La gagnante du concours 2009 de Radio Prague
La gagnante du concours de Radio Prague cette année est une Française aux racines tchèques. Elle s'appelle Claire Le Bris-Cep. La question était : Quelle date, quelle époque ou quel événement de l’histoire tchèque vous a le plus impressionné ? Voici sa réponse.
L’été de mes 13 ans
Mes parents avaient loué une maison en Sologne pour les vacances. Mon frère rentrait juste d’un séjour dans le pays natal de mon père. Le premier de la famille, comme en éclaireur, il avait fait la connaissance de nos cinq oncles et tantes et de nos 15 cousins et cousines. Il était même question que nous y retournions ensemble tous les quatre l’an prochain.
Je dois dire qu’en Tchécoslovaquie, avant qu’il ne la quitte, mon père était un écrivain connu. Il n’était pas vraiment engagé en politique, mais sa littérature largement inspirée par la foi catholique et ses fréquentations d’intellectuels occidentaux ne plaisaient pas au régime de l’époque. Pour échapper à la prison il fut obligé de fuir, passant la frontière clandestinement, en rampant sous les barbelés. Sa mère est morte en Moravie, sans qu’il ait pu la revoir. Et après 20 ans d’exil, pour la première fois, un espoir : la situation là-bas évoluait doucement. Mon père n’osait pas y croire encore lui-même, mais nous tous autour de lui l’imaginions déjà retourner un jour à Myslechovice pour embrasser ses frères et sœurs.
Ce matin-là, je me suis levée comme les autres jours pour rejoindre mes parents pour le petit déjeuner. Rien n’était comme d’habitude, quelque chose était arrivé, je ne savais pas encore quoi, ma mère cachait mal ses yeux gonflés et son mouchoir, mon père était assis, fermé, la tête penchée en avant comme pour s’isoler de nous. Le plus surprenant c’était la radio allumée, si tôt le matin. Je ne comprenais rien, je ne voulais pas comprendre ces mots qui sortaient du haut-parleur : ils s’emparaient de la pièce et de notre vie, ils parlaient de tanks, de soldats russes, d’invasion, ils décrivaient la foule dans les rues de Prague, les barricades et les morts. Lentement je réalisais que mon père ne reverrait jamais plus sa terre natale. C'était le 21 août 1968.
Claire Le Bris-Cep
Klára Čepová
France