Les deux vies de Milan Kundera

Milan Kundera
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Milan Kundera, écrivain qui aimerait disparaître derrière son oeuvre, n’en est pas moins un homme suivi de près par les médias, une véritable vedette médiatique. La sortie de son dernier livre en France et son 80e anniversaire, qui tombe ce mercredi 1er avril, est une occasion pour revenir sur la vie et l’oeuvre de ce romancier condamné à ne plus échapper aux feux de l’actualité.

Moitié - moitié, c’est ainsi qu’on peut diviser la vie de Milan Kundera qui a passé les premiers quarante ans de son existence en Tchécoslovaquie et le reste en France. Les péripéties de cette vie couronnée par une œuvre littéraire hors du commun ne cessent d’être évoquées, analysé et interprétées et les conclusions tirées de ces recherches sont souvent contradictoires.

Milan Kundera est entré en littérature par la poésie. C’est en 1953 qu’il publie un recueil de poèmes d’inspiration marxiste «L’Homme, ce vaste jardin» et continuera dans cette veine jusqu’à 1957. Il reniera plus tard cette partie de son œuvre. A son avis, son oeuvre littéraire véritable ne commence que par le recueil de contes «Risibles amours» créé entre 1963 et 1968. C’est «La Plaisanterie», un roman sur les relations intimes sur le fond des aberrations staliniennes paru en 1967 qui le consacre comme un des plus grands auteurs tchèques de sa génération et jettera les bases de sa reconnaissance internationale. En 1968 il évoque ce roman dans une émission littéraire à la télévision française :

«J’ai toujours pensé avoir écrit un roman d’amour. Malheureusement, et surtout à l’étranger, ce livre est considéré comme un roman politique. A mon avis, c’est tout à fait faux. Naturellement cet amour est déterminé par les conditions historiques qui sont, à mon avis, tout à fait uniques et sans précédent. Alors, ces conditions historiques posent des questions tout à fait nouvelles.»

La vie de Milan Kundera, elle aussi, a été déterminée par les conditions historiques. Deux fois exclu du Parti communiste, en 1950 et 1970, l’écrivain se fait, dans la seconde moitié des années soixante, porte parole du mouvement libérateur dans la littérature tchèque et crée une série d’oeuvres qui donnent une image corrosive et désabusée de la vie sous le régime totalitaire. Proscrit et interdit de publication après l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Armée soviétique, il décide finalement d’émigrer et s’installe en France dès 1975. En 1984 il publie «L’insoutenable légèreté de l’être» roman considéré par d’aucuns comme son chef d’oeuvre. C’est au cours de cette période que s’opère en lui une transformation difficile mais qu’il juge nécessaire. Il devient écrivain français et c’est dans la langue de Molière qu’il rédigera le grand trio de ces derniers romans «La Lenteur», «L’Identité» et «L’Ignorance».

Après la chute du communisme les rapports de Milan Kundera avec sa patrie sont loin d’être idylliques. La tension dans les relations entre l’écrivain et ses compatriotes est sans doute due en grande partie au fait que beaucoup de Tchèques se sentent au fond trahis par le célèbre romancier qui préfère le français à sa langue maternelle et qui s’obstine à les empêcher de traduire ses dernières oeuvres en tchèque. Les analyses et les explications rationnelles des attitudes de l’écrivain vis-à-vis de son pays ne peuvent pas changer grand-chose à ces relations difficiles et parfois même orageuses. La récente affaire déclenchée par l’hebdomadaire Respekt ayant accusé Milan Kundera d’avoir dénoncé, dans les années 1950, un homme à la police communiste, n’a sans doute pas amélioré ces rapports. A 80 ans Milan Kundera est donc dans sa patrie tchèque un écrivain admiré et critiqué, aimé et mal-aimé, on l’attaque et on le défend. Dans les relations entre lui et ses compatriotes il y a tout sauf l’indifférence.