Gilbert Shelton et Robert Crumb, figures de proue de la BD underground américaine

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Retour sur le festival des écrivains qui s’est déroulé la semaine dernière ; à côté du très intellectuel Adonis étaient présents trois légendes de la BD américaine des années 70, Gilbert Shelton, Robert Crumb et sa femme, Aline Kominsky-Crumb. Inspirés par la célèbre devise « sexe, drogue et rock’n’roll », il n’est pas étonnant que les dessins de ces trois auteurs n’aient pas pu franchir le rideau de fer avant 1989. Le festival était l’occasion de découvrir et de faire un peu connaître, 20 ans après, en République tchèque, ces célèbres BD.

Gilbert Shelton est le papa des « Fabulous furry freak Brothers », expression difficile à traduire mais on comprend qu’ils sont fabuleux, poilus et complètement déjantés. Les « Freak Brothers » sont trois hippies vivant à San Francisco dans les années 60 et 70. Ils sont paresseux et leur préoccupation principale est de trouver et consommer toutes sortes de drogues. Le plus barbu et chevelu des trois se nomme Phineas T. Freakears. Freewheelin' Franklin a des allures de cow-boy et Fat Freddy Freekowtski est le plus gros et le moins malin des trois compères, mais il est le maître d’un chat, Fat Freddy’s cat, à qui quelques pages sont dédiées dans chaque album. Il y connaît ses propres aventures, aux côtés des Freak brothers, qu’il regarde d’un œil à la fois méprisant et amusé.

Gilbert Shelton déclare d’ailleurs que ce chat est son personnage préféré et il sourit évasivement lorsqu’on lui demande s’il a vécu certaines des aventures des « Freak Brothers ». Il raconte leur histoire :

« J’ai commencé la série en 1967, au Texas aux Etats-Unis. J’ai continué jusqu’à présent. Il y a à peu près 600 pages de ‘Freak Brothers’. Il y a des éditions françaises, publiées par Tête Rock Underground »

Dans combien de langues les Freak Brothers ont-ils été traduits ?

« 12 ou 15, je ne suis pas sûr, il y a aussi des éditions pirates. »

Les « Freak Brothers » n’ont jamais été traduits en tchèque mais le dernier numéro de la revue du festival Komiksfest est consacré à ces trois auteurs cultes de la bande dessinée. Ainsi, une petite dizaine de pages des « Freak » ont été traduites en tchèque à cette occasion. Gilbert Shelton vit en France depuis presque 25 ans et avoue être un peu déconnecté du monde de la BD américaine dont il est issu.

« Je ne suis pas en contact avec le monde de la BD maintenant. Je lis les revues françaises ‘Fluide glacial’, ‘Psikopat’, ‘L’Echos des Savanes’, anciennement ‘Hara Kiri’, plutôt pour pratiquer mon français »

Vous n’avez pas gardé de relations avec tous ces gens de l’époque ? Quand je parle de l’underground, il ne s’agit pas seulement de BD. Comment voyez-vous cette génération, qu’est-elle devenue ?

« Génération perdue, peut-être. Je connaissais bien Janis Joplin parce que nous étions étudiants ensemble à l’Université du Texas, et elle est devenue une grande vedette de musique. »

En parlant de cette génération des années 60 et 70, il est intéressant de parler du mouvement underground en Tchécoslovaquie, qui n’était pas très important numériquement mais important culturellement, parce qu’il était vraiment la base de la dissidence. Il s’agit d’amis de Havel, des rockeurs qui font beaucoup de références à l’underground américain, new-yorkais ? Connaissez-vous un peu cette histoire ?

« Pas tellement mais il y avait un dessinateur de bande dessinée aux Etats-Unis, très connu, très doué et père de trois dessinateurs américains. Mais Gene Deitch est venu en Tchécoslovaquie dans les années 60. Il est la seule personne que je connaisse qui a traversé le rideau de fer dans l’autre direction. »

La famille Crumb est elle aussi installée en France. Amis de longue date avec les Shelton, ils ont ainsi travaillé ensemble et sont également considérés comme des papes de la BD underground américaine : Aline Kominsky-Crumb pour avoir appartenu à la première génération de femmes dessinatrices dans les milieux féministes américains des années 60, et Robert Crumb pour ses nombreux albums, son style décomplexé et son personnage Fritz the Cat, chat obsédé et drogué qui a été adapté dans un film d’animation. Robert Crumb est également auteur d’une biographie de Franz Kafka :

« Un ami écrivain, David Mairowitz, m’a demandé d’illustrer son livre sur Kafka. Je connaissais Kafka mais ne l’avais jamais lu. Donc j’ai commencé à lire et j’ai accepté de faire le livre. J’ai beaucoup aimé et j’ai senti une forte parenté avec Kafka. A la fin, je me suis senti très proche de lui, presque comme si nous étions des frères. »

Malheureusement, Robert Crumb n’est pas très enthousiaste quand on lui demande ce qu’il a ressenti dans la ville de Kafka :

« Je pense que la ville est à peine reconnaissable. Les choses ont tellement changé à Prague depuis cette époque. Il est difficile de trouver l’atmosphère de Kafka maintenant, c’est tellement différent.»

Robert Crumb prépare actuellement une histoire de la Genèse en Bande dessinée. Quant aux « Fabulous Furry Freak Brothers », une adaptation pour un film d’animation est actuellement en cours.