Alfons Mucha : faire de l’affiche une œuvre d’art

Cela faisait trente ans qu’aucune exposition n’avait été consacrée à Alfons Mucha en France. En partenariat avec le musée du Belvédère à Vienne et la Kunsthalle de Munich, le Musée Fabre de Montpellier accueille jusqu’au 20 septembre près de 280 oeuvres d’un des artistes tchèques les plus connus à l’étranger. Cette célébrité, il la doit avant tout à ses affiches de Sarah Bernhardt. Florence Hudowicz est une des commissaires de l’exposition.

« On a eu la chance de faire une sélection très large dans la mesure où on montre à la fois sa production graphique et lithographique mais également ses réalisations en trois dimensions. On montre l’Allégorie de la nature, prêtée par le Musée des Beaux-Arts de Bruxelles, des bijoux grâce à la Fondation Mucha mais aussi le Petit Palais et surtout le Metropolitan de New York qui nous prête une magnifique broche. Enfin nous avons la chance de pouvoir exposer une partie de l’Epopée Slave, et la quasi intégralité du pavillon de la Bosnie-Herzégovine qu’a bien voulu nous prêter le Musée des Arts appliqués de Prague. En outre, comme on a développé une section sur Sarah Bernardt, on montre aussi des réalisations d’après des dessins de Mucha, comme des vêtements. »

Le nom d’Alfons Mucha est inextricablement lié à celui de Sarah Bernhardt. Pourriez-vous nous rappeler dans quelles conditions ils se sont rencontré et ont collaboré ?

« Leur rencontre est digne d’un conte de Noël, en tout cas, telle que Mucha la rapporte dans ses écrits. Il a rencontré Sarah Bernardt alors qu’il remplaçait un des ses collègues tchèques, entre Noël et le jour de l’An. Sarah Bernhardt cherchait désespérément une affiche en tant que nouvelle directrice du Théâtre de la Renaissance en 1894. Elle a contacté cet éditeur qui se trouvait employer Mucha. Si on veut bien respecter la légende, c’est un concours de circonstances qui non seulement les a fait se rencontrer, mais a tout de suite trouvé la faveur de Sarah Bernhardt puisque dès le premier dessin de Gismonda, elle tombe amoureuse du futur style de Mucha. Cette rencontre est miraculeuse car dès le premier instant ils se plaisent. Mucha va réaliser toutes les affiches de Sarah Bernardt jusqu’en 1900. Il va créer un style nouveau notamment dans la verticalité de l’affiche puisqu’il fait un format totalement vertical qui déifie littéralement celle qu’on appelait déjà la Divine. Il est donc en parfaite osmose avec ce qu’elle peut représenter aux yeux du public parisien. C’est un ‘précipité’ favorable pour les deux car c’est la consécration absolue de Sarah Bernhardt : à 50 ans, elle est déifiée sur tous les murs de Paris. Et on connaît par là-même le nom de Mucha qui va devenir le publiciste le plus apprécié au tournant du siècle. »

Alfons Mucha a un style très particulier, il s’inscrit quand même dans ce qu’on appelle l’Art nouveau. Qu’est-ce qui fait la spécificité de Mucha par rapport aux autres artistes de l’époque ?

« Je pense qu’il a particulièrement frappé les esprits de l’époque notamment par sa représentation de la femme dont il fait une déesse. Elle est extrêmement sensuelle, elle a un lien avec l’humain mais en même temps elle est toujours un peu surdimensionnée. Pour Sarah Bernhardt, c’est typique. Il profite de ce qui était une critique pour elle à l’époque, sa maigreur : il l’allonge et en fait une créature divine. La chevelure des femmes est luxuriante. Ca vient non seulement de Mucha, de son appétence slave de la femme, mais aussi des pré-raphaélites. On se rappelle des femmes divinisées par Burne-Jones ou Rosetti, où on retrouve ces magnifiques chevelures. Mais la nouveauté de Mucha, c’est qu’il utilise la chevelure pour en faire des arabesques à n’en plus finir. Les couleurs qu’il utilise ne sont pas les couleurs des affiches de l’époque, plutôt criardes. Au contraire, c’est plutôt des teintes extrêmement riches, mêlées, qui requalifient l’affiche. Il y aussi ces fonds d’or qu’il utilise, les mosaïques byzantines dont il accompagne ses affiches. Il fait vraiment de l’affiche une œuvre d’art. Même quand il s’agit de promouvoir le papier à cigarettes Job, qui est une de ses affiches les plus célèbres dans le monde de la réclame, il en fait une femme magnifique avec une chevelure en arabesque rehaussée de fond d’or, ‘Job’ écrit en caractère byzantins. Il fait vraiment de l’affiche une œuvre d’art, même si c’est pour être placardée sur les murs de Paris. »