Jana Šrámková, une voix en sourdine qui trahit les secrets de l’âme

Jana Šrámková, photo: Matěj Baťha, Creative Commons 3.0

« Ce n’est pas un livre sur moi, » dit l’écrivaine Jana Šrámková de son premier roman qui lui a valu le Prix Jiří Orten 2009. Ce court roman, plutôt une nouvelle, a révélé aux lecteurs tchèques un jeune talent étonnement mûr. La romancière en herbe a apporté à la littérature tchèque une voix nouvelle, une voix en sourdine qui sait pourtant séduire les lecteurs. Son regard se faufile peu à peu dans l’univers intérieur des personnages de son livre pour découvrir et trahir les secrets de leurs âmes.

Jana Šrámková,  photo: Matěj Baťha,  Creative Commons 3.0
Déjà l’itinéraire de Jana Šrámková sort du commun. Cette jeune femme née en 1982 n’a pas suivi le chemin de la majorité des jeunes Tchèques. Ses études ont été très particulières et ont sans doute bien élargi son horizon spirituel. C’est peut-être là qu’il faut chercher la source de son originalité :

« Avant la littérature, j’ai étudié la théologie. Dans notre famille, les études de théologie sont comme une espèce de prédisposition génétique. Et c’est grâce aux études de théologie et surtout grâce à l’Ancien Testament que je suis parvenue à la littérature. »

Après la théologie, la jeune femme se lance dans les études à l’Académie littéraire Josef Škvorecký et c’est son texte de fin d’études qui, remanié, attire l’attention des lecteurs et de la critique et l’impose finalement comme un nouvel espoir de la littérature tchèque. La gestation de ce petit livre est cependant assez compliquée :

« Ce sujet mûrissait depuis longtemps dans ma tête. La première impulsion m’est venue quand je lisais le Livre de Job dans la Bible. Job vit une situation très difficile et qui est aussi vécue par toutes les personnes de son entourage. Nous ne savons pas grand-chose de ces personnes. Ce n’est qu’à la fin que nous apprenons que ces gens-là ne manifestaient pas assez leur compassion avec Job et nous ne savons pas quelle est la fin de leur histoire. Alors je me suis demandé comment serait cette histoire si elle était racontée par un de ces personnages secondaires qui, examiné de près, pourrait être plus intéressant que Job, lui-même. Cette idée évoluait dans ma tête jusqu’à ce qu’elle se transforme et délaisse la trame biblique du Livre de Job. Je n’ai osé commencer à écrire ce texte qu’après quelques années de réflexions. »


Difficile de saisir la trame de ce roman qui ne se livre au lecteur que progressivement, par de petits épisodes dessinés d’une plume légère et impressionniste. Veronika, le personnage principal du livre est une jeune fille d’une famille mutilée par le départ du père quand sa fille n’avait que quatre mois. Quand elle parvient à l’adolescence, elle rencontre Madla, une fille de son âge, et c’est probablement la rencontre la plus importante de sa vie. Madla devient rapidement sa plus grande amie et introduit Veronika dans sa famille. La jeune fille esseulée trouve non seulement une amitié profonde et revigorante d’une adolescente mais aussi la famille dont elle rêvait.

Cette famille d’artistes et d’intellectuels s’ouvre à elle et l’accueille avec beaucoup de sympathie et de compréhension. Ce n’est que maintenant que Veronika se rend compte de ce que c’est le bonheur familial. Elle n’arrive pas à se rassasier des moments passés avec Madla, avec son frère Adam, sa mère Irena et surtout avec son père Šimon, un intellectuel qui ne manque ni de cordialité, ni d’humour, ni de charme. Et ce charme opère sur Veronika peut-être un peu plus qu’elle ne l’aurait d’abord souhaité, et rend finalement ses relations avec Šimon assez équivoques. Peu à peu, un lien invisible se crée entre la jeune fille et le père de son amie, un lien profond, inavoué et inavouable. La tragédie qui frappe tout à coup cette famille de rêve ne fera qu’accentuer cette tendance intérieure condamnée à ne pas aboutir.

La narratrice progresse dans son récit par de petits épisodes souvent surprenants et drôles, par des réflexions dont la franchise apporte une touche très personnelle à ce livre discret. Jana Šrámková constate que les lecteurs et la critique l’ont pris comme la confession de l’auteure :

« Il est vrai que certains critiques ont considéré comme tout à fait évident que c’était un livre sur ma vie et que cela pourrait intéresser surtout mes amis. Mais ce n’est pas un livre sur moi. Bien sûr, il y a beaucoup d’éléments autobiographiques mais surtout au niveau des réflexions de la narratrice, au niveau de ses craintes, mais pas au niveau de l’histoire. C’est une fiction.»


'Hruškadóttir',  photo: Labyrint
Le titre du premier roman de Jana Šrámková est énigmatique et intraduisible. Il s’intitule « Hruškadóttir » et c’est un mot composé du nom du père de Veronika et du suffixe « dóttir » qu’on donne à tous les noms féminins en Islande. Ce titre insolite trahit d’une part, l’engouement de l’auteure pour les langues et les civilisations nordiques, mais revêt aussi une autre signification :

« Déjà le fait que c’est un jeu de mots tchéco-islandais peut attirer l’attention des gens, je l’espère. Je pense que cela exprime un peu le caractère du personnage principal, comment elle est et qu’elle aime les combines. Et aussi qu’elle aime réfléchir et qu’elle n’est pas étroite d’esprit. Puis il y a le motif du Nord qui est très important pour le livre dans son ensemble. »

Il est toujours risqué de tirer les conclusions de la première oeuvre littéraire d’un auteur et de se hasarder à prévoir son avenir. Dans son roman « Hruškadóttir » Jana Šrámková a fait preuve d’un talent indubitable mais les carrières littéraires sont imprévisibles et il y en a beaucoup qui démarrent avec succès pour sombrer finalement dans l’oubli. D’ailleurs Jana Šrámková ne voit pas sa future existence comme celle d’une écrivaine professionnelle :

« Je suis sûre de vouloir écrire. Mais je ne veux pas écrire huit heures par jour et publier deux livres par an. J’aimerais faire un travail standard si possible dans le domaine culturel. Maintenant je travaille sur un texte qui est relativement personnel. C’est sur ma grand-mère et sur les entretiens que nous avons eus, elle et moi, et où s’entremêlent le passé de la famille et ma vie présente. Et comme cela risque de glisser dans le kitsch, dans le pathétique et dans je ne sais quoi encore, je veux laisser beaucoup de temps au mûrissement de tout cela. Je suis toujours à la recherche d’une forme optimale pour exprimer ces choses-là, mais je ne l’ai pas encore trouvée. »