Bernard Werber : «L’un des drames de notre société c’est qu’on a découvert la liberté sans avoir la responsabilité.»
Les 26 et 27 février, Prague a accueilli l’écrivain français Bernard Werber. Venu pour assister à la première de sa pièce «Nos amis les humains» donnée au théâtre Kalich, il a déployé toute sa désarmante originalité et est devenu pendant son court séjour une véritable vedette des médias tchèques. Dans un entretien accordé à Radio Prague, il a évoqué la majorité des grands thèmes de ses œuvres ayant été traduites dans 35 langues - la responsabilité de l’homme vis-à-vis du monde, la nécessité de vivre en harmonie avec la nature, la leçon que l’homme peut tirer de la vie des autres créatures dont les fourmis et aussi le souci de l’avenir de l’humanité.
Qu’est-ce que l’écriture représente pour vous?
«C’est tout. Toute ma vie n’est dédiée qu’à ça, à l’écriture, la création du monde. Si j’étais seul sur une île déserte, je continuerais encore à écrire, sans public, sans éditeur, pour moi écrire est une fonction vitale.»
Est-ce que c’est aussi pour vous un moyen pour communiquer avec le reste du monde, un moyen de fusion avec le monde?
«Déjà un moyen d’expression. Dans ‘l’expression’ il y a ‘la pression’ qui vient de l’intérieur et ‘l’expression’ c’est le moyen pour la faire sortir. Donc pour moi écrire c’est une manière pour sortir quelque chose qui est à l’intérieur, qui bouillonne et de le faire rayonner pour que d’autres l’entendent. Quand j’écris, c’est comme si je lançais des bouteilles à la mer et je me demande qui c’est qui va les recevoir. J’ai toujours ce fantasme que quelqu’un, quelque part, puisse me comprendre.»
Dans vos livres il y a de la science-fiction, il y a des récits d’aventures. Il y aussi des récits philosophiques, lequel de ses éléments est le plus important pour vous?
«Ce qui est important, c’est le métissage de tous les genres. Dans mes livres il y a de la spiritualité, il y a de la science, il y a de l’aventure comme vous avez dit, il y a de la philosophie. Il y a aussi une réflexion sur l’écologie, peut-être même la politique d’une certaine manière. Ce qui m’amuse, c’est de prendre un peu de tout et de mélanger tous les éléments, mais pas d’en privilégier un. Je mélange tous les genres littéraires.»
Vous êtes entré dans la littérature par les livres sur les fourmis, par les livres où l’on voit la fascination par les fourmis. Avez-vous été influencé par Maurice Maeterlinck qui a écrit «La Vie des fourmis»?
«J’ai lu Maurice Maeterlinck mais ne je n’aime pas du tout parce qu’il voulait à tout prix que les fourmis aient une pensée humaine. Et je crois que les fourmis ont une pensée de fourmi. Ce qui est intéressant chez les fourmis c’est qu’elles sont différentes de nous. Même si elles ont des villes, mêmes si elles font la guerre, si elles ont l’industrie et l’agriculture, elles ont un système différent de nous. Et de tout temps, l’homme voulait comparer ses systèmes politiques à celui des fourmis parce qu’il s’est dit : ‘C’est la preuve que notre système est naturel car il existe aussi dans la nature.’ Mais ce n’est pas vrai. Chez les fourmis, c’est une forme d’anarchie dans laquelle la reine n’a pas de pouvoir, il n’y pas de police, il n’y a pas de morale, il n’y a pas d’école. Chacun sait ce qu’il doit faire au moment où il a à le faire. Donc, c’est un système qui n’existe pas encore dans l’humanité. Dans cela, la pensée de Maeterlinck est, à mon avis un peu ancienne, parce qu’il voulait à tout prix comparer le monde des fourmis au monde des humains.»
Est-ce que les humains peuvent quand même tirer une leçon de la vie des fourmis?
«Evidemment. Nous pouvons tirer une leçon d’une espèce qui est sur Terre depuis 100 millions d’années, alors que nous ne sommes sur Terre que depuis 3 millions d’années, donc c’est une espèce qui est notre aînée. Et vu qu’elle est là depuis longtemps, elle a trouvé des solutions à des problèmes que nous n’avons pas encore. En tout cas les fourmis nous montrent une voie d’intégration à la nature, elles sont plus écologiques que nous, une voie de communication, elles communiquent plus vite et d’une manière plus forte que nous, et aussi une manière de gérer les cités plus grandes que les nôtres. Certaines cités de fourmis ont 50 millions d’individus. Nous n’avons pas encore des villes de 50 millions d’individus. »
Un des grands thèmes de vos livres est la nature, le respect de la nature. Pourquoi vous n’aimez pas le mot «écologie»?
«Parce qu’il a été récupéré par les politiciens. Le mot ‘écologie’ est devenu un mot qui sert à des stratégies politiques. Je préfère le mot ‘harmonie’ c’est-à-dire harmonie de l’homme avec le milieu, avec des autres espèces animales et végétales. ‘Harmonie’ cela veut dire qu’il n’y a pas un qui veut détruire l’autre, ni un qui est gêné par l’autre. Mais même ce mot ‘harmonie’ est applicable aux rapports humains, Ce qui fait souffrir notre société, c’est le rapport dominant- dominé, il y a eu tout le temps des chefs et des esclaves, et je crois que dans le futur nous allons sortir de ce rapport de dominance pour découvrir une manière de fonctionner en partenaires à égalité, mais aussi en partenaire responsables. L’un des drames de notre société c’est qu’on a découvert la liberté sans avoir la responsabilité. Les gens voulaient ne plus avoir de chefs, mais après ils ne voulaient pas non plus prendre des décisions. Dans mes livres, je donne l’envie aux gens de s’assumer, de prendre des responsabilités, d’oser prendre des risques, d’oser échouer, d’oser faire quelque chose et ne pas attendre que les autres décident à leur place.»
Dans votre nouvelle »Et l’on pendra tous les pollueurs » les pollueurs sont pendus dans le Central Parc de New York. Vous imaginez donc une situation qu’on pourrait appeler peut-être «solution finale de la pollution». C’est évidemment une solution fantastique. Un livre peut-il changer le monde?
«Ah, je crois qu’un livre peut transmettre de nouvelles questions qu’on ne se pose pas. Dans ‘Et l’on pendra tous les pollueurs’ j’ai imaginé une situation, une question qui est ‘Et si au lieu de dire aux gens : vous devez arrêter de polluer, on leur disait : si vous polluez, on vous punit’. C’est à dire, infantiliser encore plus la population parce qu’elle n’est pas raisonnable. Mais c’est aussi une manière de pousser cette idée jusqu’à l’absurde pour montrer qu’on peut avoir une dictature écologique. Mais il y a 17 nouvelles dans le recueil ‘Le paradis sur mesure’, elles ne sont pas toutes aussi dures et amusantes. Ce qui m’intéressait dans ‘Le paradis sur mesure’ c’était aussi d’inventer un monde où il n’y a plus de pétrole, où il n’y a plus de moteurs, plus d’électricité, avec des voitures qui fonctionnent à pédales, avec des avions qui fonctionnent avec de l’hélium, avec des ascenseurs qui fonctionnent avec des gens qui tournent à l’intérieur. Et quand on envoie un SMS, c’est un petit moineau, et quand on envoie une lettre, c’est un petit pigeon. Cela m’a amusé de revenir à un monde où il n’y a plus de fumée, de pollution, de bruit, un monde finalement assez poétique que j’ai essayé d’imaginer dans ce cauchemar. Et c’étais ça, le contraste.»
Maintenant, vous êtes en République tchèque depuis deux jours. Quelle est votre impression ? Avez-vous l’impression de vous trouver dans un pays de pollueurs?
«Ce qui est extraordinaire c’est que ce pays a su conserver son histoire. Il n’y a pas de grand buildings comme à Manhattan. On n’est pas écrasé par l’architecture. Par contre, on est connecté au passé et c’est très intéressant, on dirait que tout d’un coup le monde ancien va ressurgir au bout d’une rue. C’est une ville très romantique et très chaleureuse. C’est pour la première fois que je viens en Tchéquie et j’apprécie énormément ce voyage à Prague. J’ai le trac de voir ce qui va être joué ce soir avec ma pièce de théâtre ‘Nos amis les humains’. Il me tarde de voir comment cette pièce va être jouée dans un pays qui est justement connectée à une histoire très puissante.»
Vous allez donc assister à la première de votre pièce ? Pouvez-vous la présenter un peu? De quoi s’agit-il?
« ‘Nos amis les humains’, c’est une histoire d’un homme et d’une femme qui sont kidnappés par des extraterrestres qui veulent que ces deux personnes se fassent l’amour pour faire un petit élevage d’êtres humains. Les deux protagonistes ne le savent pas et ils vont le découvrir progressivement. Le problème c’est qu’ils ne s’entendent pas entre eux. Et leur histoire c’est de découvrir s’ils sont capables de s’aimer pour sauver l’humanité parce que cet homme et cette femme sont aussi les deux derniers êtres humains et s’ils ne font pas l’amour, l’humanité va s’arrêter, s’ils font l’amour l’humanité va continuer. Donc c’est aussi une sorte de bilan d’où en est l’humanité. Est-ce qu’on mérite d’être sauvé ou est-ce que l’humanité est une espèce parasite de la Terre qui mérite juste d’être détruite. Alors c’est le suspens qu’il y a dans la pièce.»
Dans vos livres vous créez parfois des visions fantastiques de l’avenir de l’humanité. Considérez-vous ces visions comme possibles, comme quelque chose qui puisse se réaliser ?
«Je crois qu’il faut maintenant avoir les visions du future pour que ces visions puissent ou exister, si elles son bonnes, ou nous avertir de ne pas faire des bêtises, si elles sont mauvaises. La fonction de l’auteur de science-fiction est de projeter le regard du spectateur et du lecteur dans un future proche ou lointain afin qu’on sache où on va. Dans mes livres il y a un discours non pas écologique, mais le discours du respect de la nature et aussi le respect des générations futures. Je crois que nous devrions passer un contrat avec des générations futures, avec des représentants de nos petits-petits-petits-enfants pour leur garantir de leur laisser une Terre avec de l’eau, avec de l’air et des matières premières. Et je crois que l’un des grands dangers actuels est la croissance démographique, car si nous sommes 6 milliards et demi, si nous sommes 10 milliards, nous ne pouvons pas offrir à ces 10 milliards le confort de vie des sociétés occidentales, nous ne pouvons pas repartir les richesses, nous irons vers le monde de violence. Donc je crois qu’il vaut mieux maintenant se résigner à avoir un ou deux enfants au maximum plutôt que de se retrouver en ayant plein d’enfants qui vont s’entretuer plus tard. Voilà, il y a un contrat à faire entre les générations futures et l’homme du présent.»