L’église du Sacré-Cœur : un nouveau monument sur la liste du patrimoine culturel
Dans la série de balades présentant les monuments qui viennent d’être inscrits sur la liste du patrimoine culturel national, nous allons nous focaliser aujourd’hui sur l’église du Sacré-Cœur-de-Jésus : une dominante incontournable de la place Jiří z Poděbrad - Georges de Poděbrady, dans le 2e arrondissement praguois de Vinohrady.
L’église du Sacré-Cœur-de-Jésus est une construction unique en son genre : le bâtiment en briques érigé entre 1928 et 1932 se réfère aux temples grecs antiques pour être en même temps un rare exemple d’architecture religieuse moderne dans notre pays. Cette église représente la principale réalisation praguoise de l’architecte slovène Josip Plečnik, qui a été chargé de la rénovation du château de Prague par le président Masaryk.
Partisan de l’architecture classique, Plečnik a créé un style très personnel, montage d’éléments classiques et modernes avec des emprunts à l’architecture méditerranéenne, qui a trouvé sa pleine expression dans la conception architecturale de l’église du Sacré-Cœur : une église sans transept, dominée par une large tour principale dotée de six cloches et d’une fenêtre ronde abritant la plus grande horloge de Prague. Les travaux de construction de cette église se sont déroulés parallèlement à ceux de l’église de Saint-François à Ljubljana, ville où Plečnik est né, et où il est mort, le 7 janvier 1957. L’abbé Jiří Slabý est depuis plus de 20 ans le curé du Sacré-Cœur-de-Jésus :
« Plečnik, un homme de foi profondément croyant, a créé une œuvre profondément spirituelle. La spiritualité émane de l’ensemble de la masse du bâtiment. Lorsqu’on pénètre à l’intérieur, on ressent clairement que le monde matériel et spirituel y sont liés et c’est cette union qui fait le charme de cette église. »
Le faubourg résidentiel de Vinohrady qui a reçu son nom d’après la culture de vignes, a défendu son statut de ville autonome jusqu’à la démolition des remparts municipaux. En 1922, Vinohrady a été annexé à la grande Prague et c’est alors que le besoin d’une nouvelle paroisse a surgi. Un appel d’offres pour la construction d’une église est toutefois resté sans vainqueurs, observe l’historien de l’architecture, Zdeněk Lukeš :
« L’appel s’est terminé par un résultat nul. Il n’empêche que tous ses participants, tout comme le jury, étaient d’accord pour soutenir le projet de Plečnik : une situation absolument impensable aujourd’hui. Plečnik a dessiné plusieurs variantes de la future église. Sa construction était limitée par les moyens financiers, ainsi que par le problème des fondations. Finalement Plečnik a opté pour une tour surbaissée. Il n’en reste pas moins que c’est une œuvre unique et moderne, en fer et en béton, mais qui puise son origine dans une basilique paléochrétienne. »
Toute une série de motifs utilisés par Plečnik pour les décorations de sa construction s’inspirent des symboles des rois, du fait aussi que l’église se trouve dans le quartier appelé autrefois Královské Vinohrady – Vinohrady royale. Zdeněk Lukeš attire notre attention sur quelques-uns de ces motifs :
« Par exemple des briques saillantes peuvent symboliser un manteau d’hermine que portaient des rois, ou encore le globe impérial qui coiffe la tour principale. »
Les liens qui unissent l’église du Sacré-Cœur et le château de Prague dont Plečnik était le premier architecte dans les années 1920 – 1930, sont mis en avant par Zdeněk Lukeš :
« Le premier lien se trouve sous la terre, dans la crypte de l’église où Plečnik a créé une chapelle souterraine considérée par les architectes contemporains comme l’espace le plus spirituel de Plečnik. La paroi de l’autel dans cette chapelle est faite des fragments provenant de la cathédrale Saint-Guy, dans le château de Prague. L’autre lien est un lien visuel : lorsque vous regardez du haut de la rampe qui mène vers la tour principale, vous voyez, au travers du cadran et de la grande fenêtre ronde, le panorama du château de Prague. »
Les plans de Plečnik prévoyant un remaniement de la place Georges de Poděbrady sont restés inachevés, ainsi que certains éléments de l’église réalisés plus tard par son disciple, Otto Rottmayer. Le sculpteur Bedřich Stefan est quant à lui l’auteur des plastiques sur le portique. Après avoir réalisé cette église inspirée de l’architecture grecque classique, Plečnik a fait face à une critique nationaliste croissante de ses opposants. Masaryk, malade, ne pouvant plus prendre sa défense, il a quitté son travail sans accepter, dit-on, d’honoraires. C’est du moins ce que souligne aussi l’abbé Slabý en parlant de l’église du Sacré-Cœur :
« Je trouve très beau le fait que Plečnik ait consacré toute cette œuvre à l’enfant Jésus à Bethléem, sans accepter une couronne, ce qui pourrait paraître incroyable aujourd’hui. Nous avons ses plans dans lesquels il avait tout prévu jusqu’au moindre détail, comme des poignées de porte ou des manivelles de vitres, tout ce que nous y admirons. Plečnik exigeait un travail parfait. Il choisissait un matériel de la plus haute qualité qui porte l’empreinte de son génie. »
Pendant longtemps, l’œuvre de Plečnik est resté sous-estimée. Les Tchèques l’ont redécouvert dans les années 1990, grâce à une exposition rétrospective de son œuvre à l’initiative de Václav Havel, et présentant l’ensemble de ses réalisations à Prague et aussi à Lány, résidence secondaire des présidents tchèques.