Václav Havel: « Nous n’avons pas trahi les idéaux de la révolution de velours, mais… »

respekt_havel.jpg

« Donnez-moi le temps de réfléchir ». C’est ainsi que l’ancien président tchèque Václav Havel répond à la question, « Vous sentez-vous heureux ? », qui lui est posée dans une longue interview parue dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Respekt et dont nous vous présenterons les grandes lignes.

Dans l’entretien qu’il a accordé au journal, généralement étiqueté comme « intellectuel », Václav Havel porte un regard sur les événements qui se sont déroulés il y a vingt ans et qui ont entraîné la chute du régime communiste, ainsi que sur les différents aspects de la situation actuelle. Il dit en introduction :

« La Révolution de velours a réussi dans le sens que nous avons la liberté, la démocratie, l’économie de marché. Nous n’avons pas trahi ses idéaux. Mais il y a mille est une choses qui sont pires que prévu, il y a un très grand nombre d’erreurs, petites ou grandes, qui ont été commises. »

Un immense accent sur l’économie, l’interprétation économique des phénomènes existants et la pénétration de la pensée économique dans l’ensemble des domaines de la vie. Tels sont les éléments que Václav Havel met au pilori en réfléchissant au début des années 1990, au lendemain de la chute du régime communiste. Il constate :

« Il n’y a nul doute que des réformes économiques fondamentales étaient nécessaires. Mais ce que je déplore, c’est la vision économique du monde en tant que modèle prédominant ». Selon Václav Havel, le fondamentalisme du marché fait qu’il est presque honteux d’utiliser dans ce pays le mot de « régulation ». Ainsi, faute de régulation, on voit par exemple fleurir, en Tchéquie plus qu’ailleurs, les jeux de hasard.

Quand est-ce que vous avez décidé d’entrer dans la politique réelle et d’assumer des responsabilités ? A cette question, l’ex-président tchèque répond :

« Je n’ai jamais voulu être un homme politique professionnel. Cela dit, pendant toute ma vie, j’agissais publiquement en tant que citoyen, j’étais donc depuis toujours politiquement engagé. C’est avant encore la proclamation de ma candidature présidentielle par le Forum civique que j’ai décidé d’accepter une fonction politique profesionnelle. Force m’est de constater que j’ai pris cette décision après mûre réflexion et suite à de longues persuasions. J’ai fini par réaliser que l’important n’était pas de vouloir ou ne pas vouloir ça, mais que ce qui comptait, c’était d’atteindre la victoire de la révolution. L’élection d’un président issu des rangs des ‘nôtres’ devait être un point culminant des événements révolutionnaires de l’époque ».

Václav Havel ne fait pas partie de ceux qui considèrent que la chute du communisme dans l’ancienne Tchécoslovaquie était inévitable. Selon lui, tout aurait pu se passer autrement.

« D’un côté, il y avait la crise intérieure du régime communiste local, représentée par un ensemble d’aparatchiks d’un niveau on ne peut plus médiocre, car les élites ont été liquidées après 1968… D’un autre côté, il y avait la politique de Michaïl Gorbatchev qui réalisait bien qu’il ne pouvait pas maintenir par la force le système de l’empire soviétique. La pression économique de l’Occident, la politique de Reagan et les efforts libérateurs dans plusieurs autres pays ont été d’autres sources d’influences. Mais aucune de ces influences n’a été décisive. Si nous-mêmes n’avions pas contribué aux changements, le régime aurait pu survivre encore assez longtemps et nous aurions pu nous retrouver dans une situation pareille à celle qui existe en Biélorussie. On ne serait pas membre de l’Otan et de l’Union européenne, on aurait pu devenir une proie facile pour des nationalistes ou des populistes. Une telle évolution aurait été effectivement possible ».

Aider les gens dans les pays où persiste un régime totalitaire. C’est une mission à laquelle Václav Havel accorde une très grande importance. Il explique :

« C’est effectivement une des tâches clés pour nous qui avons vécu dans un système totalitaire. Mais ce n’est pas seulement une tâche pour la République tchèque, mais pour l’ensemble des pays de l’Union européenne. Je pense que cette dernière a dans ce sens certaines réserves… Toute manifestation de solidarité, des milieux culturels, journalistiques ou autre, est importante et a son poids. Ce qu’il faut c’est que l’Union européenne manifeste son soutien plus clairement. Pour l’instant, elle le fait de manière trop timide, trop modeste ».

L’euroscepticisme tchèque est un autre thème sur lequel Václav Havel s’exprime dans cet entretien, renouant en quelque sorte avec ce qu’il avait récemment déclaré pour Radio Prague.

« L’approche du président tchèque à l’égard du Traité de Lisbonne a été très critiquée par les milieux juridiques, par les parlementaires, par le gouvernement, par nos représentations politiques. D’un autre côté, sa popularité auprès du public a radicalement grandi ».

Dans les pages de Respekt, il essaie de donner à ce phénomène une explication :

« Difficile de dire d’où ça vient. C’est peut-être dû à la mauvaise tradition qui existe chez nous et qui veut qu’on a tendance à se révolter, quand il est permis de le faire et, en revanche, à se retirer, quand c’est interdit ».

A la question de savoir quelle évolution il souhaite pour l’Union européenne, Václav Havel répond :

Photo: Commission européenne
« J’utilise à ce sujet l’expression ‘ensemble d’Etats’, ce qui est autre chose que fédération, union ou confédération. Il faut surtout tout faire pour qu’il s’agisse d’une communauté qui non seulement fonctionne, mais qui soit en outre dotée d’un sens, d’une vision. Elle est appelée à articuler plus clairement, plus souvent et d’une manière plus impérative les valeurs fondamentales sur lesquelles elle est basée, les idéaux qui sont les siens. C’est bien plus qu’une simple union commerciale. Et c’est bénéfique pour l’Europe et pour le monde qu’il en soit ainsi ».

Le fait que l’Europe vive depuis près de soixante ans sans conflit militaire, hormis la guerre en Yougoslavie, représente pour Václav Havel un immense succès de l’Union européenne, une situation sans précédent dans l’histoire du territoire européen.

En ce qui concerne l’élargissement de l’Union européenne, l’ex-président tchèque favorise l’adhésion de la Turquie, ainsi que celle de l’Ukraine, de la Biélorussie, de la Moldavie, de la Géorgie et des Etats de l’ex-Yougoslavie. Cet élargissement devrait être cependant clairement défini, tant au niveau géographique qu’au niveau des valeurs partagées.

A la fin de l’entretien accordé à l’hebdomadaire Respekt, Václav Havel, se veut un peu plus personnel pour dire qu’il se porte assez bien, « conformément à son âge (73 ans) et à son état de santé »… Le théâtre, le film, le repos, la lecture de livres « sages ». Voilà les activités et les passe-temps auquel il voudrait désormais se consacrer.