaire de l’événement a eu lieu jeudi dernier, dans les locaux de l’archevêché de Prague, à l’initiative d’Ackermann Gemeinde – association oeuvrant à la réconciliation entre Allemands, Tchèques et Slovaques. Nous avons assisté à ce rassemblement qui a emprunté une phrase du message adressé en 1990 par le cardinal František Tomášek aux évêques allemands: « La vérité et l’amour nous libéreront... »

« Le 17 novembre, 21 ans se sont écoulés depuis le jour où, à l’avenue Národní, les citoyens de l’ancienne Tchécoslovaquie ont exposé leurs corps aux coups de matraques de la police communiste. C’était le début d’une nouvelle ère dans l’histoire grâce à laquelle nous pouvons nous rencontrer et nous disons une fois de plus, merci. »

Ces propos sont ceux de Martin Kastler, député du Parlement européen, président d’Ackermann-Gemeinde, et l’un des intervenants au rassemblement commémorant le 20e anniversaire de l’échange de lettres mémorables entre le cardinal de Prague František Tomášek et les évêques allemands, Karl Lehmann et Georg Sterzinsky.

Le 11 janvier 1990, le cardinal František Tomášek a invité par sa lettre à la réconciliation entre les peuples de l’ancienne Tchécoslovaquie et l’Allemagne et à la responsabilité commune vis-à-vis de l’avenir de l’Europe. Il a jugé nécessaire de se prononcer sur les émotions ressuscitées face auxquelles « les chrétiens croyants ne restent pas indifférents. Les actes inhumains et injustes restent une tache à notre honneur national, » a écrit le cardinal. « Cette tache ne sera pas lavée si elle est passée sous silence : il faudra une reconnaissance objective de la vérité et de notre propre culpabilité. Tel est le sens de l’excuse qui, à la place de ceux qui avaient commis des crimes, doit être prononcée par les honnêtes gens auxquels la santé morale et l’honneur de la nation tchèque tiennent au coeur. » Fin de citation.

Václav Havel
C’était Václav Havel qui, peu après la chute du communisme en Tchécoslovaquie, en novembre 1989, a adressé d’abord à titre privé au président de RFA, Richard von Weizsäcker, une lettre de condamnation de l’expulsion des Allemands des Sudètes: « Je la considère comme un acte hautement immoral qui a engendré des dommages tant moraux que matériels non seulement pour les Allemands mais dans une large mesure encore pour les Tchèques. » Une deuxième demande de pardon officielle, déplorant les violences physiques dont l’expulsion fut assortie et l’imputation d’une culpabilité collective des Allemands des Sudètes a été envoyée par Václav Havel, président, au début de 1990.

La réponse des évêques allemands est datée du 8 mars 1990. Dans leur déclaration à propos de la réconciliation avec le peuple tchèque, ils apprécient l’initiative du cardinal Tomášek et lui demandent de remercier également Václav Havel de son geste. Ils regrettent les crimes nazis commis à la période de l’occupation de la Bohême et de la Moravie ainsi que l’expatriation des Tchèques et des Slovaques des régions occupées, en 1938. Ils déplorent la participation de l’armée populaire de l’ancienne RDA à l’invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968. Pour Monseigneur Anton Otte, chef du bureau praguois de l’association d’Ackermann- Gemeinde, les lettres échangées par les conférences épiscopales allemande et tchécoslovaque ont marqué le début des contacts libres entre les deux pays. Ils font partie des documents ayant pour but de guérir les blessures du passé. La réconciliation a aussi été au coeur d’une réflexion prononcée à la rencontre solennelle, jeudi dernier, par l’archevêque de Prague, Dominik Duka:

Dominik Duka,  le chef de l'Eglise catholique allemande Robert Zollitsch  (à droite),  photo: CTK
« Pourquoi il a fallu attendre 45 ans avant de s’asseoir à la même table et se dire des mots de pardon? La réponse à cette question, nous la connaissons, aujourd’hui, même si, à mon sens, nous ne sommes toujours pas en mesure de réaliser entièrement ce que cela signifie de perdre sa patrie, ses racines, ne pas pouvoir retourner là où nous étions nés, où nous avions passé notre enfance. C’était votre destin, chers concitoyens de langue allemande. Mais je dois dire aussi que peu d’années après que vous étiez expulsés de vos foyers, nous sommes devenus, nous, ici, des étrangers dans notre pays, des parias. De nombreux parmi nous ont souffert sous la botte communiste, de nombreux comme le cardinal Beran ont été humiliés, emprisonnés et mis à mort dans leur propre pays. Les deux dictatures, brune et rouge, ont eu un point commun, celui d’absence totale de respect envers l’être humain. Non, la culpabilité collective n’existe pas, et nous sommes bien conscients que c’est une des manifestations d’injustices. Ce qui existe, c’est notre responsabilité, c’est le pardon, c’est notre avenir commun. »

Une vision de l’avenir, vingt ans après l’échange de lettres entre les évêques de Tchécoslovaquie et d’Allemagne, a été dessinée par le chef de la diplomatie tchèque, Karel Schwarzenberg:

Robert Zollitsch,  Karel Schwarzenberg,  Dominik Duka,  photo: CTK
« C’est incroyable que vingt ans se sont écoulés déjà depuis la déclaration des évêques tchèques et allemands, déclaration qui a marqué une percée dans les rapports tchéco-allemands dont même ceux qui se trouvaient à son origine ne soupçonnaient pas sa porté et ses conséquences. Le progrès qui s’est produit depuis est énorme. Je me souviens encore des préjugés qui ont régné des deux cotés, alors qu’aujourd’hui, il me semble que ce rassemblement est déjà dépassé, car la jeune génération a une tout autre perception des choses. L’ouverture avec laquelle la génération actuelle aborde les problèmes du passé est admirable. Il a fallu bien entendu du temps pour que la société se réveille. Pour ce qui est des perspectives de l’avenir de nos rencontres, je crains qu’elles n’auront pas une existence trop longue. D’ici à 20 ans, personne ne comprendra plus le sens de pareils rassemblements car nos rapports seront à 100 % normaux comme ils le sont aujourd’hui entre Tchèques et Slovaques où entre Allemands et Belges ou Français. Personne ne comprendra le sens des ressentiments, des souvenirs pathétiques. »

En novembre 1989, la société tchécoslovaque était encore mal préparée aux excuses émanant de son nouveau président Václav Havel. L’Eglise catholique a alors été l’une des premières à les soutenir. Nous rappellerons que jusqu’à 3 millions d’Allemands des Sudètes ont été privés de leurs biens et de leurs droits civiques en Tchécoslovaquie, après la guerre.