Zdena Mašínová : une victime des années 1950
L’objectif du projet international de recherches la Mémoire du peuple (Paměť národa), coordonné par l’association civique Post Bellum, est de contacter les témoins d’événements importants qui se sont déroulés au XXe siècle, de rassembler des photos, textes, films documentaires et enregistrements. Dans le cadre du projet « La mémoire du peuple », qui coopère étroitement avec l’Institut d’étude des régimes totalitaire et la Radio tchèque, j’ai choisi pour notre émission d’aujourd’hui l’histoire de Zdena Mašínová, fille du brigadier général Josef Mašín.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’épouse de Josef Mašín a été séquestrée par les nazis mais ses trois enfants ont échappé à la déportation et aux internements.
La cadette de la famille, Zdena Mašínová, témoin de l’époque, évoque ses souvenirs pour Radio Prague.
« C’est notre grand-mère maternelle qui nous a sauvé de la Gestapo et d’un transfert forcé au Reich. Elle parlait très bien l’allemand et elle a persuadé la Gestapo qu’elle allait nous éduquer dans l’esprit germanique. Elle était consciente que mes frères auraient subi une rééducation et moi, qui était physiquement handicapée, j’aurais terminé ma vie dans une chambre à gaz, comme tant d’autres enfants. Elle nous a gardés auprès d’elle jusqu’au retour de ma mère qui a été emprisonnée dans la prison de Pankrác, puis déportée dans le camp de concentration de Terezín. Dans la prison de Pankrác, elle partageait sa cellule avec Milada Horáková (femme politique tchèque, exécutée le 27 juin 1950, ndlr), qu’elle soignait après les interrogatoires difficiles qu’elle subissait. Après la guerre ma mère a refusé de croire à l’exécution de mon père car jusqu’à fin 1946 où elle recevait des messages, disant qu’on avait vu son mari dans les groupes de maquisards qui combattaient jusqu’aux derniers jours de la guerre en Slovaquie de l’Est, elle espérait qu’il reviendrait un jour. Ses espoirs étaient vains. Par la suite, entre 1945 à 1948 elle a été très engagée dans la vie publique. »
Après la guerre, la situation politique en Tchécoslovaquie change radicalement. Les officiers qui revenaient du front de l’Ouest et de l’Est faisaient entendre qu’ils pensaient quitter le pays le plus tôt possible. Effectivement après le coup d’Etat de 1948 beaucoup d’entre eux ont émigré. A l’époque les frères Mašín, qui terminaient leurs études au lycée, étaient en contact avec les combattants de la Deuxième Guerre mondiale et s’attendaient à ce que des rangs de ces officiers et militaires se créent une résistance contre la nouvelle situation politique. Mais ces derniers, épuisés par les souffrances de la guerre n’avaient plus la force de lutter ou voyaient plutôt l’inutilité d’une lutte perdue d’avance. Finalement à l’aide du frère de leur mère, Ctibor Novák et de son collègue, un officier diplomate au Congo belge après 1945, les frères Mašín créent une organisation de résistance. Il est à noter que Ctibor Novák était officier et qu’il avait travaillé dans les services de renseignements. L’organisation prenait en exemple le groupe de résistance antinazie que Balabán, Mašín et Morávek avaient créée. Au début des années 1950, la situation politique est telle que les frères sentent bien un danger réel et décident en 1953 de quitter définitivement le pays. Leur sœur Zdena Mašínová, qui à l’époque fait des études à l’Ecole supérieure de santé, reste pourtant en Tchécoslovaquie. C’est elle-même qui explique pourquoi elle n’est pas partie avec ses frères.« Parce que comme je l’ai déjà dit, je suis née avec une malformation physique et malheureusement mon état de santé ne me permettait pas de partir avec mes frères. Si j’avais été en bonne santé, j’aurais réagi comme eux. Mais j’ai été condamnée à vivre en Tchécoslovaquie sous le régime communiste totalitaire. J’ai été arrêtée après la fuite illégale de mes frères en 1953, à Olomouc où j’habitais avec ma famille. Pendant plusieurs mois j’ai été mise en isolement, j’ai subi des interrogatoires serrés et il faut dire que les interrogateurs ne prenaient pas de gants. J’étais couchée sur un sol de béton glacial, les yeux bandés, donc je ne voyais pas le visage de ceux qui m’emmenaient aux interrogatoires. Puis il y avait ce froid insupportable, leurs hurlements ! J’ai chassé cette période de mon esprit pour pouvoir survivre. Après quelques mois ils m’ont relâchée. Je n’arrivais pas à trouver du travail dans le secteur de la santé. On m’a proposé un travail physique à Ostrava, puis dans l’agriculture, que je ne pouvais pas effectuer à cause de mon état de santé. Finalement j’ai réussi par hasard à trouver du travail comme laveuse de verre industriel à l’Institut d’Etat pour contrôle des médicaments à Prague. Je vivais avec ma grand-mère qui était très âgée et nous étions surveillés par des agents de la police secrète (StB).»Zdena Mašínová a été poursuivie et persécutée, traquée comme une bête jusqu’à la révolution de velours de 1989. On s’attendrait à ce qu’elle ressente un soulagement, pourtant il n’en est rien. Dans le cadre de la 20ème Session de la Fédération mondiale des anciens combattants et du Conseil permanent pour les affaires européennes qui a eu lieu les 18 et 20 mai 2006, le général Antonín Špaček a publiquement déclaré qu’il était déplorable que les personnes qui l’ont torturé, ainsi que ses collègues, et qui sont encore en vie, n’aient pas été punies. Lorsque les anciens combattants torturés ont fait appel à la justice, on leur a répondu : « Nous n’allons pas faire comme eux. » Ecoutons l’opinion de Madame Mašínová.
« Je comprends les sentiments de cet homme qui a publiquement manifesté son courage. Je perçois depuis la situation de façon identique. Lorsque les hommes politiques ont commencé à crier : ‘Nous ne sommes pas comme eux’ et les gens agitaient leurs clefs sur la place Venceslas, j’ai dit que c’était un grand ‘happy end’. Je dis toujours : tout crime exige châtiment or personne n’a été puni. C’est ce que je reproche aussi à Václav Havel et à tous les dissidents. Ce n’est pas ainsi que l’on gagne la guerre froide. Malheureusement cela marquera le développement de ce pays, ce que l’on voit d’ailleurs déjà aujourd’hui. La question se pose comment sortir de cette situation. »
Zdena Mašínová ne ressent pas de haine mais le dégoût et une interminable lassitude.