Sur les traces de la révolution de Velours (V) – Melantrich, le balcon le plus célèbre de Prague

Melantrich à présent, photo: ŠJů, CC BY-SA 3.0

A Prague, tout commence et tout se finit sur la place Venceslas, dit-on souvent. S’il existe un lieu précis sur cette place centrale et emblématique de la capitale tchèque particulièrement lié à la révolution de Velours, c’est le bâtiment de l’ancienne maison d’édition Melantrich. Depuis son balcon, le futur président Václav Havel s’est adressé pour la première fois à la foule, lors de la manifestation du 21 novembre 1989. Cette date marque aussi le retour extraordinaire de la chanteuse Marta Kubišová, interdite de concert pendant vingt ans. C’est donc au balcon le plus célèbre de Prague que nous consacrons la dernière étape de notre série.

Melantrich à présent,  photo: ŠJů,  CC BY-SA 3.0

Karel Kryl et Karel Gott qui ont chanté,  ensemble,  l’hymne tchécoslovaque,  photo: ČT
Devant quelque 200 000 personnes réunies sur la place Venceslas précisément cinq jours après la répression de la manifestation du 17 novembre, Marta Kubišová a donc chanté, a capella, sa « Prière pour Marta ». Ce moment, l’un des plus émouvants de la révolution de Velours, est entré dans l’histoire, ainsi que le balcon de l’immeuble Melantrich sur lequel se sont succédés, le 21 novembre ainsi que les jours suivants, Václav Havel, Alexander Dubček ou encore Karel Kryl et Karel Gott qui ont chanté, ensemble, l’hymne tchécoslovaque.

Rocker proche des milieux dissidents et homme politique après 1989, Michael Kocáb fait partie des personnalités qui ont fondé, lors des premiers jours de la révolution, le Forum civique, devenu la principale force d’opposition anti-communiste. D’après Michael Kocáb, c’est précisément sur le balcon Melantrich que Václav Havel est devenu le leader de cette révolution tchécoslovaque :

« Václav Havel s’était profilé comme un leader naturel avant même cette manifestation, mais il fallait encore que nos concitoyens l’acceptent. Dans son premier discours devant les manifestants, il a dit que le Forum civique était un mouvement intérimaire, créé spontanément pour représenter tous les citoyens mécontents. Il a dit aussi, et c’était un coup génial, que tout un chacun pouvait adhérer à ce mouvement. Du coup, le Forum civique a compté des centaines de milliers, voire même des millions de membres. »

Václav Havel avant son discours sur le balcon de Melantrich en 1989 | Photo: Miloň Novotný

Le 21 novembre 1989, rien n’était encore gagné pour le Forum civique, qui essayait seulement d’entamer un dialogue avec les autorités communistes. Par ailleurs, Václav Havel lui-même a introduit sa courte intervention par ces propos :

« J’espère qu’on ne nous coupera pas le courant électrique. »

Comment donc un groupe de dissidents est-il parvenu à accéder au balcon d’un immeuble où se trouvaient une maison d’édition et les rédactions de plusieurs titres de presse, dont le journal Svobodné slovo (La libre parole), considéré en son temps comme une source fiable d’informations ? Michael Kocáb se souvient :

Michael Kocáb,  photo: Jana Přinosilová,  ČRo
« La veille encore de cette première grande manifestation sur la place Venceslas, nous ne savions pas d’où nous pourrions nous adresser au public, nous devions aussi résoudre plusieurs problèmes techniques, à savoir par exemple comment diffuser le son. Ce qui s’est passé, c’est que Jan Škoda, le secrétaire général du Parti socialiste tchécoslovaque auquel appartenait le journal Svobodné slovo, a décidé de nous laisser entrer dans le bâtiment Melantrich. »

« Pour nous tous qui étions réunis sur le balcon, c’était comme un rêve. Nous sommes partis de rien, nous nous souvenions encore du silence de la société à l’époque de la Normalisation, et nous voilà d’un seul coup devant 200 000 personnes ! Nous avions tous le trac, y compris Václav Havel. Il était un bon organisateur et tenait à ce que tout se passe comme prévu, comme une représentation théâtrale. »

« J'avais une grande admiration pour Václav Havel, il était déjà un dissident mondialement connu au moment de la révolution. C’était quelqu’un de chaleureux, de sympathique et dégageait de l’espoir. On avait l’impression qu’avec lui, on ne pouvait pas perdre. Mais en même temps, nous n’étions pas certains qu’il puisse convaincre les masses avec son côté timide et son élocution légèrement hésitante. Finalement, il y est parvenu. »

Le 17 novembre 2019, les Pragois se réuniront à nouveau sous le balcon Melantrich pour écouter la « Prière pour Marta », interprétée cette fois par Aneta Langerová, une voix qui n’est pas sans rappeler celle de la légendaire Marta Kubišová.