Anna Pravdová : « Le mécénat culturel n’est pas en vogue en République tchèque »
Anna Pravdová, 37 ans, est historienne de l’art et conservatrice à la Galerie nationale de Prague. Fille de professeurs de français, auteurs d’un manuel de français pour autodidactes, très populaire parmi les Tchèques, elle est, bien sûr, parfaitement francophone. En 2009, Anna Pravdová a sorti un ouvrage intitulé « Rattrapés par la nuit » qui raconte le destin des artistes tchèques en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. Une exposition leur sera consacrée au printemps prochain, à la Bibliothèque municipale de Prague. Parallèlement, elle prépare une monographie et une exposition du sculpteur, peintre et apiculteur Jan Křížek, ayant vécu en France et oublié des Tchèques.
« Mon grand-père était peintre (Václav Holub, ndlr) et il m’a sans doute influencée. Ils nous emmenait, mon frère et moi, voir des expositions, il nous montrait ce qui lui plaisait. »
Vous-même, vous n’avez jamais voulu faire de la peinture ?
« Si, j’ai essayé. Mon grand-père venait chez nous à la campagne, il prenait son chevalet, allait peindre dans la nature et moi, je l’accompagnais. Justement, on avait prévu que pendant les vacances, je parte avec lui dans sa maison de campagne, qu’on aille peindre ensemble. Mais il est mort juste avant, en juin. Cela m’a un peu découragée pour ma création personnelle et c’est peut-être la raison pour laquelle je me suis tournée vers la théorie... »
Vous vous consacrez particulièrement aux artistes tchèques ayant vécu, au cours de la première moitié du XXe siècle, en France. C’est votre « grand thème » en tant qu’historienne de l’art ?
« A un moment donné, je me suis retrouvée en tant que boursière à Paris. J’y ai passé une année, toute seule, cela m’a beaucoup marquée et cela m’a fait penser à tous les peintres tchèques qui avaient également été marqués par leurs séjours à Paris. J’ai cherché dans les documents pour en savoir plus sur leur vie et leur travail en France, mais je me suis aperçue que finalement, il n’y avait pas grand-chose, à part quelques témoignages personnels. Alors j’ai commencé à faire des recherches, je me suis intéressée aux peintres tchèques qui ont vécu en France dans les années 1920 et 1930, mais aussi dans les années 1940. »
Lors de son séjour à Paris, Anna Pravdová rencontre la veuve du sculpteur Jan Křížek, artiste influencé par l’art brut. Elle découvre son destin assez particulier…« Jan Křížek a étudié à l’Ecole des Beaux-Arts, ici à Prague, pendant la Deuxième guerre mondiale. Il était très proche du peintre Václav Boštík. En 1946, il est parti avec un voyage organisé pour les étudiants des Beaux-Arts à Paris et il est tout de suite tombé amoureux de cette ville et a décidé de revenir. Il l’a fait : il y est d’abord retourné tout seul pour trois mois, après il s’est marié à Prague et il est reparti en France avec sa femme. Ils pensaient tous les deux faire des aller-retours entre Paris et Prague pendant quelques années. Mais suite aux événements de février 1948, ils ont eu le choix entre revenir tout de suite en Tchécoslovaquie ou rester à Paris. Ils ont choisi de rester. Jan Křížek a pu exposer à Paris, au Foyer de l’Art brut, des critiques importants se sont intéressés à son travail comme Charles Estienne ou Michel Tapié qui est devenu un promoteur de l’art informel. André Breton et Pablo Picasso ont également apprécié son travail, grâce à Picasso, il a pu faire de la céramique dans le sud de la France...
Mais comme, bien sûr, il n’arrivait pas à vivre de son travail, c’est sa femme qui s’est occupé du ‘côté pratique’ de la vie : elle a d’abord travaillé comme bonne chez un médecin et ensuite elle faisait des pâtisseries dans un salon de thé. Elle apportait à son mari des serviettes ou des nappes en papier pour qu’il puisse dessiner dessus. Comme ils étaient pauvres, il n’a pas vraiment pu faire son travail de sculpteur, il dessinait beaucoup et faisait aussi des gravures. En 1962, suite aux problèmes avec le propriétaire de la maison où ils habitaient, dans une chambre de bonne, ils ont décidé d’acheter une maison à la campagne. Ils ont alors acheté un petit terrain au milieu de rien, à deux kilomètres d’un village en Corrèze. Jan Křížek y a construit une maison en bois, très belle, où ils vivaient très simplement, sans eau courante, longtemps sans électricité... »Cette maison existe-elle encore ?
« Elle existe, mais on ne sait pas ce qu’elle va devenir, parce que madame Křížek est décédée en janvier dernier. Toutes les œuvres qui étaient dedans se trouvent actuellement dans un musée public de la région. Elles ont été léguées à une fondation qui a beaucoup aidé les Křížek quand ils étaient encore à Paris. »
Jan Křížek est décédé en quelle année ?
« En 1985. »
Anna Pravdová, vous êtes conservatrice à la Galerie nationale de Prague. Pourriez-vous rappeler aux auditeurs où peut-on trouver ses collections ?
« Elles se trouvent dans beaucoup de bâtiments. Il y en a même un peu trop, à mon avis. Ceux qui s’intéressent à l’art ancien doivent aller au Couvent Saint-Agnès pour voir l’art médiéval. Il faut aller au Château de Prague pour voir les collections baroque et XIXe siècle et il faut enfin aller au palais Veletržní pour voir les collections modernes. En plus de cela, il y a le palais Kinský, c’est là où je travaille et où je m’occupe de la collection d’art graphique. Le palais abrite les travaux sur papier, toutes périodes confondues. Mais la collection n’est pas accessible au public. Au palais Kinský se trouvent également les bureaux de la direction de la Galerie. Pour revenir au Château, le palais Šternberk, que tout le monde connaît en général, abrite une collection d’art ancien, tchèque et européen. Il y a aussi une nouvelle collection d’art baroque qui vient d’ouvrir au palais Schwarzenberg. Enfin, une collection du XIXe sicèle sera nouvellement installée au palais Salmovský qui est en reconstruction. »
Votre mari est français, vous avez beaucoup d’amis en France. Est-ce qu’il vous arrive de leur faire guide à la Galerie ?
« Oui, cela m’est arrivé quelquefois. Je m’occupe de tout ce qui est dessin du XXe siècle. Mes collègues et moi, nous sommes responsables du cabinet d’art graphique au palais Veletržní. Ce derniers se trouve au même étage que la collection française, assez importante : c’est la collection Kramář, avec les Braque, les Picasso... Il y a vraiment de très belles œuvres. Pour ce qui est de notre cabinet graphique, nous essayons alors de trouver des thématiques liées à la France, aux artistes tchèques qui ont travaillé en France... Alors j’emmène mes amis français voir ce cabinet et ensuite, nous faisons un tour dans les collections. »On repproche souvent à la Galerie Nationale que Prague ne soit pas devenue, depuis 1989, une véritable capitale culturelle. Les étrangers ne se déplacent pas à Prague pour voir de magnifiques expositions, comme c’est le cas de Vienne, Londres ou Paris... Il est vrai qu’en octobre a été ouverte, au palais Veletržní, l’exposition Monet-Warhol qui présente le meilleur de la collection du musée Albertina, mais c’est plutôt une exception... Qu’en pensez-vous ?
« Je ne sais pas si Prague peut faire concurrence aux capitales comme Vienne, par exemple. Elles ont dans leurs collections des artistes qui, simplement par leurs noms, font déplacer les gens. Je pense qu’on n’attirera jamais autant de monde. Nous avons notre collection française, mais nous n’avons pas autant d’artistes tchèques célèbres. Nous pourrions, bien sûr, organiser des expositions de qualité. Tout dépend des conservateurs et aussi des moyens financiers et là, malheureusement, nous ne disposons pas d’un soutien aussi important de la part du ministère que les musées parisiens par exemple, nous n’avons pas la même part de budget de l’Etat... Donc c’est assez difficile de réaliser des projets aussi ambitieux. En plus, nous n’avons pas le même soutien des mécènes. Chez nous, les gens fortunés aiment soutenir le sport et d’autres choses, mais pas la culture. Etre partenaire d’une exposition ou d’un projet culturel n’est pas ici une question de prestige comme à Paris. Je pense que c’est un problème de toute la société et qu’il nous faut attendre encore quelques années pour que la culture obtienne une place beaucoup plus importante dans notre pays. »Vous venez de passer quelques temps à New York, dans le cadre d’un voyage privé, quelles sont vos impressions ?« J’ai passé beaucoup de temps dans les musées. J’ai vu des expositions très intéressantes, bien faites, très pédagogiques qui m’ont beaucoup plu. On voit évidemment que le là-bas, le mécénat culturel, c’est tout–à-fait autre chose... On peut en rêver. »
Cette semaine, vous accompagnez le cinéaste tchèque Jan Švankmajer à Paris, car le Forum des Images organise sa rétrospective. Vous connaissez personnellement Jan Švankmajer, dans quelles circonstances l’avez-vous rencontré ?
« J’était interprète sur le tournage d’un documentaire réalisé pendant le tournage de son film ‘Otesánek’. C’était un documentaire sur lui, sa femme Eva qui était encore vivante à l’époque, sur leur travail. Je l’ai ensuite accompagné quand il allait à Paris ou au Festival d’Annecy, j’étais déjà son interprète. Il y a une relation de confiance entre nous. J’aime son travail de cinéaste que j’ai découvert pendant le tournage du film, j’aime aussi son travail plastique. S’il veut que je l’accompagne, c’est peut-être aussi parce qu’il n’est pas toujours évident de traduire ses propos. Ce sont souvent les mêmes sujets qui reviennent dans son travail, mais il faut savoir exactement de quoi il parle. Il ne dit pas des banalités. »